EXPOSITION: Didier Wong, créolité picturale et “street art”

La galerie Imaaya présente pour la première fois à Maurice une exposition solo de notre compatriote Didier Wong. Docteur en Arts plastiques et professeur d’Arts appliqués, l’artiste n’en est pas moins un créateur visuel qui sait associer ses propres travaux et sa réflexion sur la peinture. La cohérence entre son discours et ses tableaux en témoigne, montrant que nous n’avons pas là une posture apte à mimer et épouser des courants porteurs, mais bien une exploration plastique qui tente honnêtement d’inscrire sa peinture dans le monde d’aujourd’hui.
Deux visages étrangement ressemblants et portant tous deux des lunettes rectangulaires s’affichent graves et intrigants aux côtés d’un slogan à méditer : « CULTURE IN PROCE$$ ÎLE MAURICE ». Ces portraits référents à l’auteur Didier Wong et au peintre contemporain qui l’a le plus inspiré, Jean-Michel Basquiat, ne viennent-ils pas opposer la notion de création en tant qu’expérience humaine à celle d’une culture « monétarisée » ?
La référence à Maurice pourrait laisser planer l’idée que les acteurs culturels et décideurs du pays sont confrontés à ces choix politiques qui risquent de ne justifier l’art qu’à travers ses parts de marché, quand ils ne voient pas qu’il est ici question de connaissance, de vécu et du récit plastique de l’histoire d’un peuple. Mais ceci est une interprétation dont le peintre ne peut être tenu pour responsable, le propre du street art ou de l’underground étant justement de juxtaposer des éléments qui n’ont pas obligatoirement de lien, comme le font naturellement les paysages urbains en perpétuelle transformation.
Kaya, Buckland, MC ou Malcolm de Chazal, Chikungunya, de nombreuses expressions écrites en kreol… font partie des écritures « graffitées » par Didier Wong dans ses tableaux, tandis que certaines formes récurrentes reviennent de multiples manières : des poissons (et même un poisson marcheur !), des silhouettes de voiture, des vélos, une croix rouge, des flèches, le jeu de morpion, une multitude de signes, etc. S’il est installé depuis 16 ans en France, Didier Wong n’en oublie pas pour autant ses origines mauriciennes, bien au contraire ! Il garde au coeur de son oeuvre des éléments qui réfèrent directement au pays natal, mais reflètent aussi le caractère multiculturel de ses origines et de sa vie d’expatrié. La créolité inspire certains aspects de ses réflexions plastiques, non seulement en tant que telle parce qu’il la vit en artiste né d’un pays créole parlant aussi sa langue, mais aussi pour, en transcendant sa fonction identitaire, en l’érigeant en concept au sens où l’entend le grand penseur Edouard Glissant.
Imprévisibilité
Les notions de « relation » et d’« imprévisibilité » qu’ Edouard Glissant met en avant dans sa définition des phénomènes de créolisation ont été un des fils conducteurs dans la réflexion sur ce que la peinture pourrait devenir, à un moment où en France, on craignait sa disparition… Pour l’anecdote, Didier Wong nous confie qu’à la fin des années 90, il était quasiment le seul étudiant à peindre en faculté d’arts plastiques à Toulouse, ses collègues préférant la vidéo, les installations, la sculpture, etc. Ensuite à Paris, ils n’étaient qu’une poignée de jeunes, pour la plupart asiatiques, à avoir choisi la peinture comme médium. Son doctorat le conduira à porter sa réflexion sur la part possible de l’Autre dans la peinture, voire sa faculté de régénération…
Sa réflexion s’est notamment expérimentée à travers des oeuvres collectives, mais aussi de manière plus symbolique par la présence de collages prélevés dans la société, au sens où Warhol l’entendait par exemple. Quelques travaux présentés à Maurice peuvent être des lettres, courriers et missives, symbolisant ici davantage la relation entre humains que l’élément prélevé dans la société de consommation. À ce titre aussi, Jean-Michel Basquiat est entré dans sa réflexion puisqu’il avait lui-même à un moment initié des oeuvres auxquelles d’autres artistes tels que Schnabel ou Warhol avaient contribué.
À Paris, Didier Wong s’est prêté à des expériences de street art, au Frigo par exemple, ces anciens entrepôts de Bercy convertis en ateliers d’art par les artistes, où il a peint un mur qui sera recouvert ensuite par d’autres travaux, tout comme il lui est arrivé d’afficher des reproductions de tableaux dans les rues curieux de voir comme ils seraient recouverts, modifiés ou appropriés par des tagueurs ou passants plus ou moins anonymes. La toile où figure le mot « interculturalité » a été réalisée à la Cité internationale à Paris, plus précisément à la Maison de Tunisie où l’artiste a proposé une exposition interactive, qui était au coeur de ses recherches pour les besoins de son doctorat sur l’altérité en peinture.
Épaisseur et perspectives
Ses tableaux n’ont pas de titre, laissant cette part de l’interprétation au visiteur, mais les inscriptions qu’on y trouve et cette manie à mémoriser les mots plutôt que les images font que des idées de titres sont souvent suggérées par l’oeuvre elle-même, comme repères facilitant d’identification du tableau. Dans ce qui est exposé chez Imaaya jusqu’au 28 juillet, seules trois pièces ne portent pas d’écritures, l’une montrant des masques tournoyant avec une Tour Eiffel vertigineuse, l’autre montrant des poissons sur un fond de ciel et mer et le dernier étonnamment figuratif montrant des baigneuses face au Coin de Mire. Les références paysagères placent ces deux derniers tableaux comme des intrus dans l’ensemble de l’exposition.
Un autre maître à penser a été invité à cette exposition sous les initiales de MC à côté par exemple de l’aphorisme « La mer avait ouvert ses cuisses et on sentait l’odeur des algues » assortie d’un personnage au visage caché, vêtu de rouge et relativement énigmatique. Plusieurs tableaux reprennent ainsi des pensées de Malcolm de Chazal, tandis que d’autres vont par exemple opposer l’artiste américain louangé dont le nom s’inscrit dans un soleil, et quelques réflexions politiques telles que : « Sarko le monde se créolise sans toi (t) » !
Ces tableaux intriguent par leur épaisseur et richesse tant en termes de matière que de motifs. Différentes couches de peinture se juxtaposent, la pâte elle-même devenant une matière suggestive qui recouvre, enveloppe, cache ou révèle. Les couches successives et aléatoires ouvrent des fenêtres sur des motifs ou des couleurs posés précédemment sur la toile. Une sorte d’échafaudage pictural se construit à la fois dans la profondeur et le plan, dressant une représentation métissée de la vie moderne où les idées s’entrechoquent ou se côtoient tout simplement sans véritable lien, mais le tout fait sens grâce à la plasticité de l’oeuvre finale et au regard du visiteur…

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