En marge de la World Hindi Conference : Le Baïtka, jadis un modèle de leadership religio-culturel

PUNDIT SUNJAY YOUDHISTEER MUNBODH

L’émancipation de la communauté hindoue dans la société mauricienne est largement attribuée aux “baïtkas” depuis l’immigration indienne. Il s’agissait d’une racine importée et implantée. À travers l’île, se dressait cette modeste structure de portée éducative et culturelle, dotée de valeurs traditionnelles, qui reflétaient le sens d’appartenance au sein de la communauté. Le baïtka constituait aussi une plateforme où le socio-familial et les projets de société étaient soumis à la réflexion ; l’on évoquait l’éducation, l’enseignement et la promotion de la langue hindi, l’entraide, la consolidation et la valorisation des valeurs religio-spirituelles (sanskars/sistachars). C’était un modèle qui avait engendré dans la communauté l’harmonie, l’unité et la rigueur afin de surmonter les calvaires quotidiens de l’ère coloniale.

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Le sens de leadership des baïtkas était axé sur une vision. Leur mission consistait à encadrer chaque ville et village par le biais de l’hindi car, selon la hiérarchie suprême, la maîtrise de l’hindi engendrerait la lecture et la connaissance des “shastras” (Ramayana, Gita, Vedas, etc). Et ainsi, suivit l’épanouissement des valeurs dans la société. C’était une pépinière, qui produisait des apprenants en hindi. Certains baïtkas dispensaient aussi des cours de rattrapage pour la petite bourse (Junior Scholarship), voire le School Certificate …

Les baïtkas de l’île étaient animés chaque après-midi.  Les apprenants s’y rendaient en groupe pour aller à la rencontre du Guruji, lui assis sur une banquette, et eux prenant souvent place sur des “pirhas” (petits bancs) et des “chatayes” de vacoas (nattes). Le Guruji avait une vocation ardente pour l’enseignement.

On débutait la classe par le “Gayatri Mantra” puis suivait l’enseignement de l’hindi, et on finissait par le Shanti Path (Prière pour la paix et le bien-être d’autrui). Le soir on allumait des “diyas” (lampes en terre cuite) ou la « lampe de pétrole ». Dans cette lueur débutait le “satsang” (sermon) quotidien où prévalaient une grande entente et une motivation familiale intense, le tout suivi de récitals religieux, “Raghupati raghaw raja ram”…, qui boostaient leur moral en ces temps durs.

Photo puisée du Report on medical and sanitary matters in Mauritius by Andrew Balfour, Mauritius: Government Pr., 1921

Au baïtka, berceau des valeurs, où l’on dispensait les cours d’hindi, on apprenait le “viakaran” (la grammaire), l’histoire de l’Inde millénaire, la littérature, la poésie… pour les examens de Pravesika (Form IV), Parichay, Prathama…

L’influence de Mahatma Gandhi, Manilal Doctor, entre autres tribuns, a eu un effet catalyseur et unificateur sur la politique fondamentale des baïtkas. Leur devise était “Work is Worship and Investment in Education is Worship” et on encourageait la politique active. Puis survint un networking stratégique autour de la culture, de la dimension, et du rôle du baïtka. Il était question du baïtka éducatif, de l’éducation académique et de l’éducation des valeurs, du baïtka culturel et du baïtka religieux. Bien qu’elle fût sous le joug de la pauvreté, la famille hindoue investissait dans l’éducation académique et culturelle de ses enfants.

Le baïtka se posait ainsi en trait d’union entre le traditionnel, le modernisme et le développement familial et social. Et face aux nombreux défis sociaux, le baïtka assumait aussi le rôle d’une instance politico-culturelle. Empreint d’un style de leadership fonctionnel, le lieu d’apprentissage était devenu la plaque tournante des “andolans”, d’où émergeaient les “Jan Sangh” populaires contre la bourgeoisie coloniale. L’hindi et le bhojpuri étaient devenus des outils holistiques, de communication à cet effet.

Hélas, aujourd’hui on constate une accalmie. Le baïtka et l’hindi disparaissent petit à petit dans les secteurs industriel et digital. Cette académie d’antan perd lentement, dans un élan de nostalgie, ses traces et racines. Il est grand temps d’assurer la permanence, de réinventer et revitaliser le rôle des baïtkas, car on constate déjà l’érosion des valeurs.  L’émancipation est devenue “académiquement riche” mais “spirituellement pauvre” au sein de la communauté. Qu’en est-il du renouveau pour relever ce défi?

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Photo puisée du Report on medical and sanitary matters in Mauritius by Andrew Balfour,  Mauritius: Government Pr., 1921

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