DÉBUT DE LA MISSION DES 23 ANS DU PÈRE LAVAL À MAURICE: Père Laval, seul prêtre missionnaire des Noirs de 1841 à 1845

14 septembre 1841 : Mgr Collier, qui a la responsabilité des catholiques de Maurice, débarque à Port-Louis avec ses quatre nouveaux prêtres. Il doit remettre de la discipline au sein du clergé catholique du pays et fait face à une administration britannique qui a tout un plan d’anglicisation de la jeunesse avec l’ouverture des écoles primaires. Mgr. Collier et ses missionnaires  arrivent dans un pays qui a connu, en 1835, l’Abolition de l’Esclavage : 66,000 esclaves sont devenus apprentis. Nombreux sont ceux qui ont abandonné le travail de la terre, d’où l’arrivée en grand nombre des immigrants indiens. L’Ile Maurice regroupe alors quelque 140 000 habitants dont 27% habitent Port-Louis. Le plan de Mgr. Collier est de destiner le Père Laval au soin des classes les plus pauvres et les plus humbles de la chrétienté, les noirs émancipés et les prisonniers. C’est la raison officielle mise de l’avant pour qu’un prêtre français soit accepté par l’administration britannique.
26 sept 1841 : la Mission des Noirs commence, la classe la plus indigente et la plus ignorante de la population. Père Laval habite dans la cure de la cathédrale, mais comme le va-et-vient des affranchis va poser des problèmes, il s’installe dans un petit pavillon en bois dans l’enceinte de la cure où il peut les accueillir. De 9h à 16h ils viennent un à un apprendre le signe de croix, les prières, les mystères de la religion. De 19h à 21h, ce sera la prière et catéchisme. Deux mois après, le 13 novembre 1841, 4 catéchumènes sont baptisés par Mgr Collier. Le Père Laval axe son travail auprès des couples afin de les stabiliser dans le mariage et de veiller à ce qu’ils s’occupent bien de leurs enfants. Il vit et travaille seul. Il apprend le créole.
Le 22 juin 1842 à son ancien supérieur de séminaire, M. Galais
Père Laval écrit cette lettre :
« Nous voici donc rendus dans cette pauvre île Maurice, dans cette portion de la vigne du Seigneur qui nous est échue en partage. Il m’est impossible de vous dire en quel état pitoyable est cette pauvre colonie. C’est un désordre et une corruption incroyables. C’est un mélange de chrétiens qui n’en ont que le nom, et d’idolâtres de toutes nations. Il y a ici des habitants de tout pays, qui y sont attirés par le désir d’y venir gagner de l’argent. J’ai à vous parler de nos pauvres Noirs; il y en a environ 80 000 dans l’Île ; peut-être plus de la moitié ne sont pas baptisés, et ceux qui le sont ne se conduisent pas mieux que les idolâtres. Il n’y a presque pas de mariés à l’église. Ils se quittent et se prennent plusieurs fois ; ils se sont adonnés beaucoup à l’impureté, à l’ivrognerie et à tous les plaisirs de la chair ; il y a un luxe et une vanité qui dépassent l’imagination.
Sa mission
Me voilà donc seul à m’occuper de cette pauvre classe et voici mes pauvres et chétifs travaux depuis 9 à 10 heures du matin jusqu’à 3 ou 4 heures de l’après-midi j’ai une petite chambre dans la maison de Monseigneur Collier, où je reçois tous ceux qui se présentent, pour leur apprendre leurs prières et les principaux mystères de notre sainte Religion; il en vient un grand nombre durant la journée. A 7 heures du soir j’en réunis, tous les jours, de 150 à 200 dans l’église, où tous ensemble nous récitons la prière, et où je leur apprends le catéchisme ; ça dure jusqu’à 9 heures et demie, et quelquefois jusqu’à 10 heures du soir.
Les dimanches, je leur dis la Sainte Messe à midi, et nous appelons ça la Sainte Messe des Noirs ; il y a fort peu de Blancs qui y assistent. Je leur fais réciter tout haut leurs prières et une petite instruction toute familière sur les Mystères, les Commandements de Dieu et les Sacrements. Puis, quelques-uns se confessent, et ça me mène jusqu’à 3 heures. J’ai eu le bonheur d’en baptiser une trentaine, qui donne beaucoup à espérer. Vingt ont fait leur première communion avec beaucoup de recueillement, je les ai mariés auparavant à l’église. Je trouve beaucoup d’opposition de la part des Blancs, qui voient d’un oeil d’envie qu’on ne fait aucune distinction, dans la maison de Dieu, de couleur et de condition, et plusieurs maîtres refusent de laisser leurs pauvres domestiques assister aux instructions. C’est de leur part que viendront toutes les difficultés à travailler au salut de ces pauvres abandonnés; ils se moquent de ces pauvres gens et leur donnent de bien mauvais conseils. Je ne suis pas trop bien auprès des Blancs, moi qui ne veux m’occuper que des Noirs.
Presque tous les Noirs meurent sans sacrements c’est rare quand ils font appeler un prêtre. On les a tant refusés et rebutés qu’ils n’osent se présenter à l’église. On est très embarrassé quand on est appelé auprès de ces pauvres délaissés. On les trouve dans le concubinage, ne connaissant ni le signe de la Croix ni aucun de nos mystères. Ils sont dans l’habitude du blasphème et de toutes sortes de péchés, et on n’a que quelques instants pour leur parler, car ils ne vous appellent qu’à la dernière extrémité. On ne sait comment faire, et, à chaque pas, on rencontre des cas de conscience dont on n’a rien dit dans la théologie.… Voilà, mon très cher Père, les détails que je puis vous fournir; plus tard, j’apprendrai à mieux connaître le pays, et je pourrai vous en instruire plus au long. »
Le style de vie du Père Laval
« Quant à moi, Monseigneur m’a mis bien au large. Je vis retiré dans un petit pavillon, où je reçois mes pauvres Noirs. Je mange seul et je n’ai presque aucun entretien avec les autres prêtres. On me connaît maintenant, on me laisse faire. Je ne suis ni bien ni mal avec personne. Je ne consulte que Monseigneur. Je vis à Maurice comme dans ma petite paroisse de Pinterville. Tout mon temps libre, je le passe aux pieds du Saint Sacrement, et c’est là que je vais me délasser. Je n’ai été encore chez personne de riche, mais seulement auprès des pauvres malades. Je ne remplis aucune fonction à l’église.
La porte de cette pauvre île est fermée à mes chers confrères, et peut-être que moi-même je n’y resterai pas longtemps; car le Gouvernement anglais ne veut pas que Monseigneur emploie des prêtres français pour l’exercice du saint ministère ; de sorte que me voilà tout seul pour ces pauvres gens : que la sainte volonté de Dieu soit faite ! ».
Premières impressions
… « J’éprouve, de temps à autre, du découragement de me voir tout seul. Encore si j’avais un de vous pour m’aider et pour m’encourager, mais seul et tout seul ! Cependant, que la sainte volonté de Jésus, mon divin Maître, soit faite en moi, en tout et partout ! Le ministère, ici, c’est la même chose que de l’exercer au milieu de cette pauvre et misérable population de Paris ; ce sont les mêmes vices ; il faut patience et courage »…
« Beaucoup viennent entendre la parole de Dieu, peu la mettent en pratique »
…Je prie les bons Messieurs qui désirent travailler à cette grande oeuvre de ne pas se faire illusion et croire qu’on n’a qu’à se montrer pour convertir ces pauvres gens. Non, ce n’est qu’à force de patience, de persévérance et beaucoup de prévenance envers eux, qu’on peut en avoir quelques-uns. Mais, ici comme ailleurs, beaucoup viennent entendre la parole de Dieu, et peu la mettent en pratique. On se borne à leur apprendre le strict nécessaire, leurs prières, leurs trois mystères, le plus simplement possible, puis les sept sacrements, et surtout à ne pas jurer, à ne pas se livrer à l’impureté, à l’ivrognerie et aux autres gros vices; et ce n’est que dans quelques années qu’on pourra commencer à voir quelque bien, s’il plaît à Dieu de bénir mes pauvres et chétifs travaux. Le diable est aussi jaloux ici d’avoir des âmes qu’en France, et ce n’est qu’avec dépit et rage qu’il se voit chasser de ses retranchements.
Aumônier de la prison de Port-Louis depuis 1842, il les fait prier matin et soir
Monseigneur a obtenu la permission d’envoyer aux prisons un prêtre pour enseigner ces pauvres malheureux, qui, jusqu’ici, avaient été livrés entre les mains d’un maître d’école protestant, et c’est sur moi que Notre Seigneur a daigné jeter les yeux pour aller porter quelque consolation à ces pauvres affligés.
Notre-Seigneur et divin Maître me conserve jusqu’ici assez de santé, malgré la chaleur du pays, qui est bien plus grande qu’en Europe; vous êtes au fort de l’hiver, et nous au fort de l’été. Le jour de Noël, à la messe de minuit, je suais à grosses gouttes, et je ne pouvais me persuader que j’étais dans la pauvre étable de Bethléem avec mon Sauveur, tout raide et froid…
Je demande à Notre Seigneur qu’on daigne m’envoyer au moins un de vous pour m’aider, et surtout pour me fortifier et m’encourager, et surtout pour nous entretenir quelquefois ensemble du bon Dieu, car je n’ai à qui parler du divin Maître. On s’occupe de tout, excepté de lui seul. J’en cause quelquefois avec Monseigneur (Collier), mais ce n’est qu’en passant, tant ses occupations sont grandes. C’est vraiment un saint homme et ayant l’esprit apostolique. C’est un homme d’oraison et de prière. Heureuses les colonies qui possèdent de tels évêques…
«… Par la prière et par le jeûne que l’on arrache les victimes au diable »
Voilà, mon très cher Père et mes très chers Frères, les petits détails que je puis vous donner. Je ne vois rien encore. Notre Seigneur veut que je travaille dans l’obscurité. Que sa sainte volonté soit faite ! L’avenir m’apprendra à connaître ces pauvres gens et les meilleurs moyens à prendre pour travailler à leur salut…. … J’apprends de jour en jour que ce n’est pas avec de belles paroles que l’on arrache les victimes au diable, mais par la prière et par le jeûne. C’est le Maître, qui est la vérité même, qui l’a dit. Recommandez le pauvre missionnaire et ses chers fils, les pauvres Noirs, à Notre Dame… »
Les méthodes missionnaires du Père Laval
Le catéchisme du soir avec le « vieux monde » pour bien préparer « les persévérants » à la première communion. Cela entraîne au départ des désordres de la part des Blancs.
Le catéchisme des enfants pour les préparer à leur Première Communion.
La formation des catéchistes et conseillères qui deviennent par la suite responsables des petites communautés chrétiennes. Ce sont ces domestiques qui deviennent les missionnaires de leur maître.
Les  petites chapelles : le Père Laval instaure dès 1844-1845 une méthode missionnaire inédite; il fonde dans toute l’île de petites chapelles, où des laïcs, hommes ou femmes, réunissent les Noirs, pour la prière et le catéchisme, et forment de véritables communautés évangélisatrices.
La première de ces chapelles qui est devenue par la suite, l’Église du Saint Coeur Immaculé de Marie a été aménagée dans une boulangerie à Petite Rivière en 1845. Une statue de la Vierge a été le lieu de ralliement de la petite communauté.
A M. Libermann, le 15 octobre 1844
En 1844, la mission commence à porter des fruits :
« Les esprits reviennent beaucoup en faveur de la religion, même du côté du Blanc »

Voilà trois années que nous travaillons la terre de Maurice et jusqu’ici nous avons fait bien -peu de récolte; les esprits étaient si mal disposés, on était si mal prévenu en notre faveur à notre arrivée ! Tout était contre nous, et le Noir et le Blanc, et pourquoi ça? A cause des scandales en tout genre qu’avaient donnés les prêtres, nos prédécesseurs (…) ; mon cher Père, qu’un mauvais prêtre fait de mal, et qu’il faut du temps pour faire oublier ses scandales, et son inconduite !
Voici, Monsieur le Supérieur, le fruit de trois années; à peu près deux cent cinquante personnes instruites et baptisées, Malgaches et Mozambiques, trois cent cinquante et quelques mariages, tant créoles que Malgaches et Mozambiques, à peu près trois cent vingt Premières Communions, peu de jeunes, presque tous des vieux; presque tout a persévéré; excepté quelques jeunes filles et jeunes gens que l’on a été obligé d’éloigner des sacrements, à peu près dix-huit à vingt.
Je suis très difficile pour donner le baptême et le mariage et surtout pour la Première Communion, non pas pour l’instruction, mais pour la conduite , il me semble qu’il faut prendre bien des précautions pour tâcher d’assurer la persévérance et qu’il vaut mieux avoir trois à quatre cents bons chrétiens, que de faire faire la Première Communion à tort et à travers et de voir des déserteurs. Je ne sais si ma manière de voir est bonne du reste, ces bonnes gens ont grande confiance dans leur pauvre Père, ils ne font rien soit pour le temporel, soit pour, le spirituel sans consulter et sont dociles à suivre ce qu’on leur a dit, du reste, les esprits reviennent beaucoup en faveur de la religion, même du côté du Blanc; peut-être que Marie aura pitié de nous. »
Voilà, Monsieur le Supérieur, mon genre de vie depuis trois ans ; quelquefois un peu fatigué, mais allant cependant toujours clopin-clopant.    
J’espère que Marie aura pitié de son pauvre missionnaire et que bientôt elle lui enverra un ou deux confrères… Si nous avions trois missionnaires à Maurice, nous pourrions faire quelque bien; un seul, c’est trop fatiguant et éreintant… »

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