Éducation tertiaire : Au moins Rs 600 M pour l’enseignement supérieur gratuit

Les universités privées retiennent leur souffle quant aux conséquences de l’application de cette mesure à l’aube d’une année électorale

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Le Premier ministre, Pravind Jugnauth, l’a annoncé : les étudiants mauriciens à temps partiel ou à plein-temps dans les institutions publiques d’enseignement supérieur n’auront plus à débourser pour leurs études, menant soit à un certificat, à un diplôme pi à un First Degree. Depuis le 1 er janvier, cette décision est cependant diversement commentée. A ce jour, le chiffre de Rs 600 millions est avancé à l’hôtel du gouvernement à ce nouvel item budgétaire pour la prochaine rentrée universitaire. Mais, il n’est pas à écarter que ces premières estimations soient revues à la hausse une fois les modalités de cette mesue du Père Fouettard politique soient définies et établie. Ainsi, alors que les responsables des principaux établissements éducatifs tertiaires d’Etat disent accueillir favorablement cette décision, ceux du privé, eux, espèrent, pour leur part, que cette annonce n’affectera pas le nombre d’étudiants admis au sein de leurs institutions respectives.

« Nous accueillons cette mesure très favorablement. Mais étant une université dépendant des frais d’études de nos étudiants pour nos opérations, nous attendons une plus grande subvention de la part du gouvernement », explique l’Officer in Charge de l’Université de Technologie de Maurice (UTM), Kiran Bhujun, au Mauricien. Selon lui, cette institution publique ne perçoit en effet que Rs 28 millions comme subventions de l’État alors que les dépenses sont « largement supérieures ». Aussi, s’il qualifie cette mesure de « réjouissante », il estime toutefois qu’il « faut savoir quels sont les paramètres qui seront pris en considération dans l’implémentation de cette mesure ». Cette décision entraînera-t-elle un “screening” plus strict au niveau des résultats ? Pour Kiran Bhujun, depuis 2017, « des critères rigoureux sont appliqués dans les institutions publiques » du pays, où les étudiants bénéficient d’une admission en fonction de leurs résultats, lesquels « doivent répondre aux normes internationales ». Une telle décision pourrait aussi augmenter le nombre d’étudiants qui s’inscrivent à ces institutions chaque année. « Si nous voyons que la demande dépasse l’offre, nous allons peut-être devoir établir un système de sélection », dit-il.

Ainsi, les étudiants de l’UTM qui s’inscrivent aux différents cours déboursent actuellement environ Rs 46 000 par an, en sus des frais administratifs, qui sont de Rs 4 000. Près de 3 200 étudiants sont pour l’heure inscrits à l’UTM.

À l’Université des Mascareignes (UDM), cette décision est aussi positivement accueillie. « S’il y a une bonne planification et si la recherche n’est pas affectée, c’est une très bonne décision », soutient ainsi le directeur de l’UDM, le Dr Dinesh Somanah. Du côté des parents n’ayant pas pu envoyer leurs enfants à l’université par manque de ressources financières, cette décision se présente cependant comme un soulagement. Mais l’UDM dépendant aussi des frais d’études pour opérer, le directeur général de l’institution estime qu’il « faudra trouver des moyens pour compenser, vu que les étudiants ne paieront rien ». Conscient que cette décision augmentera le nombre d’élèves, le Dr Dinesh Somanah avance que des investissements seront nécessaires « afin d’améliorer les infrastructures ».

Par ailleurs, selon ses chiffres, le nombre d’étudiants mauriciens a accusé une augmentation de 25% l’année dernière, contre 50% pour les étudiants étrangers. Le directeur général se demande toutefois si cette décision ne concerne uniquement que les étudiants mauriciens, souhaitant ainsi « attendre encore un peu afin d’y voir plus clair ».
À l’Open University of Mauritius, cette décision est aussi bien accueillie. « C’est une bonne décision pour le pays, mais nous attendons une décision du gouvernement car notre institution est une “open distance learning” », souligne le directeur général de l’institution, le Dr Kaviraj Sukon. Alors que ce sont des étudiants à temps partiel et à plein-temps qui sont concernés par cette mesure, il se dit « certain à 90% que les étudiants de l’Open University of Mauritius sont aussi concernés ». Il fait en outre ressortir que les étudiants peuvent actuellement “re-register” mais qu’aucun paiement n’est demandé. « Nous attendons encore une semaine pour que l’on puisse y voir plus clair », ajoute-t-il. Selon lui, l’Open University of Mauritius est une « institution financièrement indépendante ». Suite à cette mesure, il prévoit une augmentation de 25% du nombre d’étudiants en janvier et de 50% en juillet. Et d’ajouter que ces cinq dernières années, le nombre d’étudiants a augmenté pour arriver à 5 700, ce qui constitue « une belle progression ».

Cette annonce est également bien perçue du côté de Polytechnics Mauritius. « C’est une bonne décision du gouvernement. Mais nous devons maintenant voir comment l’implémenter », soutient le Pr Theeshan Bahorun, président du conseil d’administration. Selon lui, « il faut très rapidement établir le Higher Education Act et mettre en place la Quality Assurance Authority ». Il poursuit : « Il nous faut une autorité qui établira des critères pour que les universités soient peu à peu au même niveau dans le cadre de la gratuité de l’éducation tertiaire. »

Pour lui, « il faudra revoir les admissions dans les universités, mais donner la chance à ceux qui n’ont pas les moyens financiers de poursuivre leurs études». De plus, il est impératif « de revoir tous les programmes qui sont offerts pour que les étudiants, à la fin de leurs cours, soient employables ».

« Nous allons devoir changer notre mode d’enseignement », fait-il ressortir. Ainsi, il dit craindre que si des actions appropriées ne sont pas prises, il devienne « difficile d’avoir les résultats attendus ». Cela dit, il ne fait aucun doute pour le Pr Theeshan Bahorun que Polytechnics Mauritius soit aussi concernée. « Le gouvernement a massivement investi dans Polytechnics Mauritius », dit-il ainsi. Selon lui, Polytechnics Mauritius « doit être incluse car elle est le “missing link” dans cette chaîne pour aller vers les compétences et réduire l’inadéquation entre l’offre et la demande ».

Du côté des institutions privées en revanche, cette annonce suscite des craintes. « Nous espérons avoir autant d’élèves pour la prochaine rentrée », lance ainsi Mikael Gujadhur, Marketing Executive à la MCCI Business School. Même si le marché ciblé par l’institution diffère des institutions publiques, il se pourrait ainsi, selon lui, que certains étudiants préfèrent s’inscrire pour des cours gratuits. Or, la MCCI Business School « se démarque des autres grâce à son système d’éducation et la valeur qui y est accordée ». Il reprend : « Nos diplômes sont internationalement reconnus et nos étudiants ne sont pas ceux qui choisissent une institution publique au préalable », ajoute-t-il. A noter que la MCCI Business School compte actuellement 429 étudiants. Quant aux frais d’études, ils varient de Rs 100 000 à Rs 250 000 pour deux ans, dépendant des écoles.

Une autre institution tertiaire privée, située au coeur du pays, qualifie cette annonce de « choquante ». Selon le directeur de cette institution, cette décision «augmentera le nombre de chômeurs » dans le pays. «Sur quatre jeunes, deux ont un emploi », rappelle-t-il. Pour lui, cette décision « coûtera des milliards au gouvernement », estimant dés lors qu’il aurait préféré qu’il y ait des “exchange programmes” gratuits au lieu d’offrir l’éducation tertiaire gratuitement. « On donne de l’éducation gratuitement dans un créneau qui est vraiment saturé », constate-t-il.

Cette décision pourrait « tuer d’autres institutions » privées. « On demande aux institutions étrangères de s’implanter à Maurice et on entre en même temps en compétition avec elles », dit-il. Il estime ainsi que «Maurice fait exactement le contraire que ce qui se pratique en Europe, où on paie pour ses études mais où on mise sur la qualité » offerte. « On est en train de tuer la qualité pour une éducation gratuite. Ce sera pareil que pour les services des hôpitaux publics », dit-il.

Pour le président de l’University of Technology Mauritius Employees Union (UTMEU), Vikash Sewsagur, cette décision est « purement politique » et s’inscrit dans la perspective des prochaines élections générales. Ainsi, dit-il, « si des Mauriciens bénéficieront bien sûr de cette mesure, nous allons dans une direction où nous créerons des jeunes et une nation parasites », poursuivant : « La balle est maintenant dans le camp des gestionnaires de l’éducation. Il faudra des personnes hautement compétentes afin de pouvoir traduire cette décision d’éducation gratuite en une éducation de qualité. » Pour lui, « l’avenir de Maurice est en jeu ». Disant lui aussi préférer attendre « pour y voir plus clair », il exprime déjà son souhait que le gouvernement « accorde toutes les ressources nécessaires à toutes les institutions tertiaires publiques afin de ne pas créer de disparités ».

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