Économie, cohésion sociale et unité nationale !

On commence à prendre réellement conscience des graves problèmes auxquels l’économie mauricienne a – et aura – à faire face dans les semaines, mois, voire années, à venir. Tant mieux ; il était temps. Dans « Le temps du courage et de l’audace » (Forum – Le Mauricien du 9 août), nous plaidions pour de nouvelles mesures et initiatives afin de lutter contre les gros nuages économiques qui sont en train de s’amonceler dangereusement à l’horizon. Les observations du gouverneur de la Banque de Maurice (BoM), R. Bheenick, dans l’édition de Week-End du 12 août sont venues confirmer nos inquiétudes. R. Bheenick n’a pas la réputation d’être un oiseau de mauvais augure et un pessimiste. De ce fait, tout doit être mis en oeuvre pour prévenir un éventuel tsunami économique qui risque de mettre à mal la cohésion sociale et l’unité nationale.
Nous n’insisterons jamais assez sur le fait que continuer à évoquer la résilience de l’économie mauricienne, due aux réformes de 2005, n’a plus aucune pertinence au vu des nouvelles données et tendances. Trois mois de cela, le gouverneur de la BoM, après avoir tiré la sonnette d’alarme sur l’évolution de l’économie nationale, est venu annoncer certaines mesures et initiatives pour essayer de remédier aux problèmes identifiés. Si celles-ci ont apporté un soulagement, elles n’ont pas pour autant donné les résultats escomptés. Pendant que nos politiques se préoccupaient de questions de réforme électorale, de deuxième république et de recomposition de l’échiquier politique, l’économie mauricienne, elle, s’est dégradée. Avec pour toile de fond l’aggravation de la crise économique dans la zone euro.
La Banque de Maurice est venue confirmer une révision à la baisse de la croissance économique à Maurice pour 2012 ; cette croissance se situerait maintenant à 3,3% alors qu’elle était de 4,1% en début d’année. L’Economic Intelligence Unit (EIU) a même évoqué la possibilité d’une croissance qui pourrait être inférieur à 3,0%. Une chose est sûre : la situation globale se dégrade et une des causes majeures de cette dégradation est la crise que connaît l’Europe, une crise qui va persister encore quelques années. Pratiquement tout le monde s’accorde à dire que notre salut réside dans une stratégie de transition s’appuyant sur la diversification de nos marchés pour s’adapter aux transformations structurelles que connaît l’économie mondiale. L’heure est à la mobilisation des ressources, des compétences pour réussir concrètement cette transition vitale. En attendant, il nous faudra tout mettre en oeuvre pour limiter la casse sociale à venir. Elle risque d’être plus insupportable, pour les victimes, que celle qu’a connue le pays à la fin des années 70.
Pour rappel, le pays était touché par une grave crise économique et sociale vers la fin des années 70 avec ses deux dévaluations et ses graves fléaux sociaux – chômage, drogue, désespérance. L’impact social d’une « crise économique » en 2012-2013 sera autrement plus difficile à supporter car la société mauricienne n’est plus celle de 1982/1983. Elle a connu d’importantes mutations structurelles qui ont contribué à une profonde transformation du paysage des valeurs de la population. La société de consommation est passée par là pour peser sur la nature des besoins et aspirations de toutes les couches de la population. D’une représentation de la société comme champ de bataille opposant les « possédants-capitalistes » aux « travailleurs – non possédants », on est passé, durant ces trente ans, à une représentation de la société comme champ de course individuel pour bénéficier des fruits du développement. Cette dernière représentation de la société est aujourd’hui en crise. Certains analystes voient déjà le retour des valeurs animant les luttes collectives. Le conflit qui opposait le Joint Negotiating Panel (syndicats du secteur sucre) et la Mauritius Sugar Producers’ Association (MSPA) serait-il un signe avant-coureur de ce retour ? Avec l’aggravation de la situation économique, le malaise social mauricien va inévitablement se muer. S’il est difficile de prévoir sous quelle forme l’intensification des contradictions sociales va se manifester, il faut veiller à ce qu’il n’y ait pas de dérives pouvant menacer les fondements de notre cohésion sociale.
Trois mois nous séparent du budget 2013. Il y a les facteurs externes sur lesquels nos responsables politiques et économiques n’ont aucune prise. Toutefois ces responsables disposent heureusement d’une certaine marge de manoeuvre, même si elle n’est pas grande. Elle peut se décliner sous plusieurs formes : technique, symbolique, psychologique. A Xavier-Luc Duval, le ministre responsable des finances, et à ses collaborateurs de faire preuve de maîtrise technique, d’intelligence émotionnelle et d’imagination sociétale pour trouver les solutions appropriées. Bien plus qu’un exercice comptable, le budget 2013 devrait relever de nombreux défis socio-économiques sur fond de malaise social généralisé fait d’exclusion, de précarité, de sentiment de paupérisation et d’ascenseur social en panne.
L’affaire Krishnee Bunwaree sur Facebook et les réactions qu’elle a suscitées, tout comme celles qu’a provoquées le brûlot de Darlmah Naeck sont très indicatives de l’état de notre conscience collective. Près de vingt ans de cela, en 1993, père Roger Cerveaux parlait de malaise créole. A défaut d’inscrire le phénomène dans le processus-dynamique plus large de l’exclusion sociale, certains avaient choisi de le placer uniquement sur le terrain ethnique et des oppositions interethniques avec l’inévitable recherche de bouc-émissaires. Six ans après, le pays connaissait les émeutes de février 1999 où la « révolte des exclus » se muait en bagarres ethniques qui auraient pu être dramatiques. Aujourd’hui encore notre société n’est pas à l’abri de graves dérapages similaires. Et ce ne sont pas les pyromanes qui manquent.
Tout citoyen responsable a un devoir de vigilance pour assurer le vivre-ensemble. A commencer par les acteurs du développement qui doivent mesurer pleinement la portée de leurs déclarations et actions. Évitons que le pays ne s’enfonce dans une crise économique et sociale. Il y a en jeu notre cohésion sociale et l’unité nationale. Toute stratégie visant à trouver des solutions à nos problèmes économiques devrait s’appuyer sur certains principes humains fondamentaux. A commencer par celui de l’équité. Le fardeau doit être porté par tous, voire surtout par ceux qui ont plus de moyens. N’oublions jamais qu’il y a ceux qui ont tout à perdre et ceux qui n’ont rien à perdre !

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