DR DOMINIQUE LAM: « Démences mixtes chez ceux atteints d’Alzheimer à Maurice »

Aujourd’hui, 21 septembre, le monde observe la Journée de l’Alzheimer. Dans une interview accordée au Mauricien, le Dr Dominique Lam Thuon Mine, neurologue spécialiste en maladies nerveuses et cérébrales, relève qu’à Maurice les patients souffrant de cette maladie ont à faire à « une démence mixte, c’est-à-dire à la fois liée à l’Alzheimer et à la démence vasculaire. » Le médecin met en lumière les symptômes et les causes multiples de la maladie et invite à ne pas confondre entre oubli naturel à partir d’un certain âge et Alzheimer. Il préconise enfin, pour le mieux-être du malade, une prise en charge multidisciplinaire avec le rôle de la famille, de l’assistante sociale, de l’infirmier, du psychologue, du médecin et du centre du jour.
Dr Lam, qu’est ce que la maladie d’Alzheimer ?
C’est une maladie qu’a découverte le Dr Alois Alzheimer (1864-1915) et à laquelle il a donné son nom. C’était un médecin pathologiste allemand. Après avoir fait l’autopsie de jeunes personnes qui mouraient de démence, il avait constaté chez celles-ci des plaques séniles composées de substances amyloides au niveau des cellules nerveuses. C’est le Dr Alzheimer qui a décrit les symptômes de cette maladie de la démence qui se manifeste par des troubles de la mémoire, surtout pour les faits récents. Ces troubles sont associés plus tard dans la maladie à d’autres troubles cognitifs. L’Alzheimer est une forme de démence. Mais, toute personne qui souffre de démence n’est pas atteinte d’Alzheimer. Toutefois, 80% des démences se rapportent à la maladie d’Alzheimer.
Quels en sont les symptômes ?
Les capacités de raisonnement et de jugement sont altérées. La personne ne peut plus exécuter les choses simples de la vie, les activités de la vie de tous les jours tels s’habiller, faire sa toilette… Cela continue à évoluer et, finalement, la personne peut avoir une incontinence urinaire, fécale, peut avoir des insomnies, des manifestations psychiatriques telles des hallucinations, délires et dépression. Tous les malades d’Alzheimer n’ont bien sûr pas tous ces symptômes mais une partie. Les symptômes les plus fréquents étant les oublis.
Et les facteurs de risque ?
Parmi les facteurs de risque, il y a l’âge, la génétique, la dépression, les troubles vasculaires, les maladies cardiaques, le diabète, la mauvaise alimentation, l’hyperlipidémie, le sexe féminin, le tabagisme, l’alcool, les drogues, les médicaments, le stress, le manque de loisirs, d’activités intellectuelles, physiques et sociales.
À partir de quel âge est-on concerné par cette maladie ?
La maladie commence à partir de 60-65 ans. À partir de 60 ans, la prévalence double chaque cinq ans. Ainsi, 1% de risques à 60 ans, 2% à 65 ans, 4% à 70 ans, 8% à 75 ans, 16% à 80 ans et 32% à 85 ans.
Sur cent personnes âgées, combien en sont affectées à Maurice ?
C’est difficile à dire. L’espérance de vie est aujourd’hui à 75 ans. Il y a 15 ans, elle était à 65 ans. Plus la population vieillit, plus il y aura des personnes qui en souffriront. Mais la maladie peut se manifester assez tôt aussi. Il y a des personnes de 40 ans qui présentent la maladie d’Alzheimer. C’est rare mais cela arrive. À Maurice, il n’y a pas d’étude qui nous dit combien de personnes souffrent de la maladie d’Alzheimer. Pourquoi ? Parce que les démences peuvent être liées aussi aux problèmes vasculaires qu’on appelle la démence vasculaire, qui est liée à des troubles circulatoires dans le cerveau. Et, comme on sait à Maurice, la prévalence des facteurs de risques comme le diabète, l’hypertension, l’hyperlipidémie hypercholestérolémie est élevée, la prévalence des accidents vasculaires cérébraux est supérieure par rapport aux autres pays. Alors, quelle est la part des choses entre maladie d’Alzheimer et démence vasculaire ? Il n’y a pas d’étude qui nous le dit. Mais, personnellement, je pense qu’à Maurice nous avons des démences mixtes, c’est-à-dire Alzheimer et démence vasculaire. Je peux voir à travers le scanner, sur les patients qui viennent me voir, qu’il s’agit souvent de démence mixte.
Les troubles de mémoire chez une personne âgée, cela signifie-t-il que la personne souffre d’Alzheimer ?
Si la personne qui vient nous voir pour des troubles de mémoire est d’un certain âge, cela ne veut pas nécessairement dire qu’elle souffre de maladie d’Alzheimer parce que la perte de la mémoire, c’est physiologique. Tout le monde, à partir d’un certain âge, commence à oublier. On commence à perdre nos neurones à partir de l’âge de 35 ans. Et si on demande à une personne, aussi intelligente qu’elle est, à l’âge de 45 ans, d’entreprendre des études de médecine, d’ingénieur ou d’avocat, elle ne va pas pouvoir le faire parce qu’on n’a pas une aussi bonne mémoire qu’une personne de 20-25 ans. Mais, avec l’âge, on a de l’expérience. Quelqu’un de 45-50 ans ne peut pas s’asseoir devant un livre et étudier comme une personne de 20-25 ans. À un certain âge, donc, on commence à oublier et, arrivé à l’âge de 65 ans, il ne s’agit pas nécessairement de la maladie d’Alzheimer. Il s’agit plutôt de ce qu’on appelle l’AAMI (Associated Age-related Memory Impairment). À l’exemple d’une personne de 70-75 ans qui vous regarde et dit « Je vous ai déjà vu », mais elle ne se souvient pas de votre nom. Et puis, cinq minutes après, elle se dit « Ah oui, c’est M. X » Cela ne vient pas spontanément. Pour autant, cette personne ne souffre pas de la maladie d’Alzheimer. Ensuite, avec l’âge, une personne peut avoir des troubles cognitifs (mémoire, jugement, compréhension, raisonnement). Là, cela rentre dans le cadre de ce qu’on appelle le Mild Cognitive Impairment. Disons que cela ne perturbe pas la vie de la personne. Elle arrive à fonctionner normalement. Elle a des oublis. L’entourage constate que la personne oublie mais ce n’est pas la maladie d’Alzheimer. S’il y a un déclin, là il peut s’agir de la maladie d’Alzheimer ou d’une autre forme de démence.
Comment diagnostique-t-on la maladie d’Alzheimer ?
Pour avoir le diagnostic, outre d’examiner la personne, il faut faire des investigations complémentaires. On peut faire un examen mental qu’on appelle le Mini Mental State Examination (où plusieurs questions sont posées au patient en vue de tester sa mémoire). À l’issue de l’examen, si le patient a un score de 27-30 points, il s’agit de l’Associated Age-Related Memory Impairment, si le patient score entre 24-27 points, on parle de Mild Cognitive Impairment. Lorsque c’est moins de 24 points, à ce moment, on peut parler de démence. Maintenant, il faut voir si la personne ne souffre pas d’une autre pathologie qui peut donner une perturbation de ce Mini-Mental State. Par exemple, la personne peut être dépressive.
Il y a aussi des examens plus cliniques. Un bilan sanguin est effectué parce qu’il y a d’autres causes qui peuvent entrer en jeu dont des causes carentielles telles une carence en vitamine B, qui peut donner un état démentiel. La cause peut d’autre part être toxique. Par exemple, un alcoolique qui, à long terme, développe une démence. Il y a par ailleurs d’autres causes liées aux drogues, à des problèmes hormonaux tels les troubles thyroïdiens ou à des infections telles une encéphalite ou le HIV. Le médecin peut faire un scan cérébral pour voir s’il y a un accident vasculaire cérébral, un traumatisme crânien, une tumeur qui peuvent constituer autant de causes à la maladie d’Alzheimer. Lorsqu’on examine une personne, on pense donc à toutes ces causes. La prise de sang nous permet d’éliminer les causes hormonales, toxiques… Le scanner nous permet d’éliminer l’éventualité d’une tumeur cérébrale, d’un hématome, souvent sous-dural — entre le système nerveux et l’encéphale — dans la tête. Parfois aussi, les causes de la maladie d’Alzheimer peuvent être génétiques ou en lien avec une mauvaise hygiène de vie.
Selon l’OMS, d’ici à 2020, le nombre de personnes atteintes d’Alzheimer devrait doubler. Et qui dit plus de personnes âgées dit plus de malades d’Alzheimer. Que préconisez-vous en amont de cette hausse ?
Il faut éviter les facteurs de risque. On sait que la dépression peut être une des causes. Une mauvaise alimentation de même. Il y a des aliments plus sains tels le poisson, riche en oméga. On a constaté que les personnes se trouvant au bas de l’échelle socio-économique souffrent plus souvent de la maladie d’Alzheimer. C’est difficile à dire pourquoi exactement mais des études ont montré que les gens qui ont eu une éducation cachent mieux la maladie. On dit aussi que les gens du sud de la France souffrent moins de cette maladie parce qu’ils prennent du vin tous les jours.
Qu’en pensez-vous ?
Valable ou pas valable, on ne peut être sûr. On dit toujours que les gens qui consomment du vin sont ceux qui sont en général d’un milieu intellectuel un peu plus élevé et sont moins atteints. Est-ce que le vin les protège vraiment ? Moi, je pense qu’un verre de vin peut protéger. Deux verres de vin annulent l’effet bénéfique du premier verre et les troisième et quatrième verres sont toxiques !    
Quels sont les soutiens et soins disponibles à ce jour à Maurice pour les malades ?
À Maurice, le soutien vient surtout de la famille. Il y a un centre du jour (day care centre) à Belle-Rose pour les malades d’Alzheimer.
Qu’est ce qui manque à Maurice comme soins ou facilités pour mieux encadrer les malades d’Alzheimer ?
Il manque des day care centres. La prise en charge coûte cher. C’est un drame pour les familles. Souvent, dans certaines familles, des proches ont dû cesser de travailler pour s’occuper de leur parent malade. S’il y avait plus de centres du jour, les proches auraient pu y laisser leur parent malade et continuer à travailler. Les accessoires aussi, par exemple les couches, coûtent cher. Les garde-malades et les médicaments de même. Il faudrait, selon moi, avoir davantage de centres du jour. On pourrait ainsi soulager les familles concernées qui sont toujours là à surveiller la personne. Je pense qu’il faut garder le malade le plus longtemps possible dans son milieu familial parce que, parfois, lorsqu’on met ces personnes dans une maison de retraite, elles perdent leurs repères, elles sont encore plus confuses et désorientées. Mais, deux à trois fois par semaine, le centre du jour peut être d’une aide pour soulager la famille. De plus, dans ces centres, les patients peuvent rencontrer d’autres personnes qui ont la même maladie qu’elles et peuvent participer à des activités de groupe telles les jeux de société et des sorties. Il faudrait une prise en charge multidisciplinaire avec le rôle de la famille, de l’assistante sociale, de l’infirmier, du psychologue, du médecin et du centre du jour.
Recevez-vous beaucoup de patients souffrant d’Alzheimer ? Est-ce que les proches s’y prennent tôt ou est-ce lorsque la maladie s’est dégénérée qu’ils viennent vous consulter ?
Oui. Je reçois les deux types de patients. Mais, souvent, c’est lorsque la maladie s’est dégénérée qu’ils viennent parce que la famille n’arrive plus à contrôler la personne qui est confuse, agitée, a des hallucinations, commence à faire des dégâts, à être violente… Mais, maintenant, on voit que les gens viennent de plus en plus tôt pour le dépistage parce qu’ils ont un membre de la famille qui a été atteint. Par ailleurs, avec Internet, les gens se renseignent plus facilement.
Comment évolue la maladie ?
Malheureusement, c’est une maladie qui va en s’aggravant au fil des années. Dépendant des cas, elle peut évoluer vite ou moins vite. Il y a des cas où dès qu’on a posé le diagnostic, en l’espace de deux ou trois ans, la personne devient vite grabataire, complètement dépendante. En revanche, dans d’autres cas, la maladie peut évoluer plus lentement. J’ai un patient que je suis depuis plus d’une douzaine d’années qui est partiellement autonome.
Lorsque vous recevez de tels patients, quels conseils leur donnez-vous ?
On prodigue des conseils à la famille, surtout sur comment gérer la personne qui a besoin d’être soutenue psychologiquement.
Quels sont les traitements disponibles ?
Les traitements comprennent une alimentation saine : les omégas et antioxydants. Sinon, plus spécifiquement pour la maladie d’Alzheimer, ce sont des médicaments qui augmentent les neurotransmetteurs dans le cerveau. Même s’ils n’améliorent pas la condition de la personne, ces médicaments peuvent freiner l’évolution de la maladie. Le plus tôt qu’on traite la maladie, le mieux c’est.
Peut-on prévenir la madie d’Alzheimer ? Comment ?
Malheureusement, c’est une maladie qu’on ne peut prévenir ni savoir comment elle va évoluer, mais on peut retarder l’évolution et améliorer les symptômes à travers une bonne hygiène de vie — alimentation, exercices et médicaments.
Y-a-t-il des exercices de mémorisation, des jeux de société qui aident à stimuler la mémoire des patients ?
Tout est relatif. Il faudrait d’abord que la personne s’intéresse à ce qu’elle fait. Par exemple, si une personne aime ce qu’elle est en train de faire, elle mémorisera mieux ce qu’elle fera. Si elle n’aime pas, elle oubliera. Admettons que vous regardez un match de foot. Votre équipe est en train de jouer. Émotionnellement, vous y êtes, c’est intéressant, c’est votre équipe… Vous allez vous rappeler du score, de combien de minutes il reste. Par contre, si vous regardez un match de 3e ou 4e division, qu’est ce qui va se passer ? Vous n’êtes pas intéressé, vous ne suivez pas le match avec attention, vous allez oublier. Même chez ceux atteints d’Alzheimer, si des choses les touchent personnellement, ils y sont davantage concentrés. Ils vont les retenir davantage. Par contre, si la personne ne trouve aucun intérêt dans ce que vous lui dites de faire, c’est sûr que dès que vous tournez le dos, elle va oublier. Je constate cela souvent chez mes patients qui souffrent d’Alzheimer. Parfois, le patient a une préférence pour un enfant. Il va toujours parler de cet enfant : « Mon fils… qui est en Angleterre, etc. » Ce que cet enfant lui dit, il va s’en rappeler davantage. Les autres, il oublie. À chaque fois, il parlera de la même personne alors que les autres…
Mais, les jeux de société tels les cartes, dominos, etc. peuvent aider. Il faut les garder actifs tout le temps et non pas faire des choses de manière automatique. Il faut qu’ils prennent plaisir dans ce qu’ils font, qu’ils en prennent eux-mêmes l’initiative. Parce que, ce qui est bon pour vous n’est pas bon pour d’autres personnes. Les exercices de mémorisation peuvent être la lecture de journaux, regarder les informations à la télé à midi, 18h et le soir. Il faut qu’il y ait un dialogue. C’est sûr que si vous laissez une personne à la maison toute la journée, vous partez travailler et qu’elle ne regarde pas la télé, n’écoute pas à la radio, ne lit pas, est là à s’asseoir…

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