ELECTIONS GENERALES — L’enjeu : barrer la route à une république monarchique

Au-delà du mérite de clarifier le paysage politique trop longtemps confus, les prochaines élections générales mettront l’équipe gagnante en demeure de prendre les décisions visant à rassurer les investisseurs, fouetter la croissance, résorber le chômage, maîtriser l’inflation, assurer l’équilibre des comptes nationaux et combattre les inégalités. Loin de la traditionnelle démagogie, séductrice mais dangereuse, dont nous sommes, de nouveau, témoins.
L’économie doit certes être une préoccupation constante mais, dans la conjoncture présente, limiter son horizon à cette donne pour le choix d’un député serait mortel. En effet, tapi dans l’ombre, un double danger guette: d’une part une deuxième république susceptible d’être porteuse d’instabilité et qui, plus grave,  ne s’attaque pas au déséquilibre des pouvoirs entre les différentes institutions de l’Etat ainsi qu’entre l’Etat et le citoyen. Ce dernier est maintenu dans sa position défavorable, n’exerçant qu’une ‘souveraineté douteuse’ une fois tous les cinq ans tandis qu’un « Président » entraîne la République dans une dérive monarchique, car exerçant des pouvoirs accrus sans son corollaire indispensable, l’accountability, et où assurer la permanence du pouvoir devient le principal objectif.  D’autre part, une réforme électorale où le député de la liste proportionnelle, chouchou du leader ou sa caution communale/castéiste, n’aura nul besoin de solliciter un mandat de l’électorat, un dispositif insupportable que tout démocrate ne peut que réprouver. Car un citoyen aspirant à siéger au Parlement mais n’ayant pas à se soumettre au verdict du suffrage universel bafoue l’essence même de la démocratie.
Mgr. Piat écrivait à cet effet: «Il serait très dangereux et malsain de laisser aux chefs de parti le soin de choisir eux-mêmes APRES les élections qui, de leur liste, ils voudraient envoyer au Parlement. Or, ces chefs de parti se décrédibiliseraient sérieusement devant l’opinion s’ils se cachaient derrière une apparente négociation pour s’attribuer un pouvoir qui ne leur revient pas, mais qui revient aux électeurs.» Il faut ainsi être vraiment culotté pour oser parler d’approfondissement de la démocratie. Surtout quand on y rajoute des résultats potentiellement faussés car dictés par le pouvoir de l’argent et qui fit dire au chef de l’Eglise catholique: «C’est ainsi que les consciences des électeurs, des candidats et des députés transfuges peuvent être achetées et souvent au prix fort…Pour faire avancer vraiment la démocratie et faire preuve de patriotisme, nos leaders politiques doivent s’attaquer à la source du mal, le financement occulte des partis politiques…»  Une réforme électorale qui fait abstraction du financement des partis n’est qu’infâme  tromperie.
Ce n’est pas pour autant qu’il faille se leurrer: la course se joue entre les deux principales alliances et eu égard aux dangers précités, il est impératif de nier au vainqueur l’obtention des trois quarts des sièges au Parlement, indispensables pour les amendements à la Constitution. D’où l’exigence du vote koupé/tranché. Cette démarche n’exclut pas un positionnement idéologique: les deux alliances défendent le néolibéralisme dans toute sa laideur, avec son cortège d’atteintes aux droits des travailleurs doublé d’un développement à multiples vitesses qui, au fil des années, a débouché sur les chiffres suivants (Statistics Mauritius 2012): 2 % de la population (25.000 compatriotes) se débattent dans la pauvreté absolue avec moins de Rs 1125 par mois ; 10 % (125,000 citoyens) comprennent une famille de 4 personnes  survivant avec Rs 13,330 par mois ; 100,000 travailleurs touchent moins de Rs 6,000 par mois ; l’endettement fait des ravages ; 55,000 chômeurs, dont une majorité de la gent féminine, sont aux abois ; les inégalités s’amplifient comme l’atteste le coefficient de Gini: 0.371, 0,388 et 0.413 en 2001/2, 2006/7 et 2012 respectivement.
Spectacle affligeant de soumission…
Et, ajoutant l’insulte à l’injustice, ces deux alliances ne sont désormais que deux fan clubs grouillant d’affairistes glorifiant leurs leaders respectifs et où pullulent  opportunistes dont la ‘droiture’ – si tant que ce mot a une signification – est à géométrie variable. Et nous faisons là l’impasse sur ce spectacle affligeant de soumission (Bureau Politique, Comité Central, Assemblée des Délégués, députés confondus) et d’acrobatie intellectuelle pour justifier l’injustifiable. A ce titre, l’interview de celui qui dit représenter la composante musulmane au front bench – cela nous fait violence d’écrire cet anachronisme – dans un hebdomadaire le 12 octobre est édifiante). Et symbole du summum du déclin de la société mauricienne: la candidature éventuelle d’un citoyen condamné pour corruption par la cour suprême, un jugement confirmé par le Privy Council. L’indécence, là, n’a d’égale que le mépris pour l’électorat et l’insolence vis-à-vis  du  judiciaire.
La gauche, DANS SON ENSEMBLE, a donc une carte à jouer. Très nombreux sont ceux qui, malgré certaines idées qu’ils peuvent juger contestables, lui reconnaissent une qualité dont la cruelle absence dans le monde politique local prépare l’inéluctable déchéance de notre société: une éthique. Et les amis de Subron ont eu le slogan juste, accrocheur et, souhaitons-le, fédérateur car le créateur ne compte pas, c’est l’oeuvre qui importe. Ena alternativ ! Mais si Rezistans s’y prend seul, l’échec est garanti. Pourrait-on envisager une opposition comprenant des cerbères tels que Lindsey Collen, Sheila Bunwaree, Roshni Mooneeram, Ashok Subron et Jack Bizlall? Utopie? Citons Anatole France: «Pour accomplir de grandes choses, nous devons non seulement agir, mais aussi rêver ; non seulement planifier, mais y croire.»  Il est donc urgent de briser la bipolarisation en offrant un choix à l’électorat, notamment en harmonisant les programmes, ceux de Lalit, de Rezistans ek Alternativ, du Mouvement Large, d’ENSAM, du PJS et en accommodant les hommes et femmes de bonne volonté, humanistes et de sensibilités de gauche qui souhaitent apporter leur contribution à une île Maurice meilleure. Et dégager ensuite une stratégie électorale. Comme, par exemple, limiter sa participation à quelques circonscriptions seulement et à un candidat par circonscription pour maximiser les chances de succès en y mobilisant toutes ses ressources. Car nous les imaginons dérisoires face à celles dont disposent les camps adverses: appareil d’Etat, soutien massif des bénéficiaires de la ‘démocratisation de l’économie’ – un euphémisme pour le copinage – et autres bailleurs de fonds occultes qui n’attendent que le retour de l’ascenseur.
Pot de terre contre pot de vin, la lutte est inégale.  Mais il faut la mener car l’enjeu le commande: barrer la route à une république monarchique.

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