ENJEU – POUR UN 1ER ANNIVERSAIRE : Le front social sous haute tension !

La compensation salariale Eyewash de Rs 150 « Across The Board », imposée par le ministre des Finances, Vishnu Lutchmeenaraidoo, lors des négociations tripartites de vendredi, a eu l’effet d’un détonateur sur le front social. Le coût global est estimé à Rs 1,5 milliard, dont Rs 1,2 milliard pour le secteur privé, étrangement silencieux. Tout en dénonçant cette décision du gouvernement, quasiment tous les syndicats, que ce soit représentant les intérêts des salariés du secteur privé ou des fonctionnaires et des corps paraétatiques, sont montés au créneau avec ce qui semble se transformer en un « véritable cadeau empoisonné » pour le premier anniversaire de l’installation de Lalyans Lepep à la tête du pays. D’ores et déjà, le mouvement est sur le pied de guerre avec la Confédération des travailleurs du secteur privé (CTSP), dont les chevilles ouvrières Reeaz Chuttoo et Jane Ragoo, préparant la mobilisation pour une manifestation au mois de février prochain. De son côté, le Fron Sindikal de Gos, avec pour locomotive Rezistans ek Alternativ d’Ashok Subron, mise sur une protestation de masse annoncée en mars 2016, alors que les syndicats du secteur public, dont la Fédération des Syndicats du Secteur Public (FSSP), dont le président est Rashid Imrith, se rendant à l’évidence déjà que le prochain rapport du Pay Research Bureau (PRB), qui sera rendu public vers la fin du premier trimestre, pourrait se révéler être un « piège tapé ». De concert avec la Fédération des Syndicats du Service Civil (FSSC) et de la State Employees Federation (SEF), la FSSP tente de jeter les bases d’un front commun pour affronter l’échéance du PRB du début de 2016.
La décision du gouvernement d’accorder une compensation de Rs 150 à tous les salariés à partir du 1er janvier prochain a pour effet principal de raviver une sourde colère, qui était jusque-là sournoise, dans différentes sphères sociales. Déjà lors des premiers échanges lors de la séance plénière des tripartites de vendredi, le ton état donné avec le syndicaliste Reeaz Chuttoo prenant de front verbalement le ministre des Finances, qui était catégorique que l’offre de Rs 150 était à prendre ou à laisser. “Ti nek bizin avoy nou ene mail pou sa. Pa ti bizin fer renyon”, lâche ironiquement le syndicaliste pour exprimer son amertume devant la démarche du Grand Argentier.
Le ton entre les deux protagonistes montera crescendo avec Vishnu Lutchmeenaraidoo tentant d’acculer Reeaz Chuttoo avec un « ou pe koz avek mwa kumadir ou pli kontan dimoune ki mwa ». Cette remarque aura un effet contraire au point où le représentant de la CTSP, constatant que les dés étaient pipés, prit la décision d’effectuer un Walk-Out en compagnie de Jane Ragoo non sans avoir rappelé au ministre que “ou fer kumadir nou nou mové ek ou ou bon”.
Par la suite, le négociateur de la General Workers Federation et de Rezistans ek Alternativ, Ashok Subron, tentera de persuader le ministre des Finances de revenir sur sa décision au sujet des Rs 150 et de saisir de nouveau le Conseil des ministres des contre-propositions des syndicats avant l’adoption de The Additional Remuneration Bill par l’Assemblée nationale, vendredi prochain. L’argumentaire du syndicaliste était qu’avec un taux d’inflation de 3,2% l’année dernière, le gouvernement avait accordé Rs 600 et cette année avec 1,3%, au moins une somme de Rs 300 et non “cette insulte de Rs 150 aux salariés”. Peine perdue face à la position tranchée de l’Establishment et la réunion a pris fin avec le départ prématuré des syndicalistes, qui ne s’attendaient nullement à un tel accueil pour les premières tripartites de Lalyans Lepep.
Pourtant, dès la convocation de la première réunion, Ashok Subron, qui avait soulevé le lièvre de l’absence des tripartites pour la compensation salariale de 2016, s’était mis à la tâche de préparer et de soumettre un Memorandum extrêmement documenté, souscrit par les autres fédérations, pour justifier la demande du paiement uniforme de Rs 500 et d’une somme additionnelle de Rs 200 à tous les salariés touchant moins de Rs 14 000 par mois.
Mettant en garde le gouvernement contre les inégalités sociales, le mouvement syndical s’est appuyé sur le fait que l’heure a sonné pour un redressement compte tenu du fait que “this situation is shaping, and worsening, an unjust and unequal society, which is sitting on social crisis volcano, which can erupt at any time. The ‘vire mam’ electoral phenomenon of December 2014, was an important expression of this deep peoples’ discontent against the growing social and economic injustices in Mauritius”.
Chiffres à l’appui, le Memorandum syndical note qu’au cours de ces cinq dernières années, en dépit de la compensation de Rs 600 de janvier dernier, l’érosion du pouvoir d’achat des ménages a été de Rs 1 423.58 (voir tableau plus loin). Les syndicats ont également fait un vibrant plaidoyer en vue de renverser la tendance à la détérioration sur le plan social qui s’installe, “the direct outcome of years of neo-liberal economic policies imposed by the various governments, the economic elites and international institutions.”
Tout cela n’a pas pesé lourd dans la balance des tripartites avec les Rs 150 “avant, pendant et après” les négociations.
« Connivence à peine dissimulée »
Mais plus grave pour les syndicalistes a été le sentiment de cette “connivence à peine dissimulée” entre le gouvernement et le secteur privé à la table de discussions. Reeaz Chuttoo, connu pour son franc-parler, ne peut s’empêcher de souligner d’emblée “cette compensation de Rs 150 a été décidée depuis l’année dernière, quand une somme de Rs 600 a été payée. Pendant 25 ans, j’ai participé à des négociations tripartites, jamais je n’ai vu le secteur privé être représenté lors des débats que par une seule personne et encore sans aucune contre-proposition. Ce n’était que du Eyewash. La connivence entre ces deux partenaires est plus qu’évidente”.  
Le dirigeant de la CTSP conteste l’argument du ministre des Finances à l’effet que le relèvement des salaires dans la zone franche pourrait mettre en péril des emplois dans le secteur des Petites et Moyennes Entreprises (PME). “En 2013, quand nous avions fait cette proposition pour un salaire-plancher de Rs 8000 avec un Direct Income Support de l’Etat dans la zone franche, le MSM, qui était dans l’opposition, s’y était montré favorable. Aujourd’hui, Vishnu Lutchmeenaraidoo vient se cacher derrière les PME pour éviter de se pencher sur ces cas extrêmement difficiles. Les employés des PME ne sont pas régis par le Remuneration Order de la zone franche, mais ils sont sous un autre régime salarial, soit du secteur manufacturier”, fait-il comprendre.
Avec ce premier rendez-vous raté pour initier un processus de redistribution de la richesse avec la compensation salariale en période de faible taux d’inflation, la CTSP appelle à la mobilisation des salariés pour faire obstacle en 2016 au projet de réglementation du travail contractuel avec l’introduction du concept de Labour Broker. “Nous sommes témoins d’une intense campagne de lobbying de la part du patronat à ce sujet. Cette réglementation du travail contractuel, sous prétexte du lundi cordonnier, est un véritable cancer pour le monde syndical, qui sera affaibli de 200%. Nous voyons ce qui se passe en Afrique du Sud. Nous devrons resserrer les rangs lutter contre cela”, ajoute Reeaz Chuttoo, qui annonce que la CTSP, la Federation of Progressive Unions (FPU) et la Fédération des Travailleurs Unis (FTU), démarrent une campagne en vue d’une manifestation de rue au cours de la première semaine de février prochain.
L’heure est également à la mobilisation dans les rangs de Rezistans ek Alternativ après la désillusion “de la farce” qu’ont été les tripartites de décembre de cette année. Ashok Subron, qui prévoit ce rendez-vous dans la rue pour mars de l’année prochaine, précédé d’une campagne de mobilisation sur le terrain, rejoint Reeaz Chuttoo au chapitre du “complot et de la connivence entre le secteur privé et le gouvernement”.
“Se pa gouvernman ki pe diriz pei, me se High Powered Committee GM-sekter prive ki finn hijack Lotel gouvernman. Deza su dikta High Power Committee GM-sekter Prive, Lalyans Lepep inn finn trayir so parol ek manifest elektoral lor introdiksyon saler minimal”, dénonce Ashok Subron, qui ajoute que l’annonce du National Wages Consultative Council ne se résume qu’à un attrape-nigaud.
Rezistans ek Alternativ fait le procès du gouvernement de Lalyans Lepep avec les volte-face de dernière heure, notamment en ce qui concerne les subventions des tarifs de la Central Water Authority (CWA). Il rappelle que dans le premier budget de ce gouvernement Jugnauth a promis que “every household in our country will be entitled to at least 6 cubic metres of water per month free of charge”. Or, la décision annoncée par le Conseil des ministres en cette fin d’année ne reflète pas cet engagement budgétaire. “En moins d’un an, Lalyans Lepep s’est rendu coupable de trahison de sa parole donnée. Le principe d’accès universel à 6 mètres cubes d’eau s’est envolé. C’est le principe de Means Testing, doctrine du FMI et de la Banque mondiale, qui fait la loi”, regrette Ashok Subron.
Rezistans ek Alternativ cite deux autres exemples au titre de la dérive du gouvernement de Lalyans Lepep, notamment la menace de privatisation des secteurs essentiels, notamment de l’eau et du port. “Lalyans Lepep pe rod fer enn pei etranze koloniz lepor pei ek re-introdwir kondisyon travay ki prevalwar lepok kolonyal”, dit-il. Il évoque également le retournement de veste au chapitre de la construction de nouveaux hôtels avec l’autorisation pour le projet de La-Cambuse et des Smart Cities.
Dans la conjoncture, Ashok Subron ne rate pas l’occasion de relever que “leta ek kapitalist pe servi  larzan CSR ek sey kre bann ‘ilizyon ilimine ek kolorye’ pu mye inpoz zot politik destrikter”.
Craintes et appréhensions
Au sein du secteur public, l’extension du paiement de la compensation salariale de Rs 150 aux 85 000 fonctionnaires et employés des corps para-publics n’a nullement atténué les craintes par rapport au rapport du Pay Research Bureau, dont la publication a été reportée d’octobre dernier à la fin du premier trimestre de 2016. “Pour ce huitième rapport salarial dans le service public, nous entretenons des craintes et des appréhensions. C’est l’une des rares fois où les fédérations syndicales n’ont pas été informées des changements envisagés dans les conditions de service des fonctionnaires. Nous entendons parler des modifications au niveau de la pension. Nous n’en savons pas plus. En plus, il y a des décisions par rapport au Flexi-Time”, s’insurge Rashid Imrith, président de la Fédération des Syndicats du Secteur Public, incluant la Government General Services Union.
“Dans ce même contexte, le ton arrogant adopté au ministère du Service civil est encore plus inquiétant. Quand nous sommes allés aux nouvelles au sujet des conditions de service, on nous a dit d’aller chercher du côté du PRB. Avec une telle attitude, nous craignons que le rapport de 2016 subisse le même sort que ceux que de 1982 et de 1987, soit jetés à la poubelle et brulés par des fonctionnaires déçus. Jusqu’ici, nous n’avons rien entendu au sujet de l’enveloppe financière accordée au PRB par le ministre des Finances. Ça c’est une autre paire de manches”, poursuit Rashid Imrith.
A ce stade, les syndicalistes de la fonction publique privilégient une attitude wait and see en attendant la publication des recommandations salariales vers mars de l’année prochaine. Des initiatives communes et coordonnées entre les principales fédérations syndicales ne sont pas à écarter pour faire entendre la voix de leurs membres. D’ailleurs, une première étape a déjà été entamée avec une correspondance commune adressée au PRB pour réclamer des précisions sur la teneur des submissions du management au chapitre des conditions de service.
En tout cas, après la trêve de fin d’année, le début de 2016 risque d’être mouvementé vu le mood au sein du mouvement syndical et dans la rue, car la compensation à Rs 150 mal inspirée risque de coûter très cher sur le plan social…

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