DIRES DU MONDE— France : comment avancer dans un océan désaxé ?

La nouvelle est tombée un vendredi 13, jour tant honni… Et l’onde de choc est encore palpable dans un pays attaché à la logique cartésienne, mais qui est aussi champion du monde des psychotropes et qui a de plus en plus recours aux voyants dans un monde imprévisible…
Le couperet est tombé
Un pas historique a été franchi hier quand l’agence de notations Standard and Poor’s a dégradé la situation de la France en tant qu’emprunteuse, et l’annonce a créé la consternation auprès des français à peine revenus de leur gueule de bois de fin d’année (1). Tout le monde sait qu’une phase difficile est à portée de main, et le discours rassembleur du « sauveur Sarkozy » (dont un magazine vient
de publier les propos de Claude Allègre qui lui attribue le complexe de Zorro) s’en trouve fortement ébranlé, renforçant la position d’un François Hollande qui manquait de punch dans sa campagne et qui, aujourd’hui, tire à boulets rouges sur le président régnant. Sans parler de la montée dans les sondages de Marine Le Pen, et certainement aussi, du front de gauche rehaussé par l’excellente prestation de Jean-Luc Mélenchon, du Front de gauche, à « Des paroles et des actes » sur France 2 jeudi soir.
Dans cet état de choc, comment réagit la France profonde, déjà mise à mal par la désindustrialisation et les promesses non tenues du président sortant? Se posent pour les classes au bas de l’échelle sociale les questions de survie dans une précarité qui ne cesse de progresser. Même les classes moyennes, autre cible électorale de Marine Le Pen avec les « classes ouvrières » (la terminologie à connotation communiste de la fille Le Pen indique bien qu’elle chasse sur les terres traditionnelles du Parti Communiste et de la gauche dans toutes ses déclinaisons), devenues classes intermédiaires suivant une récente étude d’Eric Morin, sont en perte de vitesse et risquent de se lancer dans un vote de protestation frôlant le désespoir…
Cette France qui est touchée et qui a eu des difficultés de nourrir les plus précaires lors de cet hiver, déchantant des promesses de Sarkozy, est de plus en plus tentée par la radicalisation politique, comme en témoigne la montée de l’extrême-droite. Cette donnée fait écho aux tentatives de repli et de xénophobie qui refont surface dans toute l’Europe dont les tristes épisodes de l’euro se généralisant en Espagne, au Portugal, en Italie, en Irlande, en Autriche… ne finissent pas de faire grandir le sentiment que le navire prend eau et que tout le monde pilote à vue, en écopant à qui mieux mieux. Même l’existence de l’euro est fragilisée.
La gifle de la finance mondialisée
Il me semble que depuis les grandes phases de désindustrialisation – car la France a perdu 900 usines et 100,000 emplois industriels ces trois dernières années, certains parlent de « tiers-mondialisation » de l’Héxagone devant la montée de la Chine comme usine du monde – pour la première fois la France entière, comme entité nationale, ressent de plein fouet la mondialisation dans un de ses effets les plus pervers,la mise sous tutelle des états par la finance et les agences de notation. Cette situation nouvelle est vécue comme un cauchemar inédit, car les français, toujours épris de leur liberté, se sentent pris en otage par des sociétés financières qui s’arrogent le droit de noter des pays entiers, en attribuant ou en enlevant notes et affolant des peuples et gouvernements entiers.
En effet, cette notation est perçue comme une intrusion dans la vie nationale, et il n’est pas rare de rencontrer des candidats prônant un refus de ces diktats imposés par d’obscurs vigiles qui jouent le rôle de fossoyeurs des économies nationales. Une pensée fait son chemin :
renforcer le rôle politique de l’état devant l’influence croissante de ces agences (2), thèse gauchisante devenue aussi le fer de lance de l’extrême-droite, qui préconise le protectionnisme sous la férule d’un état de « préférence nationale », modulée en une politique d’expulsions encore plus xénophobe que celle pratiquée par Claude Guéant, le remuant Ministre de l’Intérieur de Sarkozy.
L’autre grande tendance est que l’on ressent la fin d’un système, d’une époque, et l’on demande un changement de paradigme. Cela, Jean-Luc Mélenchon semble l’avoir fait passer le mieux dans l’opinion.
Il demande une sortie du tout-finance et plutôt que de donner dans un protectionnisme à tout cran. Il prêche pour une relation bilatérale privilégiée avec la Chine, pour ré-industrialiser la France, plutôt que de laisser les États-Unis seuls en tête à tête avec le géant chinois.
Il demande une ré-industrialisation de la France. Pourra-t-il faire entendre les thèses du Front de gauche à François Hollande qui chevauche ce que d’aucuns perçoivent comme la « dégradation de Sarkozy »?
Quoiqu’il en soit, le message de Standard and Poor’s est bien celui-là: plutôt que de plancher sur un énième plan d’austérité, il faut un plan de relance par la croissance à la France. La politique d’austérité sarkozyste, est de ce fait, discréditée. Tous les candidats auront résolument à rivaliser d’imagination et de créativité pour produire richesses et emplois, car il me semble que maintenant, les français, après avoir joué dans la cour des grands lors de la crise grecque et italienne, se retrouvent dans le camp des états dont la marge de manoeuvre au sein de l’euro et de l’économie mondiale se
réduit de plus en plus. Je pressens que l’attente de sursaut est grande chez les français. Et il me semble que si la classe politique n’est pas à la hauteur de ces espoirs, il est peut-être possible d’assister à des mouvements citoyens de prise en mains de leur destin, ou à l’extrémisme des positions dans les urnes. Et parallèlement,comme en Grèce ou en Espagne, à des vagues de migrations de jeunes et des plus mobiles vers l’Allemagne, qui a échappé à la liste de la perte des 3 A, ou encore vers le Canada et l’Australie, sans bouder des emplois dans les pays émergents. Une fuite de cerveaux pour ce pays qui doit maintenant changer de philosophie économique, et explorer une économie solidaire et écologique comme éléments moteurs possibles de sa croissance retrouvée, serait préjudiciable à cet état qui pour la première fois depuis les dégradations successives dues à la mondialisation, en tant que nation atteinte dans son orgueil et sa survie, ressent l’urgence des défis à relever dans un contexte de la mondialisation de plus en plus impitoyable.
Peut-être que la réflexion de Henry Ford concernant ses concitoyens américains se réaliserait dans l’Héxagone actuellement :  « Si les gens de cette nation comprenaient notre système bancaire et monétaire, je crois qu’il y aurait une révolution avant demain matin ». A 99 jours des élections présidentielles : aux urnes citoyens, et aux réseaux sociaux et solidaires, et peut-être à « Occupy » si la pensée et la réaction attendues de la politique se dégradent encore…

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -