Covid-19 : penser le temps long pour Maurice

AVINASH RAMESSUR

C’est entendu, il y a le feu à la maison. Le mot « guerre » a été utilisé. Nous sommes en fait dans une grave crise sanitaire exacerbée par une mauvaise préparation, un manque de moyens et une absence de vision et de projection. Le mot « guerre » ne fait que compenser tout cela en légitimant les actions radicales prises pour empêcher la propagation du feu. Mais seront-elles suffisantes pour éteindre ce feu et tous les autres foyers qui vont s’allumer ?

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Disons d’abord quelques mots sur les réalités sociales et les commentaires désobligeants constatés ces derniers jours. Ainsi, celui qui a pillé les réserves des supermarchés, parce qu’il en avait les moyens, se permet de donner des leçons au « misérable » qui se retrouve forcé à faire la queue pour acheter de quoi manger au jour le jour. Ou encore celui qui s’est fait des réserves de gaz ménager jusqu’à s’en mettre jusque là se gausse de la photo des petites gens entassées dans une queue pour satisfaire un besoin immédiat. La bêtise n’a pas de limites.

Il viendra aussi le temps des questions à ceux dont l’incurie nous fait nous retrouver dans cette situation. J’ai revu la vidéo du ministre répondant à la PNQ du leader de l’opposition un mois de cela.  La légèreté de sa réponse et les rires grotesques de ses acolytes pour tourner en dérision des questions sérieuses sont abjects. Mais pour l’instant, il y a le feu et nous nous devons d’être solidaires de ceux qui sont aux manettes en espérant qu’ils prennent les bonnes décisions.

Respectez donc les lois et les instructions données. Il y va de notre survie à tous dans l’immédiat. Mais au-delà de cela et le confinement aidant à la réflexion, il nous faut aussi penser à l’après-feu ou aux dégâts collatéraux causés par ce feu. Car notre nature humaine est ainsi faite qu’elle nous pousse à porter notre attention que sur le plus urgent.

La durée du problème sanitaire

Il nous faut bien comprendre que ce problème sanitaire sera sur la durée alors que le confinement ne pourra pas s’étendre sur une période trop longue. Admettons que nous arrivions à juguler la propagation courante, que cela signifiera-t-il ? La reprise des activités et l’ouverture des frontières ? Comment se protègera-t-on alors d’une deuxième vague d’importation du virus vers notre territoire si les mêmes méthodes bancales de filtrage sont utilisées ?  Beaucoup de scientifiques affirment que le problème pourrait s’étaler sur 12 à 18 mois, que prévoit donc notre gouvernement si tel est le cas ?

Les effets contraires du confinement

Les queues qu’on a vu pour avoir accès au supermarché sont une conséquence directe du confinement et non pas une lubie de gens qui veulent se contaminer. Les gens ont besoin de nourriture, le milieu urbain ne favorise pas la culture de quoi que ce soit, tout le monde n’a pas les moyens de s’acheter un frigo de la taille de l’ego de certains, les enfants ont besoin de lait en grand volume, les habitations se sont rétrécies et les espaces de stockage y sont minimes. Il s’agit donc de besoins permanents qui doivent être satisfaits régulièrement. Le modèle urbain débile qu’on a mis en place, l’expansion effrénée des supermarchés et la mort des petits commerces ont contraint les gens à s’inscrire dans un trafic régulier vers les centres commerciaux. Les queues sont donc la conséquence d’un modèle qui a nous tous failli en temps de crise.

Au-delà du discours ministériel, mon porte-monnaie l’a constaté directement, les prix ont gonflé de façon insidieuse. Mettre le monopole du commerce aux mains des supermarchés est une aubaine dont certains profiteurs ne s’en priveront pas. Alors faites votre travail réellement, Monsieur le ministre.

Et d’abord pourquoi les petits commerces n’auront pas le droit d’opérer eux ? La restriction de commercer aux supermarchés oblige les gens sans voiture (notamment les personnes âgées) à circuler en bus sur des trajets plus ou moins longs avec donc plus de risques de contamination. Cette décision manque donc de considération pour les petites gens bien plus nombreux que les friqués.

Les maux sociaux engendrés

La violence domestique, les maris alcooliques, les enfants toxicomanes, l’insécurité n’ont pas disparu comme par enchantement. Le confinement aura, au contraire, tendance à aggraver ces problèmes et il faut que les services publics soient en mesure d’y répondre et de continuer à protéger les plus vulnérables.

Le misérabilisme des services informatiques

Il a fallu un petit virus pour que tous les grands discours sur l’informatisation de nos services (notamment éducatifs) dégringolent au niveau de ce qu’ils sont réellement : pitoyables et vains. Les professeurs sont réduits à leurs propres imaginations pour essayer d’aider leurs étudiants. L’informatisation des services de santé, n’en parlons même pas. L’utilisation de la technologie pour informer ou contrôler la propagation du virus, non existante pratiquement. C’est ça la réalité du pays qui aspire à être « high-income ».

Briser la chaîne de la dette

Nous sommes devenus une société vivant de la dette, non pas par volonté mais par idéologie et établissement d’une structure bien huilée qui produit les résultats de la croissance économique fondée sur de la consommation. Mais, elle a un point faible que beaucoup de gouvernants refusent de voir en temps clément : elle nous fait mal au moins une fois par décennie et par temps orageux, elle coule beaucoup d’innocents.

L’autre réalité de notre pays est que bon nombre de gens n’ont jamais rien demandé à l’État et ses services, se débrouillant par eux-mêmes. Ce sont les entrepreneurs dont beaucoup sont dans le secteur informel (estimé entre 25 et 40% du PIB selon le FMI). Parmi ceux-là, beaucoup porteront un lourd fardeau économique sans avoir rien fait ou demandé pour cela. L’exemple typique est le marchand de dholl-puri sur son vélo.

Et ce ne sont pas les mesures pour le secteur formel qui les aideront. Il faut donc briser la chaîne de la dette et protéger les vulnérables de pratiques usurières potentielles :

• Pas de frais locatifs à payer pour aucun locataire (commercial ou individuel) pendant la durée du confinement et réagencement de dettes pour les bailleurs par les banques ;

• Interdiction d’activer la saisie des biens par les banques ou autres institutions financières pour les mêmes raisons ;

• Pas d’inscription dans le Mauritius Credit Information Bureau pour ceux qui n’arrivent pas à honorer leurs dettes pendant cette période de disette ;

• Pas de frais municipaux à payer pour les commerçants et autres marchands de foire ;

• Fonds d’aide pour ceux qui ont des stocks de produits périssables et qui ne parviennent plus à les écouler – marchands de légumes, petits planteurs, restaurateurs …

• Report de paiement des frais d’électricité et d’eau pour cette catégorie de personnes ;

• Report de paiement des impôts.

Protéger la presse indépendante

Je dis cela de façon indépendante. De par le confinement, je présume que la presse locale passera par des mauvais jours car elle dépend de sa trésorerie courante pour vivre. Nous avons besoin de cette presse, et il faudra protéger et garantir sa survie même si c’est pour critiquer les pouvoirs du jour car ils ne font en cela que leur devoir de contre-pouvoir essentiel dans une démocratie.

Agir sur les conséquences du confinement 

Le confinement donne du fil à retordre aux gens, soit par hyperanxiété et charge émotionnelle trop lourde à porter soit par immobilisme soudain engendrant des troubles de santé. Les mesures de confinement doivent s’accompagner de mesures préventives et de la possibilité des gens de continuer à s’exercer de façon raisonnable.

La Corée du Sud, une démocratie qui a réussi à surmonter le nouveau coronavirus sans confinement massif. Étrangement, on n’en parle guère.

Tordre le cou aux tendances anti-démocratiques

Justement, parlons de la Corée du Sud et adressons-nous à tous les perroquets qui nous citent le modèle de la Chine en exemple ad nauseam pour justifier la mise en place de régimes autoritaires sous prétexte que ces derniers savent mieux gérer les crises.  Comment d’abord faire confiance à une information sortant d’un tel régime et qui n’est pas vérifiée par un contre-pouvoir indépendant?

C’est ensuite le réflexe simpliste d’esprits incapables de penser au-delà du message dominant du jour et changeant d’opinion en fonction de la vague qui vient. C’est aussi le fruit d’un déficit en connaissance sur la démocratie, ses valeurs, sa construction et sa sauvegarde ainsi que ses droits et devoirs.

La démocratie ne nous a pas failli mais c’est nous qui avons failli la démocratie en plaçant (ou en laissant faire) des incompétents, des médiocres, des non-préparés, des amateurs, des tièdes aux positions de pouvoir parce que cela convenait à nos intérêts particuliers au lieu de penser à notre intérêt général. Finalement nous avons choisi comme peuple le faire-savoir plutôt que le savoir-faire, ce n’est étonnant que cela nous revienne en boomerang sur la figure en temps de crise.

La Corée du Sud s’en est sorti parce qu’elle avait un haut niveau de préparation, ses scientifiques sont parmi les meilleurs, son système éducatif est excellent, sa maîtrise des technologies informatiques n’est pas factice, son agilité à redéployer ses ressources est bonne et surtout elle a combattu pour maintenir un appareil productif et industriel de haut niveau sur son territoire.

Voilà donc le modèle à suivre !

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