ÉGLISE ET SOCIÉTÉ — Lettre pastorale 2020 : Le cardinal Piat dissèque « les violences sociales et familiales » à Maurice

  • L’évêque de Port-Louis : « La contestation des résultats des élections, d’une ampleur jamais connue jusqu’ici, crée une certaine instabilité et prive de la sérénité nécessaire pour un bon fonctionnement de notre démocratie »
  • L’échec patent du système d’éducation, les fermetures d’usine avec des licenciements et la prolifération du fléau de la drogue parmi les principales préoccupations du diocèse de Port-Louis

Pour le mandement de carême 2020 présenté aujourd’hui, le cardinal Maurice Piat, évêque de Port-Louis, a puisé abondamment dans les sujets de l’actualité locale. Le fléau de la violence a retenu son attention, mais dans sa réflexion, le cardinal va au-delà des agressions physiques fréquentes qui font la une des médias presque quotidiennement. Dans cette lettre pastorale intitulée « Ensemble, construisons une paix durable », il dissèque le problème sous divers angles et aborde ainsi ce qu’il qualifie de « violences cachées dans le système économique ultralibéral », dans le fonctionnement de la démocratie et dans le système éducatif et il s’attarde aussi sur les « violences sociales et violences familiales ».

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D’entrée de jeu, le cardinal Piat note que « malgré une amélioration réelle du niveau de vie d’une majorité de Mauriciens et les facilités offertes à la population telles un plus grand accès à l’éducation, aux services de santé, au transport gratuit, nous sentons que cette paix sociale, que nous chérissons tous, est fragile, qu’elle est même menacée ». Il invite les Mauriciens « à prendre conscience de cette fragilité et à s’engager ensemble sur le grand chantier de la construction d’une paix durable pour notre pays » en évoquant « certaines violences souterraines qui empêchent la vraie paix ». « Gérer les manifestations extérieures de violences ne suffit pas pour apporter la paix. Il faut s’attaquer à leurs causes plus profondes, à ce qu’on pourrait appeler les violences structurelles », croit-il.

La lettre pastorale se décline en trois chapitres : « Violences sourdes qui menacent la paix sociale », « Comment construire la paix durable dans une telle situation ? » et « Nos ressources ». L’évêque de Port-Louis revient sur les grands événements nationaux qui ont fait vibrer et rassembler la population tels que les Jeux des Îles de l’océan Indien, la visite du pape, et dira que : « L’année 2019 semble à première vue avoir été un grand cru de paix et de joie partagée dans la République ». Il parle de « notre réussite de l’Île Maurice arc-en-ciel ». Il fait aussi état de certaines réalisations du gouvernement, dont le Metro Express, l’augmentation de la pension de vieillesse et les meilleures conditions de travail. « Cependant, beaucoup parmi nous ressentent comme une certaine inquiétude », ajoute-t-il.

À ce stade, le cardinal Piat ne manque pas de souligner la recrudescence de meurtres et de la violence familiale, en particulier envers les enfants, le trafic de drogue détruisant un nombre grandissant de jeunes et laissant des familles dans la souffrance, « l’indiscipline notoire» sur les routes et avec pour conséquence une augmentation d’accidents mortels, les fermetures d’usines et des licenciements menaçant la stabilité de l’emploi, le logement social insuffisant et entraînant une multiplication de squatters et une promiscuité dans des logements de fortune.

L’évêque de Port-Louis ajoute que « la contestation des résultats des élections, d’une ampleur jamais connue jusqu’ici, crée une certaine instabilité et prive de la sérénité nécessaire pour un bon fonctionnement de notre démocratie ». Il s’attarde particulièrement sur le système électoral, soit le « découpage des circonscriptions électorales disproportionné » et du système “First Past The Post” qui entraîne « souvent une représentation déséquilibrée au Parlement » en se référant à titre d’exemple aux résultats des élections de 1982 et de ceux du 7 novembre dernier où « une alliance soutenue par 37% des votants obtient 63% des sièges ».

L’obligation de la déclaration d’appartenance communale des candidats aux élections n’a pas échappé à l’attention du diocèse de Port-Louis. « Cette pratique blesse profondément cette aspiration au mauricianisme que nous partageons tous. On pourrait se demander à quelle communauté appartiendrait un Mauricien de la population générale qui se convertirait à l’Islam, ou un Mauricien de la communauté chinoise qui voudrait adopter la religion hindoue ? (…) Toute une génération de Mauriciens rejette viscéralement cette violence faite aux candidats qui sont obligés de déclarer leur appartenance à l’une de ces quatre communautés sous peine de voir leur candidature rejetée par la Commission électorale », s’insurge-t-il.

Le cardinal plaide pour l’injection d’une dose de représentation proportionnelle dans le système électoral. « Aucun gouvernement n’est parvenu jusqu’ici à faire aboutir une réforme électorale qui touche à ces fondamentaux d’une vraie démocratie. Est-ce parce que les décideurs politiques de quelque bord qu’ils soient sont dans ce domaine à la fois juges et parties ? Leurs accès au pouvoir dépendrait-il un peu trop du système qu’il faut remettre en question ? Dans ce cas, ces questions ne devraient-elles pas être soumises plutôt à une institution judiciaire indépendante ? » s’interroge-t-il dans une tentative de « sauver ce qu’il y a de beau et de grand dans notre système démocratique » et ne pas laisser certaines « blessures gangrener l’ensemble du système » en soulignant que « le bon fonctionnement d’une démocratie repose sur la confiance ».

Abordant le chapitre consacré aux « Violences cachées dans le système éducatif », le cardinal Piat s’appuie sur l’échec patent avec le peu nombre d’enfants qui arrivent jusqu’au bout de leurs études secondaires. « Sur dix élèves qui entrent en Grade 1, seulement trois accèdent au niveau du HSC. Les derniers résultats de SC témoignent d’un système d’éducation qui laisse sur le bord de la route, un pourcentage important d’élèves », regrette-t-il.

Le mandement de carême se jette dans la bataille du critère obligatoire des cinq “Credits” en School Certificate pour être admis en Lower Six avec les 11 635 candidats aux examens de SC 2019 n’ayant obtenu que trois “Credits” et moins, ne leur permettant pas d’accéder ni au HSC ni aux filières techniques existantes pour une grande majorité car la capacité d’absorption étant très limitée. « Ces résultats ne traduisent-ils pas la difficulté de notre système à rejoindre une proportion importante de jeunes qui ne sont pas faits pour une filière académique, mais qui peuvent être très performants dans d’autres filières ? Il n’est pas question de proposer un nivellement par le bas, ni de sous-estimer l’importance de porter attention aux élites. Mais il faut empêcher qu’une juste attention aux élites conduise à négliger les besoins des élèves faibles ou moyens académiquement », rappelle-t-il.
Le cardinal Piat revient sur l’urgence d’une politique nationale de réhabilitation des toxicomanes en soulignant la recommandation du rapport Lam Shang Leen dans ce sens. « Elle recommandait, à cet effet, que la prison de Petit-Verger soit convertie en un centre de réhabilitation. Il nous faut changer notre regard et considérer les consommateurs de drogue comme des malades et non pas comme des criminels », s’est-il appesanti.
Affirmant que « construire la paix exige de l’initiative », le chef de l’Église catholique plaide pour un « un engagement quotidien personnel » en lançant un vibrant appel aux Mauriciens. « Nous ne pouvons pas renvoyer cette responsabilité à d’autres ou aux seules institutions. Elle est une œuvre citoyenne où chacun a un rôle irremplaçable. La paix est à faire constamment, petit à petit, par des gestes concrets dans le quotidien », clame-t-il.

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