DR LETTICIA MOJA: « Le safe sex doit être une priorité dans les campagnes de sensibilisation »

Le Dr Letticia Moja fait partie de la cinquantaine de médecins qui ont participé durant la semaine écoulée à la 18e Conférence de l’Association of Medical Councils of Africa (AMCOA) à l’Imperial Resort à Flic-en-Flac. Dans cette interview, la présidente du Medical & Dental Board of the Health Professionals Council of South Africa dit ce qui l’inquiète par rapport à la santé des femmes et à ce sujet évoque le problème du sida et également le manque aigu de médecins qui affecte le service de santé de plusieurs pays. La gynécologue insiste sur la nécessité pour davantage de campagnes d’informations et de sensibilisation à l’importance du safe sex.
Quel a été votre parcours dans la profession médicale ?
Cela fait plus de trente ans que j’exerce comme médecin. J’ai commencé ma carrière en 1982 et après des études de spécialisation je suis gynécologue depuis 1990. Gynaegology is mainly male dominated et à cette époque j’étais la troisième gynécologue dans le pays. Mais heureusement les choses ont beaucoup évolué et graduellement les femmes commencent à y faire leur entrée. Ce qui est un bon signe car les femmes viennent beaucoup plus facilement pour des consultations. Je ne dis pas qu’elles n’ont pas confiance avec les gynécologues hommes mais elles sont plus à l’aise quand elles se trouvent en présence d’une femme. Il y a de très bonnes relations entre tous les gynécologues. J’ai toujours travaillé en Afrique du Sud et particulièrement dans le service de santé publique sauf un bref passage dans le privé. L’hôpital où je travaille est situé dans une petite ville bien éloignée et il n’y a que deux gynécologues qui sont de service dont un homme. Ces dernières années j’ai beaucoup travaillé dans l’administration et j’ai été engagée dans la formation des jeunes médecins et des internes.
Quel est votre constat de la grossesse parmi les jeunes chez vous ?
Teenage pregnancy is a major problem in Africa et la pauvreté en est l’une des principales causes. Dans beaucoup de zones de pauvreté la majorité des filles ne travaillent pas parce qu’elles n’ont pas les qualifications requises, soit parce qu’elles n’ont jamais été à l’école ou qu’elles n’ont pas terminé leur scolarité. Il existe chez nous un child grant et les filles tombent enceintes pour obtenir cette aide de l’État. The only way they can have an income is to have a baby and they get these grants. Les filles ont une vie sexuelle active à partir de l’âge de douze ans. J’aurais bien aimé faire l’éducation de la population mais il y a tellement des choses à faire dans le domaine des traitements. D’une part, le temps est une contrainte et de l’autre, il y a un manque de personnel qualifié.
Y a-t-il des questions spécifiques par rapport au problème de santé de la femme en Afrique qui sont inquiétantes et qui devraient préoccuper les décideurs dans la région?
Un des plus gros défis à relever est la question du sida, qui englobe aussi celle des rapports sexuels protégés dans la vie du couple. Les femmes qui sont en situation de pauvreté n’ont pas les informations nécessaires sur les méthodes de contraception et sur l’importance des rapports protégés et de ce fait sont encore très vulnérables. Il faut une grosse campagne de sensibilisation à l’importance du safe sex et cela doit être une priorité pour tous les pays de la région. Pourquoi ne pas entreprendre une action commune à ce niveau. L’autre question importante à mon avis et qui est liée à la première concerne l’avortement et le respect du droit de la femme à mettre fin à une grossesse non désirée. There should be a proper balance between legalising and providing adequate knowledge on availability of contraception. Dans un pays où l’avortement est légalisé il faut en parallèle mener une campagne de conscientisation sur les méthodes de contraception. Dans les pays où l’avortement n’est pas légal il faut respecter le droit de la femme de décider à mettre fin à une grossesse non désirée en cas de danger à sa santé.
Un service de santé peut-il tolérer une pratique croissante d’accouchements par césarienne ? Est-ce normal que le taux de césariennes dans un pays atteigne presque 50 % ?
50 % ! This is not normal and we should see why. Est-ce que cela est lié au time management des gynécologues ou à des aspects financiers ? Il faut impérativement faire un audit — surtout dans le privé – pour connaître les raisons d’un pourcentage aussi élevé. Seul un audit pourra dire si les cas de césarienne pratiqués dans le privé sont en relation avec les indications que la mère ne pouvait accoucher normalement. Cet audit dans le service public devrait être une pratique courante. Mais le gynécologue doit avoir recours à l’accouchement par césarienne s’il constate que la mère ne peut accoucher normalement et que sa vie est en danger ou bien que celle du bébé à naître est en danger.
A l’ouverture officielle de la conférence lundi dernier le président de l’Association of Medical Councils of Africa a souligné le manque aigu de médecins dans les pays africains ; est-ce le cas dans votre pays ?
The shortage of staff is severe in South Africa et il y a deux dimensions à ce problème. Outre le manque de ressources en général, il y a une préférence pour le secteur privé. Dans le service public la répartition du personnel existant aggrave le problème dans les régions éloignées. Nous avons beaucoup plus de médecins dans les grandes villes que dans les régions rurales. J’avoue que même s’il y avait une meilleure répartition le nombre de médecins serait toujours insuffisant. À cause de ce manque de professionnels nous devons nous concentrer sur ce qui doit être fait immédiatement. C’est le cas aussi dans un grand nombre de pays africains.
Quelles sont vos priorités en tant que présidente du Medical & Dental Board de l’Afrique du Sud ?
Je suis présidente de ce board depuis 2010 et mon mandat prend fin en juin 2015. Un des défis que nous devons relever est d’avoir un personnel de santé qualifié et compétent et en nombre suffisant pour faire fonctionner le service de santé public du pays. Pour l’heure, nous enregistrons chaque année environ 1 500 nouveaux médecins et nous discutons avec les universités, les hôpitaux et le gouvernement pour voir comment faire pour augmenter ce nombre et voir quelles sont les autres solutions pour avoir d’autres professionnels pour répondre aux besoins de la population.
Est-ce que les jeunes de votre pays ne sont pas intéressés par une carrière de médecins ?
Nos jeunes sont intéressés par les études en médecine mais il y a un manque de places dans les institutions qui donnent cette formation. Nous avons huit écoles de médecine qui admettent un peu plus d’un millier d’étudiants chaque année alors qu’elles ont plusieurs milliers de demandes.
Qu’attendez-vous de cette conférence ? Est-ce que les délégués africains obtiendront là des réponses à ce problème ?
C’est un forum pour discuter des problèmes communs et voir ensemble les solutions. Ces échanges sont très bénéfiques car on découvre comment un pays s’y est pris pour régler tel ou tel problème. We get advice on things which others do better than us. Le thème choisi, à savoir « Task shifting in Medical practice », est lié justement à la question de manque de personnel médical dans la région. Nous allons voir ensemble si c’est possible de déléguer certaines responsabilités à d’autres professionnels qui ne sont pas médecins et identifier ces tâches. En Afrique du Sud, pour remédier au manque, nous avons choisi de créer un nouveau poste dans le domaine de la santé et nous le proposons aux jeunes qui ont terminé leurs études secondaires. We take them fresh from school and train them to be clinical assistant. They should follow a four-year training in medical schools and should obtain a degree in this field. This is a job between the nurse and a medical doctor. Plusieurs pays ont adopté cette formule et cela marche très bien.
Le gouvernement mauricien signera bientôt des accords avec des pays africains pour l’embauche de médecins ; votre pays est-il prêt à accueillir la main-d’oeuvre mauricienne dans ce domaine ?
En arrivant dans cette conférence j’ai appris que votre pays est en train de former des médecins en surnombre et qu’un grand nombre de diplômés ne travaillent pas. Je crois que les participants à cette conférence ont pris bonne note de l’annonce faite par votre ministre de la Santé l’autre jour au sujet de ces perspectives d’emploi au Mozambique et dans d’autres pays africains. C’est une possibilité à explorer mais il faut aussi savoir que chaque pays forme ses professionnels en tenant compte des réalités locales. Nous devons d’abord voir l’équivalence des qualifications et de la formation pour être sûr que vos médecins peuvent s’adapter à notre contexte local.

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