COURRIER DE LA RÉUNION — Mission d’un ministre français à l’île Tromelin…: Une maladresse diplomatique et un mépris de « La Mémoire de l’océan Indien »

Qu’est allé faire le ministre Lurel sur l’île Tromelin ? Observer la biodiversité ? Constater que les installations scientifiques françaises sont bien performantes ? Montrer que la France tient à conserver tous ses avantages économiques (territoire de pêche) et l’ensemble de ses positions militaires dans l’océan Indien ? Inaugurer une plaque à la mémoire des esclaves abandonnés lâchement sur cette île en 1761, non seulement par un négrier mais par les autorités françaises qui ne jugèrent pas utile de retourner les chercher, les condamnant ainsi à la mort lente ? Y avait-il pour lui une autre raison ? Oui bien sûr… le tourisme. Une petite croisière au départ de la Réunion pour le nord de Madagascar et  le canal du Mozambique, au frais du contribuable, ce n’est pas désagréable, à condition naturellement que le ministre en question et ceux qui l’accompagnaient ne soient pas trop sujet au mal de mer. Vu la houle sur les côtes réunionnaises, ça a dû « secouer » !
Sur les quatre premières raisons de cette échappée ministérielle, deux sont particulièrement polémiques : la troisième et la quatrième.
On connaît la revendication territoriale des gouvernants de l’état mauricien concernant l’île Tromelin. Au nom de quelle loi internationale en effet, la France, si éloignée géographiquement, possède-t-elle ce minuscule territoire, comme d’ailleurs d’autres îlots inhabités dans le canal du Mozambique ? Même si la revendication des Mauriciens peut apparaître juridiquement légitime, on peut quand même leur faire remarquer que Tromelin se trouve plus près de Madagascar que de leur île et que les premiers occupants furent dès le XVIIIe siècle des Malgaches (les pauvres esclaves abandonnés durant une quinzaine d’années). Pourquoi veulent-ils Tromelin ? Pour la zone de pêche que constitue l’immense espace maritime qui l’entoure. Peut-être également pour un peu entamer la territorialité de la France dans l’océan Indien, en attendant d’oser un jour proclamer la souveraineté de l’île de La Réunion ? Ne riez pas. Maurice et La Réunion sont bien deux îles soeurs qui partagent des liens historiques et familiaux anciens durant tout le XVIIIe siècle, on l’oublie trop souvent. Elles n’auraient jamais dû être séparées. La faute en revient aux Anglais et aux Français au début du 19e siècle, pas aux Réunionnais et aux Mauriciens dont nul n’a demandé l’avis. Certes, l’île Maurice a obtenu son indépendance en 1968 à la suite d’une élection au suffrage universel (56% pour), mais il n’a pas été demandé aux Mauriciens s’ils souhaitaient rester coupés administrativement et physiquement de l’île soeur. Quand on voit le prix des vols Réunion-Maurice, on ne peut que se dire que c’est là une volonté politique de maintenir la séparation physique des deux populations. Mais revenons à l’affaire Tromelin. Le gouvernement de la France envisageait donc de céder un peu de sa souveraineté sur cet îlot, en offrant aux autorités mauriciennes une co-gestion. On comprend la surprise du ministre des affaires étrangères, Arvin Boolell, en apprenant la déclaration du ministre d’outre-mer français qui insiste longuement sur la souveraineté indiscutable de la France sur les îles éparses, Tromelin y compris : « à Tromelin, on est chez nous ! ». Décidément, les jacobins français sont incorrigibles. Pour eux, la France est et doit rester une république une et indivisible. Pas question donc de céder le moindre pouce de territoire et de souveraineté, y compris sur un atoll  perdu dans l’océan Indien… mais c’est vrai, il y a la mer et des ressources minières potentielles à exploiter demain… Si la recherche historique doit servir à éviter de reproduire les erreurs du passé, visiblement cela ne concerne pas ces gens-là. Huit ans de guerre au Vietnam et autant en Algérie avec des centaines de milliers de morts, avant de rendre à ces pays leur indépendance, n’ont pas servi de leçon. « La France est une république indivisible », reste toujours inscrit dans l’article 1 de la Constitution française, même après la dernière révision de 2008. Le plus drôle: c’est un député du Tarn, Région Midi-Pyrénées, qui s’est élevé contre ce qu’il appelle « un grave précédent d’abandon de souveraineté ». Pour un îlot de 1 km2, culminant à 7 mètres d’altitude, où il n’y a rien, mis à part des oiseaux de mer, des tortues et des crabes bernard-l’hermite ? Mais qu’est-ce que cela peut bien « f… » à un type comme ça, qui n’a jamais mis les pieds sur l’île Tromelin et ne les mettra probablement jamais ? N’a-t-il pas assez à s’occuper déjà avec les problèmes du Tarn qui est un des départements métropolitains où le taux de chômage est le plus élevé de France?    
Passons maintenant à l’autre raison de la petite « croisière » du ministre qui fait polémique, à savoir la pose d’une plaque à la mémoire des Malgaches, destinés à la vente, laissés sur ce minuscule îlot au milieu du XVIIIe siècle à la suite d’un naufrage, et dont on ne s’est préoccupé que quinze ans plus tard. En 1776, lorsque le capitaine breton Tromelin est venu les récupérer, sur les soixante personnes abandonnées (29 étant déjà mortes de soif et de faim au départ des Blancs), il ne restait que sept femmes et un bébé de huit mois, preuve que le dernier homme était encore vivant peu de temps auparavant. Cette plaque est très importante car elle rappelle que la traite négrière n’était pas moins brutale dans l’océan Indien que dans l’Atlantique. Le drame affreux dont elle est censée témoigner démontre le peu de sentiments humains que l’on avait à cette époque envers des êtres réduits à l’état de bêtes domestiques. Ils valaient si peu qu’ils ne méritaient même pas qu’on envoie un bateau pour les récupérer et les sauver de la folie et de la mort lente, le gouverneur français de l’Isle de France s’y étant opposé. A priori, le texte de cette plaque commémorative n’a guère d’importance non plus puisque ni les journaux locaux ni quelques sites internet n’en ont de photo, de telle sorte – on mesure le mépris – qu’on ne sait même pas ce qu’il y a d’écrit ! La plaque en question, grossier prétexte politique pour justifier un déplacement coûteux, risque fort de rester sans aucun effet sur la conscience populaire, vu le peu de visiteurs qu’elle recevra. Il aurait été plus judicieux de l’apposer à La Réunion dans un lieu de mémoire, genre lazaret de la Grande Chaloupe, ou à Maurice puisqu’un accord de cogestion de l’Ile Tromelin existe, ou encore mieux à Madagascar puisque le navire était rempli de Malgaches destinés à la vente. Soit ! le bateau négrier se rendait à l’Isle de France (Maurice) et non à l’île Bourbon (La Réunion) mais à cette époque les deux îles des Mascareignes se trouvaient sous le même gouvernement local, et il n’est pas certain que la totalité de sa cargaison aurait été débarquée dans l’île soeur. Au demeurant, on voit mal un ministre français aller déposer une plaque sur le territoire mauricien. Il aurait donc pu le faire à La Réunion, ce qui aurait eu l’avantage de mobiliser beaucoup plus de monde, notamment les nombreux Réunionnais qui militent pour la sauvegarde de la mémoire de l’esclavage. Mais le plus curieux dans cette opération n’est pas là. Victorin Lurel n’a pas daigné y associer un seul historien ou archéologue réunionnais. Sans doute, a-t-il été influencé par le président du GRAN, Max Guérout qui semble être le « petit » organisateur d’une bien minable inauguration. Ce dernier a annoncé qu’il prépare une 4e expédition à Tromelin en août 2013. La France n’est pas en crise financière pour ce Monsieur ! Il voudrait, paraît-il, retrouver les sépultures des Malgaches… Peut-être pour ramener des ossements humains à étudier dans les labos de France ? Le gouvernement malgache et les associations malgaches apprécieront cette « profanation » !
Pour revenir à notre sujet,  comment l’inauguration d’une stèle de mémoire, a-t-elle pu se faire sans y associer l’historien Sudel Fuma, Directeur de la chaire UNESCO de l’Université de La Réunion, et responsable du programme international « La route de l’esclave » ? Depuis de nombreuses années, le professeur Fuma entreprend, organise la pose et fait inaugurer près d’une dizaine de stèles dans les points les plus marquants de l’histoire de l’esclavage et de l’engagisme dans l’océan Indien : à Fort Dauphin à Madagascar, à Saint-Paul de La Réunion, au Morne à Maurice, à l’île Mozambique, à Mayotte, à Pondichéry et prochainement à Meixian en Chine. Quelles que soient les « bonnes » raisons pour l’avoir évité, l’absence du représentant réunionnais de l’UNESCO – faisant partie depuis 2011 du Comité Mondial des Experts de l’UNESCO sur les itinéraires de mémoires de l’esclavage et membre du comité des experts mondiaux pour la réalisation du 9e volume de l’Histoire générale de l’Afrique – aux côtés du ministre d’outre-mer français ne peut être vu que comme un état d’esprit colonial. Le plus grotesque, c’est que le ministre est lui-même un descendant d’esclave, tout comme Sudel Fuma ! Quant à l’attitude de Max Guérout, elle relève d’une forme de néocolonialisme intellectuel. Aujourd’hui, certains clament, à grand renfort de cours universitaires, de conférences et d’articles dans la presse, que la « colonie » à l’île de La Réunion, c’était avant 1946, année de la départementalisation, ou avant les années 60, début du rattrapage social avec la métropole, ou avant 1981, début d’une soi-disant décentralisation. De telles attitudes d’un ministre et de son archéologue montrent que La Réunion serait restée une colonie et le Réunionnais un indigène ne méritant pas leur considération. « Le dernier moment de l’histoire du colonialisme consiste à coloniser l’histoire du colonialisme », c’est bien ce qui se passe en ce moment pour servir des intérêts obscurs pour ne pas dire douteux. Cette opinion n’a rien à voir avec quelques divergences politiques. Je rappellerai que M. Sudel Fuma est non seulement historien, professeur des universités, mais qu’il fut un temps conseiller général apparenté socialiste d’un canton de Saint-Denis. A ma connaissance, il est toujours un homme de progrès!

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