DIBOUTE, KOZE: Mauricienne, et alors ?

L’histoire commence dans une cour d’école. Ou un jardin d’enfants. Ou un anniversaire. Ici ou là, qu’importe, au fond. Juste un de ces lieux où se retrouvent des enfants, et où finissent par s’enclencher, souvent, de curieux dialogues.
– Comment tu t’appelles ?-
– Shenaz.
– Ah bon. Shenaz comment ?
– Patel.
– Ah… Tu es musulmane alors.
– Non.
– Ah ! Alors, tu es catholique !
– Non.
– Mais tu es quoi alors ?!
– Euh… Mauricienne.
– Oui d’accord, mais Mauricienne quoi ?
– Quoi quoi ?
(Avec un gros brin d’impatience) Mais tu ne peux pas juste être Mauricienne ! Tu dois être Mauricienne quelque chose !
Combien de fois n’ai-je connu cet interrogatoire. Surprise, d’abord, que l’on me demande ainsi des comptes sur mon identité. Moi issue d’un mariage que j’ai même du mal à dire “mixte” tant il consacrait l’union de deux personnes se vivant manifestement déjà comme mauriciennes dans cette île Maurice de la fin des années soixante qui s’apprêtait pourtant à vivre ses premières bagarres raciales…
Oui, j’ai eu cette chance. De vivre pleinement la possibilité d’ouverture que nous offre ce pays, sans l’obligation d’appartenir à un clan, un groupe, un cercle, une chapelle… Une richesse que je n’ai pas fini d’explorer.
Que cela soit clair cependant : je n’ai aucune leçon de mauricianité à donner à qui que ce soit. Je récuse avec force l’appellation de “vrai mauricien”. Comme s’il pouvait en exister de “faux”, que les “vrais” devraient instruire.
Être Mauricienne n’est pas pour moi une fierté en soi, un étendard. Née dans ce pays, j’ai choisi de l’habiter, je m’y sens chez moi, il irrigue mon imaginaire, il abrite ceux qui me sont chers. Mais je me méfie comme de la dengue du discours ambiant autour du “patriotisme”. Brandir un drapeau, entonner l’hymne national, cela correspond trop, à mes yeux, à une version étriquée de l’identité nationale dont on a pu, ailleurs, voir les tristes dérives. Je peux aimer ce pays tout en étant très critique à son égard. Je ne me sens pas obligée de lui manifester une bruyante allégeance. Ni de l’idéaliser. Juste de le reconnaître pour ce qu’il est : une création humaine, avec ses forces et ses faiblesses, ses lacunes et ses merveilles.
Ce que c’est qu’être Mauricien aujourd’hui ? Tout juste m’aventurerai-je à dire que c’est peut-être la capacité de reconnaître la multiplicité qui est en nous et autour de nous, et ne pas en avoir peur. Au contraire. L’accueillir, et chercher, sans cesse, à la développer.
Ne pas être obligé de faire des mélanges, de la fusion à tout prix, mais être libre de le faire si on le désire. Ne pas devoir être comptable, selon des critères surannés, de ce que l’on choisit d’être. Ne pas être soumis à des groupes sectaires et fanatisés qui prétendent se faire les arbitres de ce que permet ou non leur interprétation étriquée des traditions et de la modernité.
Comme l’ont fait valoir des penseurs tels Edward Said, Edgar Morin, Amin Maalouf ou Pierre Rosanvallon, l’identité est une combinaison d’appartenances propres à chaque individu, qui évoluent au fil de la vie. L’identité n’est pas un héritage. Mais le désir de construire, avec autrui, une histoire, un quotidien, un avenir. Utopie ?
Même si certaines pratiques et réactions communales m’exaspèrent, je ne suis pas pessimiste. 43 ans d’indépendance, 19 ans de République : comme le chante Triton, “zenn nou zistwar zenn”. Et qui a eu la chance d’être présent au Champ de Mars en 1982 peut témoigner du formidable élan de mauricianisme que ce pays est capable de ressentir et de manifester.
Mais nous n’échappons pas à la tendance qui veut que l’accélération de la modernité suscite, à travers le monde, un désarroi, voire une peur qui pousse vers le repli identitaire pour tenter de se donner des repères, un cocon, l’assurance d’une collectivité pour se protéger de ce qui est perçu comme la vulnérabilité de l’individu seul. C’est pourquoi nous devons, plus que jamais, être vigilants mais aussi exigeants à ce chapitre.
Dans cette optique, l’avancée de cette question se révèle éminemment politique, dans le sens du politique qui construit la cité. En m’inscrivant dans le mouvement initié par Rezistans ek Alternativ et choisissant d’aller poser ma candidature aux législatives de 2010 en refusant de décliner mon identité selon les critères ethniques qui nous sont imposés, j’ai voulu dire clairement que j’entends que soit respecté mon choix de ne pas me définir en fonction d’une ancestralité, mais en tant que citoyenne de mon pays de naissance, d’élection, de construction : en tant que Mauricienne. Au sein du monde.
“Il est important que l’on puisse distinguer ce qui constitue les valeurs essentielles d’une société, et qui doit être commun, de ce qui relève de la diversité culturelle, et qui a vocation à demeurer disparate”, souligne Amin Maalouf. Choisir d’approfondir ce qui nous est commun au-delà de ce qui nous fait différents, sans volonté de repli et d’exclusion.
Je suis Mauricienne, et alors ? serais-je tentée de dire. C’est un terreau, un tremplin. La volonté d’appartenir à “la grande aventure humaine” fait aussi, intrinsèquement, partie de mon identité…

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