COP25 : grand-messe pour mystiques du libéralisme et de la croissance (I)

GILLIAN GENEVIEVE

Au-delà de la COP25, propositions pour un changement de paradigme sociétal et économique :
de la croissance comme panacée à la croissance verte comme condition de survie.

« Dissiper les ressources, polluer les océans, détruire les forêts, tout cela rentre dans l’idée de croissance économique. On ne regarde que le résultat comptable sans en prendre en compte les conséquences de cette économie. Soit l’humanité s’élève et donne une bonne orientation à son histoire, soit elle reste prisonnière dans cette mentalité archaïque et ça ira alors de plus en plus mal. » [Pierre Rabhi].

L’écologie : 40 ans de discours politiquement correct et obsession de la croissance.

1992, l’auteur des lignes qui suivent a 17 ans. Il a la fougue de l’adolescence, l’envie de la révolte contre les injustices, le désir de changer le monde. Projet somme toute banal de tout jeune homme idéaliste en quête de cause et de vérité. Mais ses 17 ans coïncidaient aussi avec une drôle d’époque où l’on annonçait la fin de l’Histoire, la fin des idéologies, la fin de la guerre froide, mais également l’uniformisation et l’américanisation du monde, de la pensée et de la culture, une Pax americana qui allait assurer le bonheur de tous.
On était alors écrasés par les poncifs et les déclarations ostentatoires annonçant le triomphe d’un système : le libéralisme ; d’une démarche et d’une nécessité : la croissance économique ; d’un double impératif : la production et la consommation ; et enfin le triomphe d’un indicateur : le PIB, mesure désormais sacralisée de la réussite, du bonheur et du sens même de la démarche politique contemporaine.
Une cause, cependant, longtemps marginale voire occultée, commençait à émerger de ce marasme de la pensée et de la démarche humaine : la cause environnementale.
En effet, 1992, c’est aussi la conférence de Rio qui, 20 ans après celle de Stockholm, tente de replacer les questions écologiques au rang de préoccupation première internationale.
Pendant l’intervalle de ces 20 ans, deux préoccupations avaient émergé : la détérioration accélérée de l’environnement et la nécessité manifeste de faire coïncider le progrès économique et la protection de l’environnement. Mais ces préoccupations restaient en marge d’autres enjeux comme le chômage, le développement, la nécessité de la croissance.
Rio allait quand même contribuer à une certaine prise de conscience planétaire des dangers relatifs au changement climatique. Certaines résolutions furent prises dont le principe 12 qui stipule, entre autres que : « Les États devraient coopérer pour promouvoir un système économique international ouvert et favorable, propre à engendrer une croissance économique et un développement durable dans tous les pays, qui permettrait de mieux lutter contre les problèmes de dégradation de l’environnement… ».
Vœu pieux que de vouloir, à l’époque déjà, réconcilier l’idée de la croissance et celle de la préservation de l’environnement. Le concept de développement durable allait devenir un de ces nouveaux poncifs politiquement corrects qui allait permettre aux gouvernants de se donner bonne conscience par le biais de leurs discours. Les germes du désastre étaient semés. Le concept de développement durable allait justifier une démarche qui restait et qui reste obnubilée par la nécessité de la croissance.
Si le discours écologique apparaît ci et là, et de temps en temps, au fil des années, il reste marginal ; la préoccupation économique et celle de la croissance sont restées au cœur de la démarche politique de ces 20 dernières années dans le monde avec pour conséquence une aggravation de la situation climatique nous faisant désormais craindre le pire pour la survie, non pas de la planète, mais celle de l’humanité et des espèces vivantes.

Un habitat altéré

Ceux ayant 40 ans ou plus perçoivent bien la transformation insoutenable de l’environnement à l’origine de la disparition de milliers d’espèces vivantes et la mise en danger de tout l’écosystème et de la chaîne alimentaire. On constate bien la disparition lente des abeilles et des papillons.
Au-delà de la tristesse que cela engendre, c’est la peur qui désormais devrait s’installer dans nos vies. Car de telles conséquences, de telles disparitions ne sont pas anodines et mettent à mal la possibilité même du vivre ensemble ou de la vie elle-même à très long terme.
La conscience est là quant à ces dangers, mais pour la plupart cela reste une abstraction et la croissance économique demeure la préoccupation première. Greta Thunberg mobilise, est élue personnalité de l’année par Times Magazine, mais les décideurs applaudissent timidement, au mieux, ou, au pire, la narguent ouvertement dans les pires des cas comme pour Donald Trump.
Les résolutions de la COP25 ne changent rien à l’affaire. Celle de maintenir la hausse de la température à 1,5 degré, déjà fixée par la COP21, à Paris, impliquerait une hausse du niveau de la mer de 2,9 mètres, ce qui causera la destruction de l’habitat de 137 millions d’individus, provoquant des flux migratoires catastrophiques et menaçant la paix mondiale.
Comme on l’a vu ces dernières années, les États ont rarement mis en pratique ce qu’il fallait pour être en adéquation avec les résolutions et cela fait craindre le pire malgré le consensus de Paris au cours de la COP21.
La raison fondamentale de ces échecs programmés, de cette incapacité à mettre en œuvre les résolutions et l’inéluctable détérioration de l’environnement et de la qualité de vie reste, comme déjà souligné, cette obsession pour cette croissance devenue aujourd’hui la panacée de toute démarche politique. Et nos gouvernants justifient cette obsession en proclamant qu’il n’y a pas d’autres options.

Croissance et bonheur :
le temps d’une nécessaire rupture

Dans un remarquable essai intitulé « La mystique de la croissance », Dominique Méda, professeure de sociologie à l’Université Paris-Dauphine et titulaire d’une chaire au Collège d’études mondiales, démontre que cela n’est pas le cas et qu’il serait même nécessaire de provoquer une rupture avec nos sociétés fondées sur la croissance.
Ainsi, pour la citer : « La croissance joue, et c’est encore plus vrai depuis 50 ans, tous les rôles: elle est le substitut du progrès, elle est la clé du confort, elle est synonyme d’augmentation des revenus, elle est porteuse de démocratie.(…) Mais nous sommes arrivés au moment où nous devons dénouer les liens historiques et idéologiques qui se sont organisés entre croissance, progrès et démocratie.(…) On peut avoir de l’emploi, de la démocratie, du confort avec moins de croissance, sans doute sans croissance, ou avec un autre type de croissance que celui que nous avons connu.(…) Il est essentiel de le comprendre pour se libérer de sa mystique, évacuer le mythe de l’illimité, reprendre la main sur un processus incontrôlé, qui a emporté les sociétés occidentales et emporte à leur tour les pays émergents. »


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Cette bifurcation, cette rupture par rapport à un mode de vie et des décisions dictées par le court terme est essentielle car, pour citer Jacques Chirac : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs… »
Mais au-delà du risque climatique, enjeu certes le plus médiatisé, il est possible de distinguer au moins quatre autres types de risques qui nous menacent : la disparition des ressources naturelles et des minerais, la pollution que nous générons à l’occasion de nos actes de production, de consommation, de déplacement qui dégrade notre santé et nos conditions de vie, la réduction de la biodiversité et enfin le risque nucléaire.
Comment, malgré les signaux d’alarme, les conférences annuelles, les rapports des experts, une dégradation visible, sensible de nos conditions de vie, en est-on arrivé à ça ? Comment, au mépris du bon sens, l’homme contemporain a décrété que son bonheur dépendait de la croissance ?

La croissance : les origines d’une mystique

Les choses n’ont pas toujours été ainsi. Cette focalisation trouve ses origines au XVIIIe siècle dans une véritable révolution des esprits, une révolution de la représentation du mode d’insertion de l’Homme dans la nature ou plutôt dans la relation existant entre l’Homme et la nature : « Auparavant, l’Homme faisait partie de la nature : désormais, il l’exploitait », nous dit Dominique Méda ; mais elle ajoute, se référant à Durkheim, que c’est à la même époque que la production et la consommation ne seront plus uniquement des manières de satisfaire les besoins naturels, mais rempliront désormais également une fonction de cohésion sociale et deviendront des modalités déterminantes du processus de civilisation.
Paradoxalement, notre obsession de la croissance procède aussi donc d’une quête de sens et du devenir social et civilisationnel.
Mais le décollage véritable de l’exigence d’une croissance sans modération se situe dans les 20 dernières années du XVIIIe siècle en Angleterre et entre 1830 et 1860 aux États-Unis.
Cette pathologie de l’illimité découle du fait que nos comportements seraient mus par la comparaison. Ainsi, Adam Smith déclare que : « C’est la vanité, non le bien-être qui nous intéresse. Le riche se fait gloire de ses richesses parce qu’il sent qu’elles attirent naturellement sur lui l’attention du monde. »
Cette focalisation s’est ainsi accompagnée d’un intérêt exclusif pour les quantités produites, au détriment de la nature sur laquelle ces prélèvements étaient opérés.

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