Daniel Raymond : Objectif 2018, terminer la réforme de la Driving School

Recruté à Maurice il y a deux ans comme Road Safety Coordinator au ministère des Infrastructures publiques, dans le cadre d’une politique d’urgence nationale lancée en 2015 concernant la sécurité routière, Daniel Raymond annonce dans cet entretien les trois principaux chantiers de 2018 visant à réduire le nombre d’accidents sur nos routes. Celui qui a aussi été conseiller du gouvernement réunionnais en sécurité routière indique que l’objectif, cette année, est de terminer la réforme de la Driving School, de sorte que tous les moniteurs soient recyclés avant la fin de l’année. Outre cette réforme, les deux autres chantiers consisteront en l’éducation routière dans les établissements scolaires et au sein des entreprises. Analysant le comportement des Mauriciens au volant, notre interlocuteur estime que « tant qu’il s’agit de la vitesse et de l’alcool, le Mauricien peut comprendre ». Pour le reste, dit-il, « il a tendance à dire qu’on “a toujours été comme ça à Maurice”, mais cette attitude est à l’origine des accidents ». Selon lui, « l’égoïsme et l’individualisme sur la route n’ont pas de sens ».

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L’année a à peine débuté et neuf morts sont déjà dénombrés sur nos routes. L’an dernier, 157 personnes sont décédées dans des accidents de la route, contre 144 en 2016. Votre analyse ?

Il n’y a pas vraiment d’analyse de fond à faire parce que la situation est toujours la même. Je l’ai déjà expliqué, nous sommes dans un travail sur le long terme. Ce travail suppose que nous arrivions à compenser les défauts d’initiative de plusieurs années.

En gros, les choses que nous devons mettre en place principalement pour réduire le nombre d’accidents comprennent trois grands chantiers en 2018. Il y a d’abord la réforme de la Driving School. Par là, j’entends, enfin disponible à Maurice, d’une vraie pédagogie sur la conduite, d’un vrai plan national de formation pour tous les types de permis. On parle beaucoup des moto-écoles. On devra parler des autoécoles. On dit toujours qu’il faut commencer l’éducation routière dès le plus jeune âge. C’est le continuum éducatif. Nous allons rentrer en 2018 de la mise en place de ce continuum, avec le ministère de l’Education et des partenaires. Cela constituera le deuxième chantier. L’objectif est qu’il nous faut dès maintenant donner une meilleure éducation routière mais, surtout, un meilleur état d’esprit sur l’utilisation de l’espace routier.

Il n’y a pas à Maurice cet esprit de partage de l’espace ni cette notion du danger lié à la circulation routière. Cet esprit n’est pas présent et il faut le rendre présent. Il faut expliquer, éduquer : qu’est-ce que c’est qu’être piéton, qu’estce que c’est que d’être automobiliste… Mais au-delà de cela, quels sont les dangers qui menacent les usagers de la route. C’est pourquoi  on a autant d’accidents. On peut parler de l’incivilité mais, derrière cela, il faut aussi expliquer ce qu’est notre système, comment il fonctionne et comment on peut l’utiliser en l’état actuel, et comment on peut le faire évoluer. Le troisième gros chantier est l’action dans les entreprises. Soyons clairs : vous avez environ 180 000 à 200 000 scolaires et collégiens, qui constituent une cible privilégiée.

Dans le monde du travail, vous avez 200 000 à 300 000 personnes qui, elles aussi, constituent des cibles particulières. Nous avons proposé aux entreprises une action sur le moyen et le long termes, soit une charte signée par un certain nombre d’entreprises. Business Mauritius a décidé de prendre en main cette charte et de la piloter pour le secteur privé. Il est donc important de bien comprendre que tous ceux qui vont au travail sont exposés aux accidents mais ils ont une particularité qui constitue une ressource pour les entreprises : une force vive. Ce chantier vise un objectif très clair : zéro accident pour toutes les organisations qui adhéreront à la charte. On mobilisera des entreprises pour que toutes les personnes qui y travaillent ne soient pas exposées aux accidents.

Quand peut-on espérer voir ces chantiers porter leurs fruits ?

Ces chantiers 2018 sont déjà en route. Le chantier de l’éducation commence en 2018 avec « L’éducation de l’enfant cycliste ». Entre mars et juillet, en principe, on va commencer avec un programme de sensibilisation active, soit une éducation routière dans les écoles. Pour les collèges, ce sera une nouveauté à Maurice, avec sans doute une zone expérimentale à Flacq. Nous réglons les derniers détails. 2018 sera une année où on mettra en place une collaboration effective avec Prévention routière océan Indien, qui est notre support technique en matière d’outils pédagogiques. En ce qui concerne la charte, elle a déjà été adoptée et signée. Des annonces vont bientôt être faites. Nous réfléchissons au plan d’action de 2018. Concernant la Driving School, on finalise l’ouverture d’une motoécole. Et on lance en 2018 les réformes, notamment la formation des moniteurs, pour réformer en profondeur la pédagogie sur les permis de conduire.

On peut donc s’attendre à ce qu’en 2018 tous les moniteurs reçoivent cette formation ?

C’est l’objectif que tous les moniteurs actuels soient recyclés avant la fin de l’année. L’objectif est de terminer la réforme de la Driving School entièrement en 2018. Quant au continuum éducatif, ce sera plus long. C’est un gros travail qui prendra quelques années. Idem pour les entreprises. L’objectif du « zéro accident » au niveau des entreprises, c’est sur trois à cinq ans. Il y a des entreprises qui ont entre 30 et 40 salariés et d’autres, 10 000. Chacun ira à son rythme.

A quand donc les premiers résultats de ces réformes ?

Quand je suis arrivé, j’avais dit que les premiers résultats arriveraient entre la troisième et la cinquième année. Les deux premières, c’était la mise en place des outils. C’est en 2018-2020 que nous allons observer si les mesures que nous avons enfin commencé à appliquer portent leurs fruits. Là, on commence à les appliquer en petites touches. Les années charnières, pour moi, c’est 2018 à 2020.

Vous avez parlé de la pédagogie de la conduite et de l’éducation routière, à l’école comme dans les entreprises. Le problème des accidents semble ainsi majoritairement lié au comportement humain. C’est toujours le cas à Maurice comme ailleurs. Les études scientifiques sur les accidents montrent que dans 95% des cas, c’est un problème de comportement. Mais y a-t-il une spécificité comportementale bien mauricienne ?

Je dirais que oui. Il y a une spécificité parce que le système de circulation à Maurice est différent. La manière dont ce système s’est construit est différente. Ce qui fait que le Mauricien, aujourd’hui, qu’il roule à droite ou à gauche, qu’il dépasse par la droite ou la gauche, il n’a pas le sentiment de l’infraction puisque c’est comme cela que le système fonctionne. Donc, la difficulté pour nous, en termes de communication, c’est de ramener l’usager à une norme, et cette norme n’est pas facile à accepter puisqu’elle n’a jamais existé. Donc, dire au conducteur qu’il faut respecter la loi… Tant qu’il s’agit de la vitesse et de l’alcool, il peut comprendre. Pour le reste, il a tendance à dire : « On a toujours été comme ça à Maurice. » Or, cette attitude est à l’origine des accidents. Ce qu’il doit bien comprendre, c’est qu’il faut changer la manière d’être du système. Par système, j’entends les trois éléments : les hommes, les véhicules et les usagers. On travaille là-dessus en profondeur.

Et puis, il y a un quatrième chantier sur lequel le ministre insiste : la sécurisation des infrastructures. On doit supprimer les zones à risques. On doit faire un gros travail d’audit de notre réseau routier, non seulement en fonction de la qualité de ce réseau, c’est-à-dire « est-ce qu’il a été bien conçu ou pas », mais aussi de la manière dont les usagers se comportent. Je vois par exemple à Maurice que les gens dépassent énormément en ville et en dehors des villes. En France et à La Réunion, il est interdit de dépasser en ville. Il y a donc des règles comme cela… Les limites de vitesse en ville sont trop élevées. Je le redis : il faut revoir en profondeur les itinéraires des piétons et des cyclistes. Il y a 50 piétons qui sont tués chaque année. C’est aussi un problème d’infrastructure. Donc, le quatrième chantier, c’est l’amélioration de la qualité en termes de sécurité routière des infrastructures.

En parlant d’infrastructures routières, que pensez-vous de la route Terre-Rouge/Verdun, appelée à nouveau à fermer le soir alors même qu’elle devait rouvrir incessamment après des travaux ?

Je n’ai pas de commentaire en termes de sécurité routière. Je ne connais pas bien le dossier. C’est un chantier complexe sur un terrain extrêmement difficile. Nous avons notre équivalent avec la route du littoral à La Réunion. Ce n’est pas moi qui vais donner des leçons. On en est à la quatrième version de la route du littoral et j’espère que ce sera la dernière. Il faut distinguer la sécurité routière, c’est-à-dire l’usage qu’on fait de cette route. Je suis allé une fois sur un lieu d’accident, pas sur l’axe Terre-Rouge/Verdun, mais juste après. Quand je vois la vitesse à laquelle les voitures empruntent cette extension… On peut faire les meilleures routes qu’on veut, si les usagers ne comprennent pas que 160 ou 180 km/h sur une route est une vitesse hyperdangereuse…

Sans compter qu’on ne peut mettre de ralentisseurs sur les autoroutes. Le ralentisseur, en fait, doit être dans la tête des usagers. S’ils ne comprennent pas qu’il faut rouler moins vite…

Que préconisez-vous comme attitude ? Une conduite défensive ?

Lorsqu’on parle de conduite défensive, il faut avoir en tête que la conduite et le déplacement, en général, c’est une question d’anticipation. Il faut apprendre aux Mauriciens à regarder à droite et à gauche et à regarder loin. Ce n’est pas du tout dans sa culture. Le Mauricien ne regarde que devant lui. Deuxièmement, le danger est partout. Le danger n’est pas l’autre. Le danger, c’est moi. Mon pire ennemi, c’est moi.

N’importe quel usager, qu’il soit piéton ou automobiliste, doit se dire, en quittant chez lui, qu’il rentre dans une zone à risques, que cette zone à risques suppose qu’il s’organise. Par exemple, si vous entrez dans un centre commercial, vous voyez un panneau jaune indiquant que le sol est glissant, vous allez poser le pied prudemment.

On prend la route tous les jours. Les panneaux équivalents, on en a partout : « Stop », « Limitation de vitesse », « Feux »… Tous sont des signalisations de danger. Mais on passe outre ! C’est ce qui crée des accidents. Donc, le conseil que je donnerais, le travail de fond que l’on doit faire, c’est que nous devons nous poser la question : « Pourquoi considérons-nous que la sécurité routière ne nous concerne pas ? » Je le dirai un peu brutalement, mais quelquefois, j’ai l’impression que certains souhaitent l’échec de cette politique de sécurité routière pour pouvoir dire que c’est la faute à quelqu’un. Non, c’est la faute à tout le monde! Ce n’est pas la faute de celui qui fait la Road Traffic Act, ni du conseiller ni du ministre. C’est un système qui ne fonctionne pas. On est tous responsables. C’est l’affaire de tous. C’est aussi l’affaire des parents visà- vis de leurs enfants. Un parent qui offre une moto à son enfant doit en effet se demander si celui-ci sait piloter. Un parent qui offre une voiture à son enfant doit se demander si ce dernier sait conduire. On doit se demander si on est un usager responsable. Qui je mets en danger ? L’égoïsme ou l’individualisme sur la route n’a pas de sens.

J’entends souvent les gens dire : « Après tout, dans ma voiture, je suis libre. » Sauf que quelqu’un dans sa voiture est toujours le parent ou le frère de quelqu’un. Il a un lien avec la communauté. Il peut prendre le risque de briser ce lien. Sauf que quand ce lien est brisé avec sa famille, la société va recréer le lien avec les soins, la solidarité… Ce n’est donc jamais un acte isolé. On est jamais seul et encore moins seul au volant. Même si la route est faite pour nous, elle n’est pas faite pour être un espace de performance, de défi, etc. C’est un lieu de partage. La route est sans doute l’espace social le plus fréquenté. C’est l’espace où tout le monde se retrouve sur un pied d’égalité. Alors qu’il y a, à Maurice, cette culture du plus fort au plus faible. Les voitures se sentent plus fortes que les motos et les piétons.

Pensez-vous que les voitures sont trop puissantes pour nos routes ou qu’il y a trop de voitures qui circulent ?

Non, une voiture n’est pas un outil de puissance. La moindre petite voiture aujourd’hui peut rouler à 120/130 km/h, soit au-delà des limites de vitesse à Maurice. Il y a une autre manière d’utiliser une voiture : le confort, mais surtout l’utilité première étant d’aider à se déplacer. Elle n’est en aucun cas un outil de performance. D’ailleurs, les publicités aujourd’hui, contrairement à avant, où on vantait les voitures pour leur vitesse, vont de plus en plus vers le « charme », le « confort », la « sécurité », les « économies ».

Quelle est votre observation du comportement des piétons à Maurice, souvent présentés comme vulnérables, alors que de, l’autre côté, certains font preuve d’irresponsabilité en traversant l’autoroute ?

La définition de la vulnérabilité est une chose comme les cyclistes ou les deux-roues motorisés. Ils sont vulnérables dans la mesure où, en cas de choc, ils n’ont pas de protection. Il est évident que les piétons sont des usagers vulnérables. Maintenant, en tant que piéton à Maurice, je constate qu’il y a une absence de communication réelle entre l’automobiliste et le piéton. Les automobilistes et les deux-roues n’ont aucun souci du piéton.

La présence du piéton dans l’espace routier n’est pas leur problème. Ce qui renvoie la responsabilité des choix de sécurité au piéton. Dans leur quasi-totalité, tous ceux qui sont en mode motorisé n’ont rien à faire du piéton. Ce dernier doit se débrouiller parmi un flux de véhicules avec un espace routier qui n’a pas été conçu pour lui : un itinéraire organisé, des trottoirs, des passages prévus, etc.

Maintenant, concernant les piétons qui traversent l’autoroute, les cas emblématiques qu’on a, c’est la route qui mène à Pailles, et puis on a les piétons qui traversent à côté des “flyover”. Dans ces situations, je me garderai de faire des commentaires définitifs.

Ce que j’ai signalé au service technique, c’est que quand un piéton traverse, si c’est un lieu habituel, posons-nous la question de savoir pourquoi. Le piéton n’est pas suicidaire. Il a ses raisons de traverser, bonnes ou pas. Il y a des tas d’endroits où des piétons traversent l’autoroute parce qu’ils n’ont pas le choix, parce qu’on ne leur a pas offert d’autres systèmes pour traverser.

Mais à Pailles, il y a un « fly-over »… 

Ne nous focalisons pas sur Pailles. Combien de morts y a-t-il à Pailles. Je ne suis pas sûr que sur les 50 piétons qui meurent, on en ait un beaucoup dans cette région. Il ne sert à rien de se focaliser sur des endroits qui ne représentent pas forcément les lieux les plus dangereux. À mon avis, il y a plus de gens qui meurent dans les gares routières qu’à Pailles. Le travail qu’on a du mal à lancer à Maurice, c’est de comprendre le mécanisme de dysfonctionnement du système. Si effectivement des piétons sont tués à tel endroit, pourquoi cela se passe là-bas. Est-ce que c’est la faute du piéton, de l’infrastructure, de l’usager automobile ? Tant qu’on n’aura pas de réponses techniques, on ne pourra émettre d’hypothèses. On espère qu’on pourra, en 2018, faire de vraies analyses à ce sujet.

Pour en revenir au mauvais comportement des automobilistes, pensez-vous que les sanctions soient suffisamment sévères ?

Il est difficile de refaire l’histoire. Il est clair que si dès le début, la circulation dans la voie gauche et le dépassement à droite, comme le prévoit le code de la route, avait été un objectif prioritaire de contrôle et de sanction, on n’aurait pas eu ces comportements qu’on a aujourd’hui. Il est clair que si sur les “Learners motos”, on avait mis en place un système de formation correct, on n’aurait pas eu autant de personnes circulant de manière illégale à moto. Il est clair que s’il y avait un système de signalisation correct, il n’y aurait pas eu autant de flou dans l’interprétation. Mais on ne va pas refaire l’histoire. Le travail, aujourd’hui, c’est de se dire que nous avons tous hérité d’une situation et de savoir comment la normaliser. Ce n’est pas juste un problème de contrôle-sanction.

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