Enjeu — Government Business : Betamax la boîte de Pandore avec le DPP en point de mire

Avec le jugement du SPJ Caunhye, annulant l’award de Rs 4,5 milliards au groupe Bhunjun, la Central CID adresse une communication au DPP’s Office réclamant la réouverture du Case File 120/2015

- Publicité -

Pour rayer les charges contre Ramgoolam et consorts le 23 novembre 2016, le DPP avait soutenu que “the constitutive element of unlawful act (breach of section 14 of the PPA) is absent inasmuch as at the time of the signature of the contract, the STC was exempt from the procedures prescribed by the PPA”

Contre-offensive de Lakwizinn du PMO déclarant que “la balle de Betamax est dans le camp du DPP”

Vikram Bhunjun en consultation avec ses conseils légaux, en vue de saisir le Privy Council en appel dans ce contrat-jackpot de Rs 10 milliards ayant bénéficié de la Sovereign Guarantee

Depuis dix ans déjà que le contrat-jackpot de Rs 10 milliards alloué par le gouvernement travailliste au groupe Bhunjun pour le fret pétrolier de la State Trading Corporation empeste l’atmosphère politique. Toutefois, le double développement intervenu au cours de la semaine dernière, soit la décision de la High Court de l’Inde imposant à la State Trading Corporation une garantie de Rs 4,5 milliards à la demande du groupe Bhunjun et le jugement du full bench de la Cour suprême, présidée par le Senior Puisne Judge Asraf Caunhye, renversant l’award du Tribunal arbitral de Singapour sur ces Rs 4,5 milliards, n’a pas eu pour effet d’atténuer les ardeurs. Au contraire. Une troisième institution constitutionnelle, l’Office of the Director of Public Prosecutions, se retrouve entraîné au coeur de la controverse. La déclaration initiale du Premier ministre par intérim, Ivan Collendavelloo, réclamant au DPP de rouvrir le dossier et de réviser la décision par rapport aux charges criminelles contre l’ancien Premier ministre, Navin Ramgoolam, et cinq autres suspects dans le cadre du Police Case File OB 120/2015 en fait foi. Après le retour au pays du Premier ministre, Pravind Jugnauth, Lakwizinn du Prime Minister’s Office se prépare à monter en première ligne sur le front politique. De son côté, dès vendredi après-midi, la Central CID entérinait la décision d’acculer et de réclamer des comptes au DPP’s Office à ce même sujet en se basant sur le raisonnement du full bench de la Cour suprême, comprenant le Senior Puisne Judge Asraf Caunhye, et les juges Nirmala Devat et David Chan réaffirmant que “the failure to comply with the provisions of both sections 14(4) and 14(5) of the Public Procurement Act”. Vikram Bhunjun, patron du groupe, qui avait remporté une première manche à l’arbitrage de Singapour, prépare une riposte devant le Privy Council, l’ultime recours en matière judiciaire.
Dans les attendus de 49 pages du Supreme Court Judgment 154, lus en open court pendant plus d’une heure par le Senior Puisne Judge, une conclusion retient l’attention : “The failure to comply with the provisions of both sections 14(4) and 14(5) of the Public Procurement Act.” A la page 31 du jugement, après une analyse détaillée des dispositions de la Public Procurement Act, les juges soutiennent que “the Contrat of Affreightment (alloué par la State Trading Corporation au groupe Bhunjun en novembre 2009) was to all intents and purposes a contract which had been illegally awarded in breach of the Public Procurement Act”, en ajoutant également que “it is in fact not in dispute that there had been no compliance with section 14 (3) of the Public Procurement Act which required that the Central Procurement Board shall approve the award of every major contract”.
Ayant établi le caractère illégal de l’octroi du contrat d’affrètement (CoA) au groupe Bhunjun ayant bénéficié de 17,6 millions de dollars américains pour la première année contractuelle, ou encore un montant de 121 millions de dollars, soit plus de Rs 3 milliards jusqu’à la résiliation de l’accord au début de 2015, la Cour suprême s’est attaquée à la validité de l’award arbitral de Rs 4,5 milliards en faveur du groupe Bhunjun. Avant de se prononcer, la Cour suprême relève, par rapport au contrat-jackpot de Rs 10 milliards, que “the CoA was a contract in respect of the transportation of petroleum products, which is a vital commodity for Mauritius which has to rely for the whole of its supply by way of an importation from abroad. The CoA involves the obligation to pay a huge amount of money emanating from public funds with a commitment with regard to the whole of the freight spanning over a period of 15 years”.
Dans cette perspective, la Cour suprême affirme que “the enforcement of an illegal contract of such magnitude, in flagrant and concrete breach of public procurement legislation enacted to secure the protection of good governance of public funds, would violate the fundamental legal order of Mauritius. Such a violation breaks through the ceiling of the high threshold which may be imposed by any restrictive notion of public policy”.
S’appuyant sur le fait que “an arbitral award may be set aside if the national court finds that the award is in conflict with the public policy of that State” et sur la section 39 (2) (b)(ii) de l’International Arbitration Act, stipulant que “the arbitral award may be set aside where the Court finds that the award is in conflict with the public policy of Mauritius”, la Cour suprême a débouté le groupe Bhunjun. “We have absolutely no difficulty in holding that the public policy of Mauritius prohibits the recognition or enforcement of an award-giving effect to such an illegal contract which shakes the very foundations of the public financial structure and administration of Mauritius in a manner which unquestionably violates the fundamental legal order of Mauritius”, conclut le jugement en annulant dans le même souffle “the provisional order for the recognition and enforcement of the Award which was granted on 7 September 2017” au sujet de la compensation de Rs 4,5 milliards et des intérêts accumulés.
Le signal du Conseil des ministres
Pourtant quarante-huit heures auparavant, à la lumière d’un ordre émis par le chef juge de la Haute Cour de l’Inde, pour faire suite à une demande logée par le groupe Bhunjun, la State Tradig Corporation était placée dans l’obligation de fournir formellement une garantie pour ce même montant. Vikram Bhunjun, qui se trouvait vendredi, au moment du prononcé du jugement, à Singapour, a déjà signifié son intention de saisir le Judicial Committee of the Privy Council en appel contre ce jugement. Ses conseils légaux, dont le Lead Counsel, Me Rishi Pursem, Senior Counsel, procèdent actuellement à une analyse du jugement en vue de dégager les points d’appel.
Un des points qui pourraient être retenus porte sur la Sovereign Guarantee accordée par le gouvernement au groupe Bhunjun lors de l’octroi de ce contrat-jackpot. Comme pour justifier la légalité du contrat. D’ailleurs, les juges de la Cour suprême ne manquent de relever que “the whole of the secured obligations under the CoA was irrevocably and mandatorily guaranteed in favour of Betamax by the State of Mauritius. According to the terms of the guarantee, the State irrevocably and unconditionally guarantees to jointly and severally with STC, as coprincipal debtor, the due and punctual performance of the secured obligations and undertakes that it shall promptly pay any sum of money which STC has failed to pay to [Betamax] pursuant to the relevant provisions of the Contract of Affreightment”.
Néanmoins, dans l’immédiat et avant que les Law Lords britanniques ne soient appelés à considérer ces points en appel, le nouvel épisode de la Betamax Saga prend une autre tournure avec le DPP projeté en première ligne. Un premier signal est venu d’Ivan Collendavelloo, alors qu’il assumait la suppléance au poste de Premier ministre après les délibérations du Conseil des ministres de vendredi. En un gentleman language, il a demandé au DPP de revoir sa démarche du 23 novembre 2016 quand l’Office of the Director of Public Prosecutions avait pris la décision de rayer les charges provisoires dans l’affaire Betamax contre Navin Ramgoolam, Anil Bachoo en tant qu’ancien ministre travailliste, de Vikram Bhunjun, Chief Executive Officer de Batamax, l’ancien Permanent Secretary, Reshad Hosseny, Ranjit Soomarooah, ancien General Manager de la State Trading Corporation, et Kalindi Bhanjee, ex-PS du Private Office de Navin Ramgoolam.
La raison principale est que le DPP se trouve donc en porte à faux avec le jugement de la Cour suprême au sujet de l’interprétation et la mise en application de la Public Procurement Act par rapport aux procédures adoptées pour l’octroi du contrat-jackpot de Betamax en novembre 2009. Mais les choses ne devaient pas en rester là. Car, dès vendredi, branle-bas de combat aux Casernes centrales : le dossier Betamax, portant la référence 120/2015, a été dépoussiérée et surtout les remarques des juges Hamuth et Feckna en date du 25 avril 2018 dans le cadre d’une Judicial Review réclamée par la police dans cette même affaire.
“We are of the view that the course of action adopted by the respondent (DPP) in this case was certainly uncommon. But we are not prepared to say that it amounted to an irregularity, let alone a serious irregularity warranting a judicial review of the decision-making process and of the decision of the respondent”, notent ces deux juges de la Cour suprême par rapport au fait que le DPP n’avait remis le dossier à la police qu’à la toute dernière minute pour engager des procédures de Judicial Review contre les accusations provisoires rayées.
Une séquence chronologique vient se greffer de manière accablante sur ce dossier. La décision du DPP rayant les charges contre Navin Ramgoolam et les autres est annoncée en Cour le 23 novembre 2016. “It was only on 21 February 2017 that the case file was returned to the applicant (police) with an official minute in it to the effect that no further action had been advised for the reasons set out in the communiqué dated 23 November 2016”, confirment les deux juges de la Cour suprême lors de la Judicial Review.
La Central CID revient à la charge
Par contre, dès le 24 novembre 2016, soit au lendemain, les conseils légaux de Betamax avaient soumis une demande formelle à l’arbitre international, siégeant à Singapour, pour rouvrir les Hearings. A cette date, les auditions en arbitrage étaient déjà bouclées. La raison évoquée est qu’ils allaient verser dans le dossier “a last-minute document”, qui n’était autre que le communiqué du DPP du 23 novembre 2016 en faveur de Ramgoolam, Bachoo, Bhunjun et autres. L’argument décisif retenu par le DPP était que “the constitutive element of unlawful acts (breach of section 14 of the PPA) is absent inasmuch as at the time of the signature of the contract, the STC was exempt from the procedures prescribed by the PPA”.
Mais dans le sillage du jugement de la Cour suprême de vendredi, la Central CID revient à la charge avec une communication officielle au DPP en fin de semaine pour rappeler que le full bench des trois juges est arrivé à la conclusion qu’il y a bel et bien “failure to comply with the provisions of both section 14(4) and 14(5) of the PPA…” et que, de ce fait, les accusations abandonnées contre Navin Ramgoolam, Anil Kumar Bachoo et Vikram Bhujun, entre autres, sur la base de l’interprétation du DPP, devront être impérativement revues.
Affaire à suivre dans la mesure où l’on prête l’intention au Premier ministre et leader du MSM, Pravind Jugnauth, de revenir sur jugement de la Cour suprême et ses conséquences lors d’une de ses sorties politiques en début de semaine, si ce n’est avant et Lakwizinn du PMO soutenant avec force que “la balle est dans le camp du DPP” en guise de substitut à “la bombe est dans les pieds du DPP”…

—————————————

Betamax, l’une des premières décisions de Lalyans Lepep

Depuis la signature de l’accord sur le fret pétrolier de la State Trading Corporation au groupe Bhunjun le 27 novembre 2009, les questions et les controverses se sont succédé avec l’opposition, notamment le MMM, tentant d’éclaircir les zones d’ombre sur ce qui est présenté comme le contrat-jackpot de Rs 10 milliards. A peine installée au pouvoir après les élections générales du 10 décembre 2014, Lalyans Lepep a été confrontée au problème de la hausse des prix pétroliers à la pompe. Dans un contexte où le cours mondial du baril du pétrole évoluait à la baisse, le coût du fret, au terme de l’accord passé avec Betamax, dont l’Escalation Clause d’un pour cent par an sur un prix de base de $ 17.90 la tonne, prenait l’ascenseur.
La State Trading Corporation, alors sous le management de Megh Pillay, avait alerté l’Hôtel du gouvernement de ce casse-tête, d’autant plus que des consultants étrangers, approchés pour se prononcer sur le contrat en béton accordé à Betamax, affirmaient que c’était du jamais-vu sur le plan international. Un détail qui n’est nullement superflu. Un simple calcul sur la base de l’accord Betamax indiquait qu’en 2015, la STC faisait face à des dépenses supplémentaires de Rs 355 millions par an contrairement au coût avec un fret normal.
Le nouveau gouvernement, écartant toute possibilité de négociations avec le groupe Bhunjun pour mettre un terme à ce contrat contre une compensation de l’ordre de Rs 2 milliards, avait annoncé la résiliation de l’accord après le Conseil des ministres du 30 janvier 2015, soit l’une des décisions les plus conséquentes, hormis les opérations Lev Pake! Alle ! jusque-là. Le litige devait faire l’objet d’un arbitrage à Singapour où Betamax aurait obtenu gain de cause pour un montant de Rs 4,5 milliards dans un award émis le 7 septembre 2017, puis annulé par la Cour suprême vendredi dernier.
En parallèle, le 21 février 2015, la Central CID ouvrait un OB 120/2015 avec une déposition à charge du secrétaire permanent au Commerce, dénonçant le fait que l’octroi du fret pétrolier pour une période de quinze ans n’étaient pas en règle avec les procédures établies sous la Public Procurement Act. Dans le cadre de cette enquête, des accusations provisoires ont été retenues contre six suspects : Navin Ramgoolam, Anil Bachoo, Veekram Bhunjun, Reshad Hosany, Ranjit Soomarooah et Kalindfee Bhanji.
Le 17 décembre 2015, le Police Case File a été transmis à l’Office of the Director of Public Proscecutions avec des recommandations pour des poursuites au criminel. Le DPP a sollicité des compléments d’informations auprès de la police le 3 mars 2016. Le communiqué du DPP du 23 novembre 2016 prend le soin de souligner d’emblée que “the case file consisting of statements and documents were duly considered by three senior law officers whose findings were submitted to the DPP”.
L’un des points fondamentaux pour rejeter les accusations de conspiracy dans le Betamax Saga, le communiqué du DPP au paragraphe 47 sur les 49 au total, soutient que “it si also noted that the constitutive element of unlawful acts (breach of section 14 of the Public Procurement Act) is absent inasmuch as at the time of the signature of the contract the STC was exempt from the procedures prescribed in the Public Procurement”, postulat adopté par le DPP mais remis en cause de fond en comble dans le jugement de la Cour suprême de vendredi.

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -