DÉRAPAGES SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX : Une liberté qui a un prix

Aujourd’hui, les réseaux sociaux les plus fréquentés à Maurice sont Facebook, Twitter et Badoo;chacun se voulant une plate-forme d’expressions, de communication, voire d’informations ou de partage. À travers le monde, Internet compte 2,3 milliards d’utilisateurs: YouTubetotalise un milliard d’utilisateurs,Instagramen compte 100 millions etLinkedIn,200 millions de membres. Badoo.comcompte plus de 100 millions d’inscrits. Le nombre d’utilisateurs pour Twitterest plus d’un demi-milliard, Pinterest,20 millions d’inscrits et Facebooka dépassé YouTubeet compte plus d’un milliard de comptes. Outil de communication et outil pédagogique, les réseaux sociaux peuvent aussi être à l’origine de dérapages plus ou moins graves. Jamais communiquer n’a été aussi facile qu’aujourd’hui, à tel point qu’à l’heure actuelle les réseaux sociaux ont su s’imposer comme étant une nouvelle norme sociale, approuvée par et pour la population. Quel impact ces nouveaux canaux de communication ont-ils sur la société? Nos interlocuteurs, le sergent Robin Bhundoo de la Cybercrime Unit de la CCID et Azhagan Chenganna, chargé de cours en Communication à l’Université de Maurice, en parlent…
«La liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres»
Cette phrase, connue depuis des siècles, est reprise par nos interlocuteurs. En effet, pour le sergent Robin Bhundoo de la Cybercrime Unit du CCID, «de même que dans la société il faut respecter un certain code de conduite, ce même code est valable sur la toile. Toute personne a le droit d’avoir sa propre opinion et de partager une critique. Mais il faut savoir critiquer sans blesser la sensibilité d’autrui ou d’une institution quelconque. D’autant plus que Maurice est un pays multiculturel, de ce fait, une critique peut facilement être source de contrariété. Il existe des lois qui encadrent le cyber monde (ndlr: voir plus loin) et les gens doivent savoir utiliser convenablement l’ordinateur et l’Internet.» Qu’en est-il de la «liberté d’expression»? Pour le sergent Robin Bhundoo, «la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres. C’est une chose à ne pas oublier.» L’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée en 1948 à Paris, stipule que «Everyone has the right to freedom of opinion and expression; this right includes freedom to hold opinions without interference and to seek, receive and impart information and ideas through any media and regardless of frontiers». (En français : Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit). Souvent, c’est au nom de la liberté d’expression que les abonnés des réseaux sociaux se permettent d’«exprimer» leur pensée ou leur opinion, au risque parfois de toucher la sensibilité des internautes. Alors que via Twitter, les hashtagsnous permettent d’interagir directement avec les autres récepteurs du contenu d’un média (commenter une émission de télévision en direct, par exemple), via Facebook,nous sommes sollicités à nous exprimer directement à l’ensemble de notre réseau de contacts, nos messages ayant ainsi une portée tellement décuplée qu’il est quasiment impossible aujourd’hui d’en évaluer la portée réelle. 
«Le maître-mot est la responsabilité»
Pour Azhagan Chenganna, chargé de cours en Communication à l’Université de Maurice, les réseaux sociaux à l’instar de Facebook et Twitter, entre autres, ont libéré la parole du public. «Les réseaux sociaux sont aujourd’hui devenus un espace d’expression pour les internautes, et un lieu où les gens s’expriment librement. Mais liberté rime aussi avec responsabilité.» Il estime que bien que la Constitution de Maurice garantisse la liberté d’expression de tout un chacun, cette liberté doit s’accompagner de la responsabilité en tant que membre d’une société. Il ne faut pas oublier qu’un commentaire est lu par des dizaines, voire des centaines, de personnes. L’internaute doit prendre garde à ses engagements sur Internet. Lorsqu’il s’inscrit sur un réseau social par exemple, il s’engage à respecter les conditions d’utilisation de celui-ci. «Le maître-mot est la responsabilité de tout internaute», souligne Azhagan Chenganna. Un internaute peut voir sa responsabilité engagée pour toutes ses actions causant un dommage à autrui (par exemple, une atteinte à la vie privée) ou déterminant une infraction pénale (par exemple, une usurpation d’identité). «Les dérapages sur les réseaux sociaux viennent montrer la nécessité d’éduquer les internautes», note le chargé de cours, qui estime qu’il faudrait avoir un programme d’éducation pour la cyber-population qui puisse prendre en considération le respect de l’autre, des institutions et le respect interculturel, entre autres. 
Certains propos se sont effectivement montrés blessants à la sensibilité des Mauriciens, causant de vives réactions à la fois sur la toile que hors le web. Les dérapages des personnes sur les réseaux sociaux sont souvent mis sur le compte de la liberté d’expression, mais il existe des lois sur l’utilisation de l’ordinateur et de l’Internet qui viennent préciser que la Constitution ne garanti pas une liberté absolue. En effet, si la liberté d’opinion – qui consiste en la liberté de pensée associée à la liberté d’expression – permet à chacun de penser et d’exprimer ses pensées sans censure préalable, si cette liberté porte préjudice à quelqu’un, elle est passible de sanctions. L’Information and Communication Technologies Act 2001 et le Computer Misuse and Cyber-crime Act 2003ont des sections spécifiques à ce sujet. Lorsqu’un dérapage quelconque est identifié par un internaute, celui-ci peut loger une plainte directement à la police ou référer le cas à l’Information & Communication Technologie Authorities(ICTA), l’autorité de régulation des technologies de l’information et de la communication, qui réfère à son tour le cas à la police. La Cybercrime Unitde la Central Crime investigation Division (CCID) se charge ainsi de déterminer si offense il y a et prend des mesures en conséquence qui peuvent déboucher sur une arrestation et être traduit en Cour de justice.
Ce qu’en dit la loi
«Malheureusement, certaines personnes abusent de l’utilisation des réseaux sociaux et créent de faux profils et la plupart du temps, ces faux profils ont pour but de nuire à d’autres personnes. Ces pages comprennent souvent des images inappropriées et obscènes prises soit sur un appareil photo ou illégalement copiées d’un autre profil. Dans de nombreux cas, l’imposteur s’imagine créer un faux compte pour s’amuser et n’en considère pas les conséquences», souligne le sergent Robin Bhundoo. «Prenons un simple scénario: je crée un faux profil consciemment pour nuire à quelqu’un. Ma première action est donc de créer ce faux profil dans une mauvaise intention. Ensuite, une fois le compte créé, j’inscris des propos indécents ou insultants à l’égard de quelqu’un. Cela consiste donc en ma deuxième action. Ces deux actions réalisées en l’espace de 10 minutes sont deux offenses distinctes, tombant à la fois sous la Section 46 (h) du ICT Act (2001) et la section 4 du Computer Misuse and Cyber-crime Act 2003» et il incombe à la Cour Intermédiaire de juger ces cas-là. 
La section 46 (h) du ICT Act(2001), qui va dans le même sens que la section 12 de la Constitution de Maurice, stipule que : «Any person who uses an information and communication service, including telecommunication service: (i) for the transmission or reception of a message which is grossly offensive, or of an indecent, obscene or menacing character; or (ii) for the purpose of causing annoyance, inconvenience or needless anxiety to any person; (iii) for the transmission of a message which is of a nature likely to endanger or compromise State defence, public safety or public order shall commit an offense.»Une amende allant jusqu’à Rs 1M et une peine d’emprisonnement allant jusqu’à 5 ans sont appliquées si cette section de la loi est bafouée. 
La section 4 du Computer Misuse and Cyber-crime Act 2003, tombant sous «Access with intent to commit offences» stipule que «(1) Any person who causes a computer system to perform any function for the purpose of securing access to any program or data held in any computer system, with intent to commit an offence under any other enactment, shall commit an offence and shall, on conviction be liable to a fine not exceeding 200,000 rupees and to penal servitude for a term not exceeding 20 years. (2) For the purposes of this section, it is immaterial that – (a) the access referred to in subsection (1) is authorised or unauthorised; (b) the further offence to which this section applies is committed at the same time when the access is secured or at any other time.»
Unité sociale intacte
Selon Azhagan Chenganna, l’impact général des dérapages montre la force et la solidarité des Mauriciens. «Je ne crois pas que ces dérapages représentent ce qu’est la société mauricienne. Nous avons une société très mature et un vécu mauricien très convivial ; nous respectons les différences. Et malgré ces dérapages, le tissu social ne s’est pas fragilisé. Les réseaux sociaux agissent comme exutoire mais heureusement que l’unité nationale reste intacte.»Toutefois, fait ressortir le sergent Robin Bhundoo, les dérapages peuvent atteindre l’ordre social et causer de plus grands torts à la société. D’où le travail de la police: «La police est là pour préserver la paix et nous agissons rapidement, surtout lorsque la religion est impliquée dans ce genre de dérapages. Nous avons une Cyber Patrol et prochainement, nous allons retracer les faux profils.»

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