Emplette sous surveillance : Comme un air de film de science-fiction

Vingt minutes. C’est tout juste le temps qu’une consommatrice que nous appellerons Sheila a eu, en tout et pour tout, pour faire ses courses dans une grande surface, tant l’affluence dans ces commerces a été grande en ce premier jour de réouverture. Un événement qui, à bien des égards, a semblé s’inspirer de l’un de ces films de science-fiction à suspens et plein de rebondissements avec des clients masqués et tout de gants vêtus, des patrouilles policières et des soldats prêts à intervenir…

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Fonctionnaire d’un service essentiel, nous l’appellerons Sheila A. En ce jeudi de réouverture des grandes surfaces, elle est de service à Port-Louis. 59 ans, mère et grand-mère, la dame n’avait pas eu le temps, avant le total lockout de tous les points de vente alimentaires, de faire des provisions pour une période raisonnable de temps. C’est que, ces derniers temps, elle était complètement prise par le boulot.

La fonctionnaire ne pouvait pas non plus compter sur son époux retraité et souffrant. Pas question, s’est-elle dit, de l’exposer à ce fichu virus, lui qui souffre déjà de complications de santé. En temps normal, sa fille aurait pu lui être d’une aide certaine. Mais cette dernière, qui vit seule avec son jeune fils à une vingtaine de kilomètres de la maman est, elle-même, confinée de force chez elle. Sheila avait, donc, commencé à ne plus pouvoir tenir.

Manquant désespérément de lait, elle s’était permise, un jour sur deux, de puiser dans la petite boîte de lait maternisé qu’elle a toujours à portée de main et qui lui sert à dépanner sa fille le jour où cette dernière s’amène avec son bébé et qu’elle aurait omis de venir avec le lait du petit. Elle ne voulait plus manger à toutes les sauces fruits à pain et papayes vertes qui poussent, depuis des années, dans sa cour. Consciente que ce jeudi est le jour où il lui est loisible d’aller faire ses emplettes selon les modalités alphabétiques arrêtées, la fonctionnaire jure ses grands Dieux qu’elle ne ratera pas l’occasion qui se présente à elle. Mais il lui fallait, d’abord, parer au plus pressé: se présenter, le matin, au bureau pour expédier les affaires courantes et attendre un moment propice pour se rendre, vite fait, à l’hypermarché du coin.

En descendant vers Port- Louis le matin, elle prend mesure des attroupements aux abords des commerces alimentaires. La dame est consciente qu’il lui faudra une bonne dose de patience. Mettons, quarante-cinq minutes à une heure, le temps qu’elle prend, généralement, pour son déjeuner. 10h25: un temps mort au bureau. Juste le temps pour prendre de son chef hiérarchique fort compréhensible sa permission pour “déjeuner plus tôt”.

Vite, direction l’hypermarché du coin. Bien que bon enfant et observant généralement les règles de distanciation sociale, la file de clients alignés paraît interminable à Sheila. L’impression qui se dégage dans son esprit en visualisant la scène qui s’offre à elle est celle d’une participation au tournage d’un film de science-fiction avec suspens et rebondissements ! Jugez-en : tout le monde aligné porte un masque médical. Certains sont aussi gantés.

Exorciser son trop-plein de peur

En patrouille devant le commerce, des policiers qui montent la gardent sont aussi masqués et gantés. Des soldats s’amènent aussi. Sur réaliste, l’ambiance lui semble, des fois, pesante. Mais le public acheteur prend son mal en patience. Malgré les consignes, les uns s’échangent, des fois, quelques paroles. Parler pour, peut-être, exorciser le trop- plein de peur qui paralyse les plus fragiles mentalement face à cette crise sanitaire.

Loin derrière, dans la queue, Sheila est là, seule avec elle-même. Elle aussi s’arme de patience. Tout en haut du firmament, un soleil brûlant darde ses rayons sur la terre mauricienne. Il s’en dégage une chaleur étouffante. Une soif de chameau s’empare de la fonctionnaire. Elle n’a pas pensé se munir d’une bouteille d’eau. Mais ou, d’abord, l’obtenir cette malheureusement bouteille d’eau alors que, tout ce temps, les commerces étaient fermés? Elle n’a pas non plus prévu d’apporter une ombrelle.

La foule devant notre bonne dame fait, au moins, 400 mètres de long. 11h00 pile. Après trente minutes d’attente, Sheila n’aura bougé que d’une dizaine de mètres. Elle se rend à l’évidence qu’il lui faudrait attendre encore des heures pour avoir finalement accès au magasin d’alimentation et faire ses coures. Mais elle a du boulot. Lasse d’attendre, la fonctionnaire abandonne et re- gagne son bureau. Puisqu’elle va rentrer tôt, l’après-midi, elle se dit à elle-même qu’elle aura peut-être un peu plus de chances plus tard quand elle sera rentrée chez elle dans les basses Plaines-Wilhems pour aller faire ses emplettes au supermarché de sa région avant la fermeture à 17h00.

Par un concours de circonstances qui lui est favorable, la fonctionnaire s’y présente aux alentours de 15h30. Effectivement, moins de monde à cette heure. Et le contrôle à l’entrée paraît être mieux huilé. La dame parvient, en fin de compte, à accéder à l’intérieur du commerce vers 16h40. Vingt minutes, top chrono, seulement pour prendre le maximum. Priorité à la boustifaille : lait, thé, café, viandes, une gazeuse, des pâtes, du riz, du pain. Voilà qu’un préposé s’amène et cri, littéralement, aux oreilles des clients que c’est l’heure de passer à la caisse.

Qu’importe! Sheila a le sentiment apaisant d’avoir fait son devoir. Quand elle rentre chez elle, elle apprend qu’un de ses voisins dont c’était aussi le jour des courses, jeudi, a eu l’amabilité de prendre quelques autres victuailles à la boutique du coin pour son époux souffrant. C’est déjà cela de gagner. En attendant lundi, quand, suivant les arrangements par ordre alphabétique, la fonctionnaire pourra, une fois encore, faire des emplettes.

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