Et pourtant, il passe…

Gillian Geneviève                                                          Ruben Sandapen

Le temps, c’est à la fois le tout et le rien. Il existe et il n’existe pas. C’est un fabuleux peintre, c’est un créateur fantastique mais il est aussi un massacreur allègre, une catastrophe qui ne cesse de transformer de l’avenir en passé. Et il ne fait pas bon de l’aimer. Il s’est entiché de la mort. Avec lui, on ne retourne pas en arrière : on retourne avec allégresse ou désespoir dans l’éternité ou le néant.

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Entre ce passé qui n’est plus mais qui est frappé d’éternité, ce futur qui n’existe pas encore, qui est nulle part – sauf peut-être dans les espérances – et ce présent qui ne dure pas, qui est évanescent, qui s’enfuit, qui est toujours sur le mode de l’absence mais qui est aussi permanence, continuité et renouvellement, le temps insaisissable nous effraie, nous fascine, nous donne le tournis, nous séduit.

Alors, pourquoi parler d’autres choses, comment parler d’autres choses? Il est même urgent d’en parler car, comme le disait Balzac, il nous en manque aujourd’hui, toujours, pour tout.

Oui, ce temps nous emporte vers notre mort à tous et il s’emporte lui-même vers sa fin nécessaire. Alors, peut-être qu’il est nécessaire d’essayer de le saisir pour le comprendre et nous comprendre.

Dire que le temps s’écoule, qu’il « passe » plus ou moins vite, qu’on ne le rattrape pas, …etc. est empreint d’ambiguïté en physique. Car ces phrases sous-entendent toutes qu’il existe une vitesse du temps, vitesse à laquelle il s’écoule. Or une vitesse nous renseigne sur la façon qu’une grandeur quelconque évolue dans le temps. Par exemple, si la position d’une voiture évolue dans le temps et on peut, sans ambiguïté, parler de la vitesse d’une voiture.  Or parler de la vitesse d’écoulement du temps revient à dire que le temps évoluerait dans le temps, ce qui probablement n’a aucun sens.

Mais que nous dit la physique sur le temps? Elle part d’une définition opérationnelle: le temps est « cette chose » qu’on mesure avec une horloge. Une horloge permet d’établir une chronologie des évènements et ainsi de mesurer les durées entre les évènements. Des horloges sont dites synchronisées lorsqu’elles indiquent la même heure au même instant. Avant Einstein, on pensait que deux horloges synchronisées le demeurent toujours, même si elles sont en mouvement relatif. On suffisait alors de s’imaginer une horloge universelle qui donne la même heure pour tous les observateurs. Il s’agit du temps absolu, bien conforme à notre intuition et tel que formalisé par Newton.  La relativité d’Einstein nous dit qu’il n’existe pas de temps absolu. Deux horloges synchronisées ne le demeurent jamais si l’une est en mouvement par rapport à l’autre. Celle qui bouge retarde toujours comparée à celle au repos. Et le mouvement étant relatif, pour n’importe laquelle des horloges, c’est toujours l’autre qui bouge et qui retarde. Mais il y a plus. Si votre montre et la mienne indiquent la même heure au même instant, disons midi, lorsque nous déjeunons ensemble à Rose-Hill et que vous faites un aller-retour à Port-Louis, la relativité nous affirme que lorsque nous nous rencontrons à nouveau à Rose-Hill, c’est votre montre qui retarde par rapport à la mienne. Et ceci parce que vous avez fait l’aller-retour et moi pas, brisant ainsi la réciprocité du retardement.

Il ne s’agit pas d’un dysfonctionnement de votre montre: n’importe quelle autre horloge accuserait le même retard, identique à celle de votre montre. De même, vous aurez vieilli moins que moi. Cet effet relativiste dépend uniquement de votre vitesse. Plus celle-ci est grande, plus l’effet devient spectaculaire. En effet, si vous pouviez voyager à 99.9% de la vitesse de la lumière et que votre voyage dure 1 an (il vous faudra aller bien plus loin que Port-Louis), alors à votre retour à Rose-Hill, vous aurez vieilli de 1 an alors que moi de 22 ans ! Vous aurez ainsi voyagé dans le futur, pas le vôtre, mais le mien. Les voyages dans le futur sont donc possibles. Mais la structure mathématique de la relativité garde précieusement les portes du passé sous clé, en imposant une vitesse universelle infranchissable: celle de la lumière.

Ce n’est pas seulement une horloge en mouvement qui retarde. La gravite influence aussi son comportement.  Une horloge au pied de la montagne Corps de Garde retarde par rapport à une horloge à son sommet.  Bien sûr, cela n’a rien à voir avec une étrange propriété de la majestueuse montagne de Camp-Levieux. Il s’agit d’un effet qui dépend seulement de l’intensité du champ gravitationnel dans lequel l’horloge se situe. Plus on s’éloigne du sol, moins intense est le champ gravitationnel terrestre et la relativité d’Einstein nous dit que plus le champ gravitationnel est intense, plus l’horloge retarde.

Le ralentissement d’une horloge selon son mouvement ou le champ gravitationnel dans lequel il se trouve sont des effets qui doivent être impérativement pris en compte pour assurer la précision d’un GPS. En effet, les horloges dans le réseau de satellites en mouvement autour de la terre retardent par rapport aux horloges terrestres. Ce retard est partiellement compensé par le fait qu’elles se trouvent dans un champ gravitationnel terrestre moins intense. Il demeure néanmoins une désynchronisation entre les horloges des satellites et celles sur terre qui doit être prise en compte afin de maintenir la précision du GPS. Sans Einstein, pas de GPS.

Il est important de préciser que le mouvement et la gravité n’affectent pas le mécanisme de fonctionnement des horloges mais uniquement leurs comportements, c’est-à-dire leur façon de nous dire le temps. Une horloge en mouvement ne dit pas le temps de la même façon qu’une horloge au repos. Une horloge au sommet de la montagne ne dit pas le temps de la même façon qu’une horloge à son pied. Et cette différence de dire le temps ne dépend pas du type d’horloge mais uniquement de sa vitesse ou de l’intensité du champ gravitationnel dans lequel elle se trouve. On aurait alors tendance à dire que le mouvement et la gravité influencent le temps lui-même. On croit alors toucher à la nature même du temps. Et c’est là qu’on se laisse aller, qu’on dérape, pour sortir des phrases ambiguës comme « le temps s’écoule plus lentement ». Les horloges disent le temps et les équations nous disent comment se comportent les horloges. Pas plus. Le temps existe-t-il sans horloges? Les équations gardent le silence.

Les équations sont des êtres mathématiques qui offrent une symphonie à ceux et celles qui apprennent à les écouter. En vivant trop en intimité avec elles, nous avons des fois tendance à parler à leur place, à leur faire dire des choses. Il faut aussi savoir écouter leur silence. Car une belle symphonie, c’est aussi des temps de silence.

Du silence, je suis né à la lumière et à l’effroi. La paix se confond désormais avec l’oubli, et ma mémoire est chargée d’amour et de cris. Le temps s’évertue à me raturer l’âme pour faire de moi un homme, un passeur de vie et de mort.

Et, ce matin encore, je m’acharne à lire et à aimer pour me cautériser un cœur mis à vif par l’étreinte incestueuse de la nécessité et du hasard ; j’écris aussi, et je parle du temps. C’est le commun de l’humain. L’homme est l’interprète du tout. Il écrit le sens du monde. Chaque mot et chaque cri disent le visible et l’invisible, et le brouhaha ambiant est la vérité ultime des peuples d’hier, d’aujourd’hui et de demain en attendant le grand silence quand l’homme et le tout s’éclipseront du temps par le trou noir de l’éternel.

Oui, notre temps, comme le temps de toute chose, est compté : nous sommes juste une brève histoire du temps.

Mais puisqu’il est à perdre ce temps, perdons-le avec philosophie, art et intelligence. C’est pourquoi, ce matin, inlassablement, encore et encore, j’écoute le sens des vents, la musique du ciel et…la folie du temps qui passe. 

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