DÉPÉNALISATION DE L’AVORTEMENT: Un événement heureux pour les uns, un crime pour les autres

Le projet de loi en vue de dépénaliser l’avortement sous certaines conditions spécifiques a, comme attendu, suscité des débats et des prises de positions passionnés. Ceux-ci se poursuivront encore d’autant que ce mardi, l’Attorney General Yatin Varma présentera le Criminal Code (Amendment Bill) en première lecture à l’Assemblée Nationale. Jusqu’ici, les partis de l’opposition n’ont pas donné leur avis sur la question, laissant, disent-ils, le soin à leurs députés de voter selon leur conviction. Mais entre-temps, les réactions de part et d’autre ont permis au gouvernement de cerner l’opinion publique sur ce sujet qui pourrait ne plus être un tabou.
Jusqu’à ce que le Criminal Code (Amendment Bill) ne soit promulgué, à condition d’être voté au Parlement, l’interruption volontaire de grossesse sera considérée comme un délit et sera, par conséquent, sanctionnée selon les prévisions de la loi à cet effet. Mais quoi qu’en dise la loi, il est un fait connu qu’une femme qui prend connaissance de sa grossesse, avortera si elle le veut. Quitte à mettre sa santé en danger. Les quatre critères stipulés dans le projet de loi, pour lesquels l’avortement serait autorisé, ne concernent pas de nombreuses femmes qui, à un moment de leur vie, pourraient considérer l’interruption de leur grossesse.
D’ailleurs, si une étude est faite dans ce sens, il ne serait pas surprenant de voir que de nombreuses femmes ayant eu recours à l’avortement ne l’ont pas fait uniquement parce qu’elles ont été victimes d’agression sexuelle, ou parce que leur grossesse représentait un danger pour leur vie ou celle de leur foetus, ou encore parce que des spécialistes ont détecté des risques de handicap sévère chez leur bébé si elles choisissent de mener leur grossesse à terme.
Au lendemain de la publication de la décision du Conseil des ministres d’introduire le projet de loi légalisant l’avortement dans certains cas – décision soutenue par la Law Reform Commission –, le sujet a vite fait l’objet de débats passionnés. Le contraire aurait été étonnant, puisque les voix pour et celles contre l’avortement ont régulièrement fait entendre leurs positions dès que l’occasion s’est présentée. C’est-à-dire surtout lorsque le sujet fait l’objet de fait-divers ou encore lorsque l’éducation sexuelle en milieu scolaire est abordée.
Aucune obligation
Maintenant qu’il est question de légaliser et voire, de décriminaliser en partie l’avortement, le débat est plus que jamais d’actualité. Mais en défendant sa philosophie et ses convictions sur la fécondation, le statut de l’embryon, du foetus… chaque partie active dans ce débat – et ce, qu’elle soit en faveur ou pas d’une éventuelle loi autorisant l’avortement à Maurice – devrait prendre en considération que les principes personnels fondés sur la foi religieuse ou pas n’ont absolument rien à faire avec la législation. De plus, s’il est adopté, le Criminal Code (Amendment Bill) n’est en rien une obligation à l’avortement. Car la décision finale du recours à l’IVG devrait revenir à la personne la plus concernée: la femme.
Dans leur lettre ouverte adressée aux parlementaires cette semaine, les représentants des Églises catholique (Mgr Maurice Piat et Mgr Alain Harel) et anglicane (Mgr Ian Ernest), respectivement, demandent à chaque député, au moment de voter le projet de loi à l’Assemblée Nationale, de « voter, non pas selon les directives de son parti politique, mais en son âme et conscience, une conscience éclairée par la sagesse humaine. » Quel sera l’impact du message des dirigeants des deux églises? « Aucun! Le Parti Travailliste, le PMSD et le MSM sont plutôt du genre à vouloir se défaire des lois qui remontent à l’ère coloniale. Quant aux députés du MMM: parti plus enclin à accorder une attention à la hiérarchie de l’Eglise… on ne sait jamais! », observe un politique. Néanmoins, ce dernier pense que le projet de loi a toutes les chances d’être voté. Le MSM, qui a été interrogé par la presse, vendredi dernier, sur sa position sur le projet de loi, n’a donné aucune indication précise. Pour le parti, il reviendra à chaque parlementaire du MSM de se prononcer au moment voulu, selon son opinion. Il en serait de même du côté du MMM, le parti laissant le choix à ses députés de voter sans consigne.
Les églises catholique et anglicane s’unissent pour le même combat
En s’adressant aux ministres et parlementaires, les évêques catholiques et anglican ont opté pour une conclusion fondée sur un discours à caractère politique. Légaliser l’IVG, disent-ils, reviendrait à « céder aux diktats des Nations Unies. » Ils font appel à la mémoire. Dans les années 60, écrivent-ils, Maurice « a su résister » aux pressions de cette instance qui voulait introduire la stérilisation pour gérer la surpopulation et « au Fonds Monétaire International et à la Banque Mondiale qui voulaient démanteler le Welfare State. » Mais la lettre des chefs religieux reste essentiellement axée autour d’un problème éthique concernant la défense de la dignité de la personne: la femme et l’enfant dès sa conception. Chaque point rendant l’avortement possible, avancé par le projet de loi, est réfuté.
S’agissant du premier cas, « where the continued pregnancy will endanger the pregnant person’s life », les évêques rapellent que « Dans certaines conditions médicales spécifiques (…), le traitement médical prodigué à la maman en danger de mort entraine souvent la mort de l’enfant qu’elle porte. Ici, s’applique le principe moral connu comme celui du « double effet ». Selon ce principe, le médecin engage un acte médical qui vise à sauver la vie de la femme. Si en même temps, ce geste médical entraîne la mort du foetus, celle-ci en est l’effet secondaire et non pas le but visé qui était de sauver la mère. L’acte posé avait un double effet mais un seul et unique objectif. Dans ces cas-là, on ne peut vraiment parler d’avortement. »
Pour ce qui est des deuxième et troisième cas, « the termination is necessary to prevent grave permanent injury to the physical or mental health of the pregnant person » et « there is a substantial risk that the continued pregnancy will result in a severe malformation, or severe physical or mental abnormality, of the foetus, as assessed by the appropriate specialists », ils écrivent: « Dans ces deux alinéas, pour la femme comme pour l’enfant, il s’agit de risques et non de certitudes (…) Cette provision de la loi témoigne clairement du refus de laisser vivre une personne avec handicap physique ou mental (…). »
Et finalement, sur le quatrième critère: « The pregnancy has not exceeded its fourteenth week and results from a case of rape, sexual intercourse with a female under the age of 16 or sexual intercourse with a specified person which has been reported to the police or a medical practitioner », ils pensent que: »Même si une vie humaine a été conçue dans des circonstances difficiles ou offensantes pour une femme, la vie humaine reste une vie humaine, innocente, fragile et nous en sommes tous responsables. Nous n’avons pas le droit de l’éliminer parce qu’elle est considérée gênante (…) Dans le cas de relations sexuelles avec mineures de moins de 16 ans (…), permettre l’avortement équivaudrait à faire de l’avortement un moyen de contraception (…) Quant à la limite de 14 semaines, elle est très arbitraire car si on considère que la vie commence dès sa conception, elle doit être respectée dès la conception. Mais si on considère qu’il n’y a pas de vie humaine dès la conception, alors on n’a plus aucune raison de mettre quelque limite que ce soit jusqu’à la naissance, ce qui répugne à la conscience humaine. »
Toutes les femmes présentent un faible risque d’accoucher d’un bébé handicapé
Si le moment où commence le statut de la personne humaine est un débat où les différents courants ont du mal à trouver un terrain d’entente, il en est de même pour la question de l’IVG si le foetus encourt des risques de difformités. Si la grande majorité des bébés naissent normaux, toutes les femmes, indépendamment de leur âge, présentent un faible risque d’accoucher d’un be?be? avec un handicap physique et/ou mental. Dans un document sur le dépistage prénatal 11e-14e semaine, publié par l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont de Montreal, les spécialistes donnent leur avis et des informations sur le dépistage en vue de détecter des formes de handicap sévère chez le foetus.
On peut y lire: « L’e?chographie foetale pre?coce entre la 11e et 14e semaine permet d’e?valuer le risque pour votre be?be? d’e?tre porteur d’une anomalie chromosomique en tenant compte e?galement de votre a?ge. Elle permet aussi de mieux pre?dire votre date d’accouchement et de ve?rifier la pre?sence de certaines anomalies physiques majeures. L’e?chographie foetale pre?coce ne permet toutefois pas de de?tecter tous les de?fauts physiques. Il est donc toujours recommande? d’effectuer une e?chographie foetale plus de?taille?e vers la 18e-20e semaine de grossesse. L’e?chographie pre?coce ne donne qu’une e?valuation du risque du syndrome de Down (Ndlr: Trisomie 21). Pour de?terminer clairement si le foetus est porteur d’une anomalie chromosomique, un test effractif (invasif) est requis. Ce test comporte toutefois un risque de 1% de perdre la grossesse (fausse-couche). »
Une loi qui dé-tabou-isera l’avortement
En prenant en compte le troisième critère du projet de loi, il est attendu que le gouvernement prenne toutes les dispositions qui conviennent permettant l’accès aux tests de dépistage dans les hôpitaux. Il serait aussi intéressant de savoir comment la loi, une fois amendée, sera appliquée. Quels protocoles seront dégagés lorsqu’un avortement est préconisé? Favorable à la décriminalisation de l’avortement, Lindsey Collen, de Lalit, est optimiste quant à l’implémentation des mécanismes qui suivront dans l’éventualité de l’adoption du Criminal Code Amendment Bill. Ce sera aussi l’occasion, note-t-elle, d’atténuer le tabou autour de l’avortement. « Une femme qui présentera des complications suite à un avortement qui a mal tourné n’hésitera pas à se rendre à l’hôpital », dit-elle. Certes, mais une femme qui n’a pas eu recours à l’IVG selon les clauses légales, encourt toujours le risque d’être poursuivie et condamnée pour dérogation à la loi. C’est aussi pour cette raison que Lindsey Collen est d’avis que le Criminal Code (Amendment Bill) est restrictif. D’ailleurs, le Muvman Liberasyon Fam ((Lalit), dit-elle, a l’intention de poursuivre son combat pour que d’autres femmes en détresse ne soient pas victimes de la répression.
Alternatives
Ceux qui, cette semaine, se sont prononcés contre le projet de loi proposent des alternatives à l’avortement. Pour les évêques des églises catholique et anglicane, respectivement, il faut d’abord « s’attaquer aux causes de la prolifération de l’avortement et non pas rester sur la gestion des conséquences. » L’éducation sexuelle, à la vie, à l’engagement dans le mariage est prioritaire pour prévenir l’avortement. Les chefs religieux proposent le renforcement des moyens de soutien aux femmes en détresse et pensent qu’il faut simplifier les procédures d’adoption. Venue à l’avant cette semaine pour dire non à la légalisation de l’avortement, la Plate-forme Pour la Vie, qui regroupe plusieurs voix connues – dont Monique Dinan, du Mouvement d’Aide à la Maternité – dévoilera ses alternatives aux Parlementaires lors d’une rencontre qu’elle organise demain, à Port-Louis. « Un avortement, fait remarquer Lindsey Collen, est bien souvent le résultat d’une contraception qui n’a pas marché. » Partant de cette observation, il faudrait que le gouvernement se penche sérieusement sur une stratégie à adopter pour le contrôle des naissances dans des régions concernées par cette problématique. Le contrôle des naissances est aussi une alternative à l’avortement.

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