DÉMOCRATIE REPRÉSENTATIVE…: Sans représentation permanente de l’Opposition ?

PARVÈZ DOOKHY

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Nous sommes, à Maurice, en régime parlementaire. Nous élisons les représentants de la Nation, les députés, au sein de l’Assemblée nationale. Nous n’avons qu’une seule et unique élection nationale, les élections législatives.

Dans un régime parlementaire classique, de type Westminster comme le nôtre est censé l’être, la chambre des députés est composée de deux, voire éventuellement trois groupes : la majorité, l’opposition et des indépendants. L’Opposition parlementaire a un réel statut. Son chef est désigné par le Chef de l’État et non pas par l’opposition parlementaire elle-même (article 73 de la Constitution). Lorsque Maurice était encore une monarchie avec Elizabeth II comme Reine, le Leader de l’Opposition portait, comme en Grande-Bretagne, le titre de « Chef de l’Opposition de sa Majesté » (Her Majesty’s Leader of the Opposition).

Le Leader de l’Opposition est essentiel constitutionnellement.

L’article 49 du Règlement intérieur (Standing Orders) de l’Assemblée nationale encadre la procédure d’exclusion temporaire (suspension) d’un député pour avoir troublé l’ordre ou s’être livré à une scène tumultueuse. Si le règlement intérieur fait mention de la discipline applicable à tout membre (a Member) de l’Assemblée, on peut légitimement s’interroger sur son applicabilité au Leader de l’Opposition (parlementaire).

Le Leader de l’Opposition est un organe constitutionnel. Par définition, le Leader de l’Opposition exerce ses fonctions constitutionnelles essentiellement au sein de l’Assemblée. En suspendant le Leader de l’Opposition au Parlement pour deux séances, celui-ci n’a pu exercer ses fonctions constitutionnelles. Il n’a pas d’adjoint. Aucun autre député ne peut assumer ses fonctions constitutionnelles en son absence au Parlement. Un déséquilibre institutionnel a été créé. Pour l’analogie, on ne peut imaginer un seul instant une exclusion temporaire du Premier ministre du Parlement, encore que celui-ci a un adjoint.

La décision de suspension d’un organe constitutionnel constituait une violation de la Constitution. La Constitution, dans notre système juridique, est la norme suprême et toute norme inférieure, en l’occurrence le Règlement intérieur de l’Assemblée, doit lui être conforme. Une norme inférieure, dans sa mise en œuvre, ne peut pas avoir pour conséquence l’anéantissement, même temporaire, d’un organe prévu par la Constitution.

Le Leader de l’Opposition aurait dû saisir en référé le juge afin d’être rétabli dans ses fonctions. Le juge a le pouvoir de contrôler les décisions internes de l’Assemblée.

Sur un plan politique, il aurait dû revenir au Président de la République, en faisant application de l’article 73-4 de la Constitution, de nommer un autre Leader de l’Opposition dans la mesure où le Chef de l’Opposition a été suspendu et ne pouvait plus être présent au sein de l’Assemblée. En effet, cet article donne pouvoir au Président, en agissant de son propre chef, de nommer un successeur au Leader de l’Opposition lorsque celui-ci ne semble plus être le chef sur les bancs de l’Opposition. Bien entendu, il l’aurait renommé à son retour à l’Assemblée à son poste de l’Opposition.

Dans le cas où le Président de la République n’entendait pas faire usage de son pouvoir, alors le Leader de l’Opposition aurait pu démissionner en tant que tel de son poste (tout en exerçant préalablement un recours juridictionnel contre sa suspension), ce qui aurait obligé le Président à lui nommer un successeur, le temps de sa suspension quitte encore une fois à ce qu’il soit renommé à ce poste à la fin de son exclusion temporaire.

 Nous ne pouvons, dans un système parlementaire fondé sur l’équilibre institutionnel, permettre à la majorité du droit de priver l’Opposition d’un Chef au Parlement. Autrement, ce serait contraire à l’idée même d’un État de droit ou du Règne du droit (Rule of Law). La suspension du Leader de l’Opposition, sauf cas infiniment exceptionnel, ne peut être prononcée sur simple incident avec le Speaker.

 D’une manière plus générale, il y a lieu de réfléchir à un mode différent de règlement des incidents au Parlement. Régler les incidents en séance, constitue en réalité une façon d’empêcher le débat, le contrôle de l’action du Gouvernement par l’Opposition. Dans d’autres pays, les manquements au Règlement intérieur de l’Assemblée se discutent en petit comité, par le Bureau (une cellule comprenant le Président de l’Assemblée et des représentants de différents groupes). En lieu et place des exclusions temporaires, l’on peut imaginer d’autres sanctions, par exemple une retenue sur le traitement (salaire), ce qui serait plus efficace que la suspension qui porte atteinte en soi au bon fonctionnement des institutions.

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