DESSIN/PEINTURE—FABIEN CANGO: « C’est le regard du spectateur qui termine le tableau »

« Un tableau n’est jamais fini. C’est le regard du spectateur qui le termine », estime Fabien Cango, qui compte plus de cinq décennies d’expérience dans la pratique du dessin et de la peinture. Âgé de 74 ans, l’artiste peintre poursuit son activité au quotidien. Malgré cette riche expérience, il avoue humblement que « tous les tableaux ne sont pas toujours réussis ».
Quand il ne peint pas, Fabien Cango dessine. Il travaille à partir des multitudes de croquis réalisés au fil des ans pour ne pas dire des décennies et quand le besoin se fait sentir, il revient sur ses pas pour chercher un détail quelconque de son sujet. Sauf qu’aujourd’hui, ses sujets, dont la grosse majorité sont port-louisiens, se raréfient à cause du développement urbain ou de l’abandon de tel ou tel lieu. « C’est fou comme Port-Louis disparaît à vue d’oeil », affirme-t-il. Il puise alors uniquement dans ses croquis pour réaliser des dessins, composés pour la plupart de bâtiments et de gens, avant de les peindre et il proscrit tout ce qu’on appellerait « l’imaginaire ». « Je suis définitivement contre ceux qui disent qu’ils imaginent quoi que ce soit. Il faut dessiner. Il y a des dizaines de dessins qui précèdent un tableau », soutient notre interlocuteur.
Dans son atelier, niché à flanc de la montagne Raffray, non loin de Terre-Rouge, Fabien Cango évolue entre ses carnets de croquis, des dizaines, entreposés dans des armoires, sur des étagères ou sur des chaises disposées çà et là, ses palettes, ses croquis et ses peintures dont certaines sont abouties, d’autres encore naissantes ou n’ont pas encore atteint la maturité pour porter la signature de l’artiste. Cependant, pour Fabien Cango, même si elle représente la touche finale portée à l’oeuvre, celle-ci n’est jamais finie. « C’est le regard du spectateur qui le termine ». Il affirme qu’une personne achète toujours un tableau qui lui parle et « elle le termine par son histoire ».
Petite anecdote de l’artiste : « Un jour, un Français est passé à l’atelier pour regarder un tableau mais il n’avait pas aimé un bleu que j’avais utilisé. Le soir, il est allé à Port-Louis, et il a vu ce bleu-là quelque part. Il est retourné pour acheter le tableau ». Fabien Cango travaille plusieurs peintures à la fois, à partir de plusieurs palettes, qui à leur tour, le temps venu, serviront de base pour d’autres peintures. Dans le désordre apparent de son atelier, où sont disposés çà et là, des dizaines et des dizaines de tableaux, Fabien Cango arrive à se retrouver. « Je suis comme un jardinier. À partir de la terre en friche il fait sortir des fleurs qui vont embellir son jardin », lance-t-il avec un sourire enchanté.
Il reconnaît chacune de ses palettes qui sont sur sa table de travail sous la varangue de l’atelier. « J’utilise une palette pour un tableau sur lequel je pourrai retourner plus tard : cela me permet de garder les couleurs que j’ai utilisées », soutient notre interlocuteur qui travaille presque essentiellement à l’huile sur du plywood ou du carton. « Les rares fois où j’utilise l’acrylique, c’est pour en faire du mix media, parce que je termine toujours à l’huile ». Bien que cette technique demande un minimum d’apprentissage et qu’elle soit plus difficile à manier que d’autres, Fabien Cango affirme que « la cuisine interne de l’huile est plus intéressante ». « On peut revenir en arrière pour retrouver, en grattant un peu, une couleur, une pâte ou un fond de tableau, contrairement à l’acrylique », affirme-t-il.
Pour faciliter son travail, l’artiste respecte l’ordre de couleurs qu’il établit sur sa palette. « C’est toujours calculé. Je mets toujours du blanc en haut à gauche. Ici là, un petit vert », dit-il en indiquant le bas de la palette avant de préciser qu’il utilise « très peu de vert ». « Les couleurs terre sont toujours à droite ». Par la suite, avec quelques traits de crayon ou de fusain, il esquisse une nouvelle image qu’il polira en fonction de son ressenti mais toujours dans l’intimité. « Je peux dessiner en public mais je ne peux pas peindre sous le regard des autres ». Les tableaux de Fabien Cango sont très colorés. « C’est parce que j’utilise peu de couleurs qu’il y a beaucoup de couleurs. Il faut réduire sa palette et savoir les trouver à partir des mélanges », dit-il avant d’ajouter qu’il « ne travaille plus avec le noir mais le cherche aussi à partir des mélanges ». Idem pour le gris. Même s’il en achète en tube, « c’est jamais un gris à partir du noir et du blanc mais un gris de mélange ».
Fabien Cango donne aussi des cours de peinture et de dessin mais pas de manière scolaire. « Il y a beaucoup qui sont arrivés ici avec des dessins informes et qui se sont transformés sous mon enseignement ». Il déplore l’enseignement scolaire qui, pour lui, « tue l’artiste qu’abrite une personne ». Il prend l’exemple d’une jeune fille, « très bonne aquarelliste », qui « n’avait pas le droit de faire l’art visuel à l’école parce qu’on lui disait qu’elle était mauvaise ». « Définitivement, prendre le dessin comme sujet à l’examen tue l’artiste », affirme-t-il.
Une rencontre avec Fabien Cango dans son atelier est presque un cours sur la pratique de la peinture pour ceux qui s’y intéressent. Le jargon de la discipline fuse à mesure qu’il dévoile ses peintures : perspective de couleurs, perspective cavalière, les tons, la pâte… L’artiste précise que contrairement à ce que l’on apprend à l’école, « la perspective ne concerne pas que les lignes et le point de fuite mais c’est bien plus que cela. J’aide les jeunes à sortir de cette prison ». S’il revient à plusieurs reprises sur une même peinture, il la refait également à plusieurs reprises. « Mais, chaque peinture est une originale », affirme-t-il en avouant modestement que « sur dix tableaux, on peut en avoir que trois qui sont bons, parfois, sept. Tous les tableaux ne sont pas réussis ».
Fabien Cango préfère travailler sur des petits formats. Il avance lentement dans son travail et ne sait jamais par avance quel en sera le résultat. Toute en privilégiant cette technique reine, il insiste que l’artiste doit connaître et même pratiquer d’autres techniques : aquarelle, fusain… Malgré son riche parcours d’artiste, pour Fabien Cango, chaque réalisation est une aventure avec tout ce qu’elle peut comporter dont l’« angoisse ». « C’est une lutte quotidienne », dit-il. Pour ceux qui souhaitent se procurer un tableau de Fabien Cango, il faut se rendre à sa résidence à l’avenue Jacarandas, dans le Morcellement Raffray, à Le Hochet, Terre-Rouge.

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