ENTREPRISE – ANANAS VICTORIA LTD : De la canne à sucre à la culture d’ananas

Il y a 15 ans, les frères Proag – Subodh, Sudesh et Sanjay — décidèrent d’abandonner la culture de la canne à sucre qu’avait lancée leur père, deux à trois décennies auparavant, pour se lancer dans la culture d’ananas. Ils avaient raison : alors que la canne à sucre ne rapporte plus, leur entreprise, Ananas Victoria Ltd, sise à Camp de Masque Pavé, créée en 2005, est la première cultivatrice et exportatrice d’ananas à Maurice, occupant une superficie d’environ 200 arpents de terre et exportant dans les 250 tonnes de ce fruit annuellement. « L’avenir est là, mais encore faut-il innover vers la culture protégée et autres nouvelles technologies et surtout professionnaliser tout le secteur agricole, pas seulement la culture d’ananas », déclare Sudesh Proag.
Traditionnellement, la famille Proag a une longue association avec la canne à sucre, grâce au père de Sudesh, Seetaram Proag, depuis les années 50/60. Ce dernier était aussi parmi les premiers producteurs d’ananas à Maurice qu’il cultivait sur des terres marginales situées sur les flancs des montagnes. « Mes frères et moi, nous avons voulu changer et améliorer la culture des ananas mais notre père ne voulait pas. Après beaucoup de discussions, nous avons commencé à cultiver l’ananas sur des terres de canne à sucre. Nous avons agrandi la superficie en ananas au détriment de la canne à sucre. Mon père n’a pas aimé mais il a admis, par la suite, que l’ananas était plus rentable que la canne à sucre et que le travail n’était pas fatigant. On obtenait plus de main-d’oeuvre pour travailler sur des terrains plats que sur les flancs des montagnes », raconte Sudesh Proag.
Création d’une compagnie privée
Ainsi, petit à petit, les frères Proag ont, en l’espace de quelques années, transformé toutes les terres où ils cultivaient la canne à sucre en celles d’ananas. C’était au milieu des années 1980. Puis, dans les années 95 à 2000, les trois frères se sont séparés, chacun travaillant à son propre compte, soit à la retraite du père. Mais, ils se sont vite rendu compte que le business n’était plus rentable et qu’il fallait unir leurs forces pour prospérer. Ils ont alors créé une compagnie privée, Ananas Victoria Ltd, où les trois frères sont actionnaires pour uniquement cultiver l’ananas sur une superficie d’une quarantaine d’arpents dans la région qu’elle livrait aux exportateurs. « Par la suite, nous avons commencé à en exporter nous-mêmes en petites quantités. Aujourd’hui, nous cultivons et nous exportons en grande quantité et nous livrons aussi à une quinzaine d’hôtels. Nous exportons ce que nous cultivons seulement, nous n’achetons pas des autres producteurs pour exporter », indique Sudesh Proag. Cette entreprise est certifiée Global G. A. P sur le plan de la traçabilité.
De la plantation à la floraison, l’ananas prend plus ou moins sept à dix mois, « mais tout dépend du climat, on récolte les fruits sur 12 à 14 mois ». Ainsi, on récolte l’ananas tout le long de l’année comparé à une dizaine d’années auparavant où on ne le récoltait qu’en novembre et décembre. Maintenant, la culture est planifiée de sorte à ce que ce fruit soit disponible tout le long de l’année.
L’entreprise travaille en partenariat avec un établissement sucrier qui met des terres à sa disposition. Sudesh Proag pense couvrir une superficie de 250 arpents cette année mais la main-d’oeuvre lui fait défaut. « Nous employons une cinquantaine de personnes, dont une trentaine d’expatriés mais le nombre diminue de jour en jour. Trouver de la main-d’oeuvre devient de plus en plus difficile, même les expatriés ne suffisent pas. En décembre, nous employons des femmes au foyer et des étudiants, au moins une centaine, qui viennent pour un peu d’argent de poche », indique notre interlocuteur.
Concurrence à l’export
Après la récolte, les ananas sont acheminés à la fabrique où ils sont nettoyés et lavés avant d’être empaquetés pour l’export en boîtes de 5 kg. « Nous exportons beaucoup sur la France, un peu sur la Hollande, l’Allemagne et Italie. Je dois dire qu’Entreprise Mauritius aide beaucoup à trouver des clients étrangers mais encore faut-il pouvoir les garder tout le long de l’année. Les clients aussi reçoivent d’autres offres, il y a la concurrence, surtout de la part de La Réunion qui elle aussi produit et exporte des ananas vers la France », dit Sudesh Proag, avant d’ajouter : « Nous sommes capables de maintenir nos clients parce que nous sommes des producteurs. Quelqu’un qui achète pour en exporter ne peut vendre meilleur marché que nous. Nous avons aussi des clients qui nous sont fidèles ; ils apprécient notre travail, ils viennent nous visiter de temps à autre. Je peux dire que les prix à l’export des ananas sont restés les mêmes ces dix dernières années malgré la hausse des coûts de production ».
Ananas Victoria Ltd est aussi affectée par le manque de terres à cultiver. Sudesh Proag dit cultiver, depuis des années, les mêmes terres. Ce qui affecte le rendement, alors que pour rendre les terres plus fertiles, il faut mettre plus d’intrants et de fertilisants. « Si les terres étaient disponibles, nous pouvions alors faire de la rotation, économiser sur les coûts des fertilisants et autres intrants », souligne cet entrepreneur agricole. Il y a aussi le changement climatique qui affecte cette culture et « c’est bien à cause de ce phénomène que nous bougeons d’un endroit à un autre ». « Nous cultivons à fonds dans l’Est, nous sommes aussi dans le Sud et dans le Nord », indique-t-il.
Comment améliorer la filière ananas à Maurice ? Il faut, selon Sudesh Proag, professionnaliser le secteur et ne pas permettre aux gens de le faire à mi-temps « où ils cultivent, récoltent et vendent à l’encan sans aucune traçabilité ». « Il faut créer une école d’agriculture à Maurice. En tant que professionnels, ils doivent alors respecter les procédures et les règlements. Il nous faut aussi des données sur la filière. Actuellement, c’est comme la pomme d’amour, beaucoup de planteurs y cultivent en même temps, et ils utilisent des pesticides à gogo. Même dans la culture d’ananas, on voit cela. C’est choquant », déplore-t-il. Il avoue, cependant, que ça ne fait aucune différence sur le marché. C’est la raison pour laquelle, il insiste pour la création d’une école de formation agricole à Maurice où tous ceux qui veulent pratiquer l’agriculture doivent passer par une formation.
Sudesh Proag parle aussi de la création d’une filière à part entière pour l’ananas à Maurice car il rapporte le plus de devises après la canne à sucre dans le secteur agricole. Notre pays exporte 200 à 300 tonnes de letchis annuellement mais dix fois plus d’ananas. C’est assez conséquent mais, comme le souhaite notre interlocuteur, il faut professionnaliser le secteur « car l’Europe ne vous pardonnera pas si vous fautez. Il faut toujours rester vigilants ».

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