EN FIN DE COMPTE: Le conteur (n’) est (pas) comptable

Voici pour les enfants de la chère (ou amère, c’est selon) patrie venue l’heure du conte par excellence, celui de tous les comptes de l’année, lesquels, compte tenu d’une conjoncture toujours difficile – on n’en connaît pas d’autres dans certains milieux –, de facteurs exogènes toujours, évidemment, défavorables – quoique certains, une minorité, n’aient jamais l’air d’en souffrir, et c’est tant pis pour les autres, la majorité, – ne sauraient être meilleurs qu’ils ne le sont. Il est impossible de mieux faire et le peuple est franchement ingrat, quand il ne serait ignorant. Voilà ce que nous affirme le Comte lui-même, ou le Vicomte, à l’instant où réglant ses comptes avec le passé, mettant à jour ceux du présent, il s’apprête, tel un shaman ou un sorcier, ou plus simplement un guérisseur, à dévoiler les comptes de l’avenir à la faveur du conte par d’autres pour lui rédigé et par d’autres dont on ne saurait préciser l’identité imposé, mais par un seul, du moins selon la version officielle, inspiré, comptes révélés lors d’une séance de thaumaturgie par un comte conteur comptable à ses moments perdus, mais jamais comptable de ce qu’il dit ou fait, laissant aux autres le soin de s’occuper de leurs comptes, même si, n’y trouvant pas leur compte, ils en viennent, au bout du compte, et nullement à bout du comte, à se demander s’ils ne feraient pas mieux de se mettre à leur compte. Encore faut-ils qu’ils en soient capables, et puis, n’importe comment, le comte conteur comptable pas comptable, qui n’est pas toujours de bon compte, risque de trouver que cela n’est pas très rationnel, étant donné que ce sont les bons comtes seuls qui font les bons amis.
Ah, les amis ! C’est d’eux, bien entendu, qu’il s’agit, c’est à eux qu’est destiné, quoiqu’il ne leur soit pas adressé, ce conte dans lequel le comte s’efforce de tenir compte, à pas comptés et nullement au compte-gouttes, de leurs nobles soucis d’enrichissement personnel. Et quant à ceux à qui le conte s’adresse, il faut bien reconnaître que le comte, quoiqu’il affirme le contraire avec toute l’ardeur d’une lionne protégeant ses lionceaux, ne tient pas vraiment compte d’eux, et que leur compte est bon. Ils n’ont qu’à bien se tenir, car c’est toujours à eux qu’il est réclamé des comptes.
L’heure du conte, et, bien plus encore, l’heure des comptes, c’est un peu comme l’heure du crime, l’heure du mystère, mais non l’heure de la dissimulation, celle plutôt de la simulation, surtout quand c’est un comte, une espèce de Dracula qui se veut bienveillant des temps modernes, qui est appelé à en fournir le récit dont il se contente de donner lecture, à l’instar d’un comédien, plutôt bien, ou plutôt mal dépendant de la situation, préparé, tantôt triomphal, tantôt confus et maladroit, mais toujours sûr de lui, cependant que les vampires, par l’odeur du sang que l’on se prépare à verser alléchés, se pourlèchent de satisfaction difficilement contenue. Et la gravité de l’heure, dont, par ailleurs, on serait bien incapable de dire à quoi elle tient, vu que pour l’immense majorité des gens, l’heure est toujours grave au-delà de toute mesure, exige tout un cérémonial. Il y faut toute une scénographie et une mise en scène savamment travaillée, rien, ni les costumes, ni le maquillage, ni le ton et les fioritures du discours, encore moins la magie de l’ombre et de la lumière, n’étant laissé au hasard pour que se produisent les effets les plus spectaculaires et l’adhésion la plus massive, fût-ce dans l’incompréhension la plus totale.
Les enfants, c’est bien connu, aiment bien les contes et les spectacles, surtout quand on les leur affirme gratuits, et, pour les comtes, les vicomtes et leurs amis, il est bien possible que les autres, tous les autres ne soient que des enfants qu’il faut traiter uniquement comme des enfants, de crainte peut-être qu’ils ne s’avisent de grandir. Mais en même temps, les enfants se veulent adultes et c’est probablement pour cela qu’ils n’aiment rien tant que ces contes qui ont l’air austères et compliqués, enveloppés de mystère, à l’écoute desquels grands et petits, les grands d’abord, se croient obligés de lancer de grands éclats de rire, comme pour bien faire comprendre qu’ils comprennent tout à merveille et qu’ils y prennent un plaisir inégalable. Et il est d’autant plus inégalable le plaisir que procure le conte traitant de comptes du comte conteur pas très comptable qui invente bien plus qu’il ne raconte, qu’il plonge dans une douce euphorie, celle qui, convaincue de l’imminence de lendemains meilleurs, relègue les problèmes d’hier et d’aujourd’hui au magasin des antiquités dans la certitude que demain les prix baisseront et que l’on rasera gratis. Mais, dira-t-on, cela fait si longtemps qu’on ressert ce conte, toujours le même, les variations nonobstant ; sans doute, et alors ? Ce n’est pas parce qu’un conte est faux, parce que les comptes du conte sont faussés et que le comte conteur pas très comptable s’en, tous comptes faits, tire, lui, à bon compte, qu’on s’en détourne, mais uniquement quand il n’attire et séduit. Et les bons contes, tous les comtes, qu’ils soient bons ou non, le savent, sont ceux qui attirent et séduisent. Quant aux comptes eux-mêmes, même si après tout c’est ce qui compte, on se dit qu’on aura toujours le temps d’y penser, préférant pour l’heure et toujours un beau conte dont le conteur assure que ce n’est pas un conte.

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