« UNE ÉGLISE POUR LES PAUVRES »– LE COLLÈGE DU SAINT-ESPRIT: Ne pas trahir ce credo du Pape François !

“Une église pour les pauvres ». Tel est le credo offert par le Pape François aux chrétiens du monde entier. Disons le tout de suite : à Maurice, l’Église catholique a toujours accompagné les plus pauvres de ses fidèles, soit directement, ou au travers des institutions qui opèrent sous son égide, telles Caritas et les collèges techniques, entre autres. Et puisque l’éducation a toujours été perçue comme la voie royale vers la réhabilitation des démunis, l’Église a, là aussi, fait sa part, aux côtés de l’État, pour sortir les analphabètes des ténèbres de l’esprit.
Mais au moment où le collège du Saint-Esprit célèbre ses 75 ans d’existence, cela saute aux yeux que cet établissement secondaire ne répond pas au credo de ce nouveau Pape. Pour la bonne et simple raison que ce collège, qui, comme le Saint-Joseph, le Saint Mary’s et La Confiance, entre autres, opère également sous l’égide de l’Église catholique, pratiquerait l’exclusion des plus faibles et laisserait cours à la fuite de nos cerveaux vers d’autres cieux.
Lors de la récente proclamation des résultats du HSC, un journal titrait ceci : « 60 lauréats sous le mandat de Jacques Malié », le recteur de ce collège. Faut-il rappeler que tout lauréat signait un « bond », où il était stipulé qu’il devait retourner au pays, une fois ses études terminées, afin de « rembourser » en quelque sorte l’argent que l’État a investi dans ses études ? Combien des 60 lauréats de Jacques Malié sont retournés au pays ? Multiplions 60 par Rs 500,000, et on comprendra qu’on est très loin de l’idée d’une « église pour les pauvres » !
De même, en favorisant cette prétendue « élite », le Saint-Esprit n’a pas rempli son rôle, qui aurait dû être au service des plus pauvres. En quoi est-ce un « exploit » de transformer en lauréat un élève qui a eu 6 unités en School Certificate ? Le véritable exploit, et qui aurait dû être annoncé chaque année par ce collège, c’était de transformer en lauréats des étudiants considérés comme « faibles », voire « nuls ». Comme l’a brillamment souligné Cédric Lecordier, journaliste au Mauricien, et lauréat, le vrai lauréat, ce n’est pas cette fille ou ce garçon du Queen Elizabeth College ou du Saint-Esprit, mais un enfant de Tranquebar appelé Linley Marthe, ou un minot de Cité Mangalkhan, connu sous le nom de Stéphan Buckland, deux étudiants de l’école de la vie, transformés sur les bancs du quotidien, et qui, à force de persévérance, soutenus par leurs parents, leurs premiers profs, sont parvenus à briller. Et à faire honneur à leur pays.
Le Saint-Esprit, dans sa forme actuelle, ne répond guère aux valeurs d’une « église pour les pauvres ». A ce jour, ce collège, comme le QEC, un collège d’État, n’est qu’une usine. Qui produit à la chaîne ses lauréats, comme le boulanger enfournerait ses pains… Il n’est un secret pour personne que pour avoir accès à ces usines, des parents font des pieds et des mains pour voir leurs progénitures passer la porte de ces institutions.
Les « produits » de ces usines font tellement partie du paysage éducatif que c’est devenu une « habitude » pour le Saint-Esprit d’avoir des lauréats chaque année. L’Église catholique, qui se doit d’être aux côtés des pauvres, des plus pauvres même, aurait donc fini par trouver normal que cela soit ainsi !
Les défenseurs de ce statu quo me répondront qu’une élite est « nécessaire » au pays, que les procédures pour entrer au Saint-Esprit n’ont rien de corruptrices et que ce collège entre dans la compétition des lauréats uniquement pour « former » nos jeunes. Soit. De toute façon, il ne servira à rien d’argumenter avec ceux-là.
Mais je leur demanderai simplement de réfléchir sur ces deux exemples : Le premier a pour nom Paul Raymond Bérenger. Un des plus illustres élèves de ce collège, il a dédié toute sa vie (et il n’a pas encore fini de le faire, promettant de « revini » après avoir triomphé de sa maladie) à la défense des pauvres. Souvent qualifié de « Blanc » par ses ennemis et adversaires politiques, le leader du Mouvement Militant Mauricien aurait pu rester un Franco-Mauricien anonyme, s’il avait intégré la filière « normale » de cette communauté.
Au contraire, dès son jeune âge, il se lance dans le combat contre le communalisme, et donc veut unifier son peuple, milite pour les droits des employés du transport, du port, de la zone franche, secteurs où la plupart des travailleurs sont dits « illettrés », mais qui ont grandement contribué (cela n’est pas souvent souligné) à l’avancement du pays, en donnant leurs bras pour souvent « dipin diber ». Et rallie derrière lui les « Noirs » de ce pays, tous ceux qui vivaient (et vivent encore) dans les ténèbres de la misère. Imaginons un seul instant ce qui se serait passé si Paul Bérenger n’avait pas fait cela ? Les cyniques répondront « il y aurait eu quelqu’un d’autre ». Peut-être. Mais ce quelqu’un d’autre n’aurait pas été un étudiant du Saint-Esprit !
Le second a pour nom Yvan Martial. Lui aussi a été étudiant de cet établissement, et c’est lui qui rédige actuellement l’ouvrage qui contera les 75 ans de son collège. Je dois à ce grand monsieur d’être un journaliste. Pourtant, je n’avais (je ne les ai toujours pas !) ni certificats, et encore moins de diplômes. Yvan m’a pourtant donné ma chance. Parce que lui aussi, comme Paul Bérenger, était imbu de ce sens de ce qui est aujourd’hui pompeusement appelé « equal opportunity ». J’étais un enfant de Les Salines, un quartier pauvre de Port-Louis.
Rien que pour l’année 2012, les responsables du Saint-Esprit ont-ils accueilli dans ce collège 60 enfants pauvres, qu’ils auront transformés en lauréats, pas de cette élite qui fuit son pays, mais de cette jeunesse responsable qui reste ici, et met la main à la pâte ? J’en doute ! J’invite donc Jacques Malié à méditer sur ces mots du père Jean-Maurice Labour, parus dans un hebdomadaire du 17 mars : « En Argentine (il parle du nouveau Pape), il cultivait un style de vie simple. Il a refusé de vivre dans la luxueuse demeure de l’archevêché et opté pour un appartement sans aucun domestique. Il préférait les transports en commun aux voitures avec chauffeur. »
Qui des 60 lauréats de Jacques Malié répond à ces critères d’humilité ?!

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