DR DOMINIQUE VALADE, ÉMINENT NEUROLOGUE FRANÇAIS : « Au moins 100 000 personnes souffrent de migraines à Maurice »

Éminent neurologue français, ayant créé en 2000 la première Unité d’Urgences Céphalées au monde, à l’Hôpital Lariboisière à Paris, dont il est le chef de service, le Dr Dominique Valade est actuellement en vacances à Maurice après avoir animé, la semaine dernière, une conférence à l’intention des Pharmaciens de l’océan Indien à l’île de La Réunion. Dans cette interview qu’il a accordée au Mauricien hier à l’hôtel Le Paradis, le spécialiste des maux de tête et conseiller auprès de l’OMS nous parle des implications parfois très graves liées aux maux de tête. Elles peuvent ainsi signaler une méningite ou encore une thrombose cérébrale, et même quand elles ne sont pas graves, elles sont handicapantes. Il nous explique par ailleurs l’importance d’une unité d’urgences pour les céphalées qu’il a aussi implantée dans plusieurs villes des États-Unis et au Brésil.
Dr Valade, à quoi doit-on votre visite à Maurice ?
J’ai animé la Conférence des Pharmaciens de l’océan Indien à l’île de La Réunion la semaine dernière. J’en ai profité pour venir passer quelques jours de vacances à Maurice. J’avais en même temps rendez-vous avec des membres du personnel de l’hôpital Apollo Bramwell qui sont intéressés par mon profil.
Quel but avait cette rencontre et à quoi a-t-elle abouti ?
Ils sont intéressés à ouvrir un centre de la douleur, et comme je suis spécialiste des maux de tête et que j’ai dirigé pendant vingt ans un centre de la douleur avant de devenir spécialiste des douleurs neuropathiques, je les intéresse. Je suis président de la European Headache Federation. D’autre part, je suis l’expert à l’European Medical Agency pour les médicaments. Comme ici c’est difficile d’avoir des médicaments à cause de problèmes administratifs, je peux leur faciliter les choses. On est donc en négociations car c’est la première fois que je les rencontre.
Vous avez créé une Unité d’Urgences Céphalées à l’hôpital Lariboisière à Paris dont vous êtes d’ailleurs le chef de service. Expliquez-nous cette pathologie.
La céphalée, c’est le mal de tête. Les céphalées regroupent tous les maux de tête, c’est-à-dire, la migraine, les céphalées de tension musculaires, le mal de tête habituel mais c’est aussi la névralgie faciale. C’est aussi toutes les céphalées secondaires comme la méningite, une dissection carotide (chacune des grosses artères qui conduisent le sang vers la tête), les thromboses veineuses cérébrales. Un mal de tête, cela peut être intense et grave, on peut en mourir ! Alors, il peut s’agir d’une céphalée banale qu’on appelle la céphalée de tension musculaire. La personne est tendue par son patron qui l’embête. Cela lui donne un mal de tête. C’est tout. Cela passera avec du paracétamol. Ou, une personne peut avoir une vraie maladie de la migraine, qui est génétique. Dans ce cas, il faut des traitements de fond pour atténuer le nombre de crises. Ou bien une personne a une maladie ponctuelle, une cause ponctuelle comme une tumeur cérébrale. Et, là, il faut aller enlever la cause.
Quelles peuvent être justement les différentes conséquences des céphalées sur la personne qui en souffre ?
La migraine, c’est 12,5 % de la population. Sur une population de 1,3 million de personnes à Maurice, il y a au moins 100 000 personnes qui souffrent de migraines. C’est énorme. Et, elles vont en souffrir toute leur vie. Imaginez qu’une personne a une crise par semaine. Une fois la semaine, elle manque son travail. C’est énorme, l’impact que cela peut avoir sur une profession, une vie…
Les céphalées, comme j’ai dit, cela va de pathologies qui ne sont pas graves mais très handicapantes comme la maladie migraineuse qui est génétique jusqu’à des maladies comme la méningite, comme des vaisseaux qui bouchent, des accidents vasculaires cérébraux. Une personne a une rupture d’anévrisme, cela donne un mal de tête comme un coup de tonnerre et si elle n’est pas soignée dans la demi-heure qui suit, elle meurt.
Quels sont les symptômes des céphalées ?
Les symptômes sont très différents suivant les types de maladie. Si on prend l’exemple de la migraine, c’est une douleur qui touche la moitié du crâne, qui tape comme le coeur, qui est augmentée par l’exercice physique, qui s’accompagne de nausées et de vomissements, qui provoque une gêne aux bruits et à la lumière. Prenons un autre type de maladie : la méningite. Cela se traduit par un mal de tête global, de la température et d’importantes douleurs à la nuque qui devient raide. Donc, deux exemples différents de mal de tête. Les migraines sont une forme de céphalée.
Dans une population, en général, combien peuvent en souffrir ?
Dans une population générale, 12,5 % de la population caucasienne sont affectés, 10 % des Noirs et 8,5 % des Asiatiques.
Vous avez créé une unité d’urgences céphalées. Quelles sont ces urgences que vous recevez ?
Par exemple, quelqu’un qui a une crise de migraine et qui n’arrive pas à faire passer la douleur avec son traitement habituel. Donc, avant, on nous téléphonait pour avoir une consultation. On donnait rendez-vous dans trois mois. Ce qui était tard parce que cela fait un moment que la personne en souffrait… Et puis, il y a toutes les urgences de céphalées secondaires comme les douleurs en coup de tonnerre, les méningites. On ne peut pas se permettre de faire attendre quelqu’un qui a une rupture d’anévrisme. Il faut le voir tout de suite.
Une céphalée peut donc signaler une méningite ?
Bien sûr. Le signe de la méningite, c’est la céphalée. La rupture d’anévrisme, cela ne se manifeste que par une céphalée. Une dame en train de faire son jogging sur la plage et tout à coup, une douleur atroce. Elle vient de rompre son anévrisme. C’est une douleur instantanée qui s’installe en moins de trente secondes, qui monte jusqu’à 10/10 puis en quelques minutes elle redescend et laisse ce qu’on appelle une céphalée sentinelle, c’est-à-dire, ou bien la dame est morte ou bien si l’anévrisme est simplement fissuré, s’il n’est pas complètement rompu, là, on peut sauver la personne.
Des Unités d’urgences céphalées telles que celles que vous avez créées à Paris, est-ce qu’on en trouve à travers le monde ?
Non, il n’y en a pas partout, justement. Quand j’ai créé la première, en 2000, c’était la première au monde. Depuis, j’en ai créé une au Brésil, une à Houston, à San Francisco, à Los Angeles, à Chicago et à New York. On a essayé d’en créer une en Europe. Malheureusement, dans une population, il faut que cela soit rentable. Il faut au moins 5 millions d’habitants dans un rayon de 50 km. Les gens ne vont pas faire 200 km pour une urgence. Donc, il n’y a pas énormément d’endroits où l’on peut créer ce genre de centres. En Europe, à part Paris, Londres, Rome, Berlin, il n’y a pas d’endroits.
Quelle est l’importance, diriez-vous, de telles unités et les avantages qu’elles comportent par rapport aux populations qui n’en ont pas ? Les urgences elles-mêmes ne peuvent pas gérer ces types de problèmes ?
Ce n’est pas qu’elles ne peuvent pas les gérer. Les céphalées sont tellement complexes qu’il faut à chaque fois faire appel à un neurologue qui n’est pas toujours de garde et ce neurologue peut ne pas être pas spécialiste en céphalées… Alors que cela touche une très grande frange de la population. Pour vous donner une idée, actuellement, l’Unité à Paris reçoit 15 000 patients pour des urgences céphalées par an !
Est-ce que depuis la création de cette Unité à Paris, les habitants sont un peu plus au courant des implications des céphalées ?
Ils sont beaucoup plus conscients parce que la création de ce centre qui était unique a fait l’objet d’émissions de radio et de télévision diffusant les informations y relatives. Il y a plein de gens qui pensaient que la migraine, cela peut être soigné, que le mal de tête, c’était quelque chose d’inévitable. Ils avaient des céphalées en coup de tonnerre, eh ben, ils attendaient. Alors que c’est une urgence.
Justement, est-ce que le diagnostic se fait en général bien par les médecins ou est-ce que souvent on ne sait même pas qu’il s’agit d’une urgence quand il y en a une ?
Malheureusement, il y a encore énormément de progrès à faire ! Premièrement, il n’y a pas assez de centres d’urgences céphalées. En plus d’ouvrir ce centre, j’ai lancé un diplôme universitaire de céphalées. Depuis 14 ans, je forme chaque année 80 médecins après l’université pour une surspécialisation. On a formé plus de 1 000 médecins en France pour les céphalées. Pour vous donner une idée, dans un cabinet neurologique, un malade sur cinq consulte pour des céphalées. Les quatre autres consultent pour des démences, la parkinson, l’épilepsie, la sclérose en plaque…
Que préconiseriez-vous au gouvernement d’un pays pour le mieux-être des patients souffrant de céphalées et que préconisez-vous aux patients ?
Je pense que d’abord, il faut informer les patients. Ensuite, il faut former les médecins de sorte à ce qu’il y ait une sous-spécialité de la neurologie. Ensuite, introduire dans le pays – je ne suis pas en train de critiquer, je ne sais pas ce qu’il en est – les médicaments qui sont nécessaires pour soigner ces différents types de pathologies qui sont souvent un peu chers.
Les céphalées se traitent bien ?
Bien sûr. Un migraineux qui prend bien son traitement de crises va soulager ses crises et s’il prend bien son traitement de fond, va voir diminuer le nombre de crises. Quelqu’un par exemple, qui serait handicapé deux fois par semaine, aura une crise par mois s’il prend bien son traitement de fond.
Les crises varient de personne en personne ?
Les crises peuvent durer entre 4 et 72 heures qui peuvent donc être très longues. Et, c’est toujours d’une intensité très forte.
Est-ce qu’il y a des personnes qui peuvent en souffrir très rarement dans leur vie ?
50 % des migraineux font de l’automédication en prenant du paracétamol ou de l’aspirine. Ce qui veut dire qu’ils ont une crise tous les deux mois.
A-t-on découvert d’autres traitements dernièrement ?
Bien sûr. Mais, ils ne sont pas encore sur le marché. Il y a deux types de traitements. D’abord, les anticorps qu’on injecte. Au lieu de prendre des comprimés tous les jours, on fait une piqûre par mois. On est en phase 3. Donc, ça va sortir en 2015. D’autre part, on travaille actuellement sur la thérapie génique qui sera au point dans une quinzaine d’années. Si on arrive à changer le gène qui est malade, on aura guéri la maladie ! Mais ce n’est pas avant 2030.
Qu’avez-vous abordé lors de la conférence à l’intention des Pharmaciens de l’océan Indien à La Réunion ?
J’ai abordé deux sujets, le traitement de la maladie migraineuse et le traitement des complications neurologiques : diabète, alcoolisme. Il y avait des pharmaciens de Maurice, de La Réunion et de Madagascar.
Qu’aimeriez-vous ajouter pour les Mauriciens ?
Le drapeau mauricien a quatre couleurs : le rouge pour le flamboyant, le bleu pour la mer, le jaune pour le soleil et le vert pour la canne à sucre. Symboliquement, j’y ajouterai une cinquième couleur : le blanc pour la santé que je souhaite à tous les Mauriciens !

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