DOSSIER : La jeunesse est mal élevée : à qui la faute ?

L’idée que les moins de 25 ans sont de la génération passive, insouciante ou encore désinvolte, est assez répandue. Ils encaissent des reproches pour tout ou presque. Impolie, arrogante, blasée, indisciplinée… A priori, on a tendance à dresser un portrait peu valorisant de la jeunesse. À l’école, elle fait fi des règlements. À la maison, elle pense avoir une avance sur ses aînés. Au travail, elle n’est pas dans son univers. Et en société, elle se comporte mal. À qui la faute ? Qui devrait se remettre en question pour corriger les traits de caractère de certains jeunes qui évoluent sans garde-fous ? Si, par hasard, pour sa défense, le délinquant juvénile se justifie en arguant que l’exemple vient d’en haut, aurait-il vraiment tort ?
On leur fait des reproches comme on ferait leur procès. On énumère plus facilement leurs défauts que leurs qualités. On peut penser qu’ils sont de la génération « zéro rêve, zéro ambition »… Les jeunes prennent tout pour acquis et n’ont rien à donner, et encore moins à prouver. Égoïstes ? Désengagés ? Désintéressés ? Oui ! Qu’on se le dise, l’image véhiculée de la jeunesse d’aujourd’hui est loin d’être celle d’une génération imprégnée de principes et garante de valeurs. D’un côté, les médias font quasi quotidiennement écho des frasques d’adolescents et de jeunes adultes qui auraient dévié ou défié les règles de la société, et brossent un tableau peu flatteur à leur égard. De l’autre, dans la vie de tous les jours, on se plaint de l’attitude désinvolte des moins de 25 ans à leur arrivée dans le monde du travail ou ailleurs, dans d’autres sphères actives. Car quand ils n’affichent pas la nonchalance, ils flirtent avec la prétention. Ils agacent et ils dérangent. Alors, on les descend. On leur en veut pour leur mauvaise éducation. Pourtant, en tirant sur les jeunes qui sont en perte de valeurs, on se trompe de cible.
« Vous nous reprochez notre manque de manières ! Avez-vous vu nos ministres ? »
Jusqu’à récemment, pour un groupe de collégiens, les politiques – parlementaires et autres dirigeants du pays – étaient des personnalités inaccessibles. Ils les voyaient à la télévision ou dans les journaux. L’idée d’assister pour la première fois aux travaux parlementaires, à l’Assemblée nationale, les réjouissait. Mais, de retour au collège après leur expérience dans l’hémicycle, ils ont retenu, entre autres, une image peu brillante de ceux qui nous gouvernent. Un des responsables de leur établissement se souvient de leur réflexion : « Vous nous reprochez, à nous, jeunes, de ne pas avoir de manières ! Mais si vous aviez vu les ministres ! » Le pédagogue, qui compte plus de trente ans dans le secteur éducatif, reconnaît que les collégiens ont été choqués par le comportement des ministres et des parlementaires.
Par les temps qui courent, rappelle-t-il, l’exemple ne vient certainement pas du côté des décideurs politiques. Car si les projecteurs sont braqués sur bon nombre d’entre eux, ce n’est pas pour des raisons glorieuses. Entre un ministre de l’Éducation qui s’évertue à défendre bec et ongle un enseignant sur lequel pèse des allégations de pédophilie, un ministre de la Justice qui doit répondre des accusations d’agression sur un jeune citoyen, des ministres critiqués pour leur incompétence flagrante… Il est clair que la politique, telle qu’elle est projetée, ne peut être une référence pour une jeunesse en quête de repères.
Vincent et Pascaline, la vingtaine fraîchement entamée, ont de leur côté une lecture bien arrêtée de la politique. Leur conception, ils l’ont développée en se basant sur l’image et les messages envoyés par les politiciens. Et c’est d’emblée qu’ils associent la politique à « corruption, mensonges, soif du pouvoir, protection, opposition inactive et inefficace ». Dans une configuration où aucun politique ne se démarque par sa sincérité, il ne faut pas s’attendre à ce qu’ils servent d’exemple à la génération née dans les années 1990 ! D’ailleurs, de manière générale, celle-ci ne semble pas porter un intérêt particulier à la politique.
« Lor koltar dan move sime »
« On dit que les jeunes sont irrespectueux. Ils ne respectent pas leurs aînés. C’est vrai », dit Vincent. « Les jeunes que je vois s’habillent mal pour aller à l’école. Ils ne respectent pas le port de l’uniforme. Depi gramatin, zot debraye », dit Pascaline… Mais tout ça, ce n’est pas la faute à Navin Ramgoolam, à ses ministres, au président de la République, à l’opposition… « On ne peut pas non plus demander au gouvernement d’entrer dans chaque maison pour dire aux parents qu’ils doivent encadrer et inculquer les notions de base à leur enfants ! », s’insurge presque Johan, 17 ans. Lui, il reconnaît que sans ses proches, il aurait été « lor koltar dan move sime ».
Les enfants sont le reflet de leurs parents. C’est connu, ils subissent l’orientation que veulent bien leur donner ceux qui ont leur responsabilité. Sur qui devrait-on jeter la première pierre pour le comportement désinvolte des ados et jeunes adultes, la délinquance juvénile… bref, pour tous les défauts des jeunes d’aujourd’hui ? Les parents ! « Ils sont les premiers éducateurs de la vie d’un enfant », rappelle le pédagogue. Et c’est pourquoi, dit-il, les sept premières années de la vie de l’enfant contribuent à structurer et déterminer sa personnalité. Si leurs parents étaient responsables, certains jeunes enfants ne passeraient pas la plupart de leur temps à profaner des tombes au cimetière de Bois-Marchand. Et seraient à l’école. Sans accompagnement familial éclairé, ils seront probablement dans quelques années des adultes en marge de la justice.
Bernadette H. en veut plus à leurs parents qu’à eux… Il y a quelques semaines, ses proches et elle ont eu la mauvaise surprise de constater que l’urne qui contenait les cendres de ses grands-parents avait été brisée et le contenu avait été dispersé sur une autre tombe. Le caveau familial avait été profané. Les responsables : deux enfants d’une dizaine d’années, connus de la police, qui ne sont pas à leur premier délit. « J’ai appris que leurs parents ne sont pas stables », se désole Bernadette H.
Les enseignants ne sont plus des modèles
L’irresponsabilité parentale, bien souvent à l’origine des dérapages et des « défauts » stéréotypés des jeunes, n’est pas propre qu’aux foyers touchés par la précarité. La pauvreté économique est, certes, un des premiers facteurs qui pousserait des parents à reléguer l’éducation et la transmission des valeurs au dernier plan de leurs priorités. Toutefois, comme le relève notre pédagogue, bien des parents en situation confortable « font fausse route en remplaçant leur autorité et la rigueur par la souplesse ». Pour retrouver son identité, l’enfant se rebelle, ou se laisse influencer pour s’affirmer. « Avant, les jeunes revendiquaient par la parole. Aujourd’hui, ils passent directement à l’action », note le pédagogue.
Cette évolution, voire révolution, dans le comportement des jeunes, il l’a observée depuis une dizaine d’années. Ces derniers se sont laissés happés par le tourbillon de l’internet, la vitesse, les facilités de la technologie… Leurs parents, pris de court par la modernité, n’ont pu leur emboîter le pas. « Mon père, qui a 47 ans et qui ne s’y connaît pas en informatique et applications pour téléphones portables, me dit : « To tro konn tou twa ! », quand je lui montre comment il faut s’y prendre », explique Johan. « On apprend tout avec internet. C’est normal qu’on sache tout », poursuit le jeune garçon.
Si les parents sont les premiers éducateurs de leurs enfants, les enseignants ne sont pas en reste. Demandez à un collégien à qui il voudrait ressembler plus tard. Il y a peu de chances que son enseignant figure en premier sur sa liste. Il faudrait remonter loin en arrière, au temps où le professorat inspirait le respect et la prestance, au même titre que le religieux ou le médecin. « Si je me suis consacré au professorat, c’est parce que j’ai été marqué par des enseignants dévoués, engagés et passionnés », confie notre interlocuteur pédagogue. Aujourd’hui, il reconnaît que les « enseignants n’incarnent plus les « role models » qu’ils étaient. » Et pourquoi ? Il est d’avis que, comme lui, ses pairs ont aussi été pris par le système, encouragé par une société de consommation. « Nous profitons de ce que nous offre la vie et nous avons fini par devenir égocentriques. Avec les améliorations dans les conditions du métier, la carrière devient attrayante. Il est évident qu’il y ait de plus en plus d’intéressés qui se tournent vers le professorat. Mais ont-ils réellement la fibre du métier ? Sont-ils capables de cheminer avec les jeunes ? », analyse le pédagogue.
Ce dernier se veut toutefois rassurant : il rencontre encore, dit-il, des postulants qui ont la capacité de valoriser le professorat. Ce qui conforte Dean, 24 ans, employé depuis peu dans le secteur privé. Lui, il connaît beaucoup de jeunes remplis de qualités ! Il en a rencontré plusieurs à Canal Dayot, au lendemain des inondations du 30 mars. Ces jeunes-là avaient retroussé leurs manches pour aider les sinistrés à reprendre goût à la vie. Vincent et Pascaline renchérissent : « Les jeunes n’ont pas que des défauts ! Il ne faut pas généraliser… »

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