Fazila Jeewa-Daureeawoo: faire de la politique en respectant les valeurs et les principes

Notre invité de cette semaine est Fazila Jeewa-Daureeawoo, le nouveau No4 du gouvernement, qui remplace Showkutally Soodhun. Dans l’interview réalisée jeudi après-midi, elle fait le bilan de son travail aux deux ministères qu’elle a occupés et établit la liste des dossiers dont elle doit s’occuper aux Administrations régionales, en affirmant qu’on peut faire de la politique en respectant des valeurs et des principes.

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Dans le portrait que Week-End vous a consacré lors de votre nomination au N°4 de la hiérarchie gouvernementale, vous êtes ainsi présentée : quelqu’un qui n’aime pas la polémique, qui préfère la discussion à l’invective et l’argumentation à l’insulte. Peut-on faire de la politique à Maurice en 2017 en respectant ces valeurs ?
Oui. Ce sont des valeurs, avec l’intégrité, l’honnêteté, la discipline, le respect de l’autre et la transparence, qui m’ont été inculqués par mon père, que je pratique dans ma vie et dans mon travail, quel qu’il soit, et que j’essaye de transmettre à mes enfants. Même en politique je pratique ces valeurs essentielles et ceux qui me côtoient le savent. C’est sans doute ce qui m’a valu d’être nommée numéro quatre du gouvernement. Le poste était vacant et le Premier ministre a pensé que je pouvais l’occuper

Le poste de N°4 du gouvernement est devenu vacant dans des circonstances précises. Sans vouloir diminuer vos mérites personnels, vous ne pouvez pas ne pas savoir que votre nomination a une dimension politique. Il fallait nommer un député appartenant à la communauté musulmane pour respecter l’équilibre communal, que nous pratiquons depuis des années, pour constituer le frontbench du gouvernement !
Je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous. Je pense que c’était surtout une occasion pour le gouvernement de promouvoir une femme et de poursuivre sa politique. Comme vous le savez, le gouvernement croit dans la cause des femmes et l’a d’ailleurs démontré en nommant des femmes à la tête de l’État et du Parlement. C’est un signal fort qui est envoyé au pays.

Cette nomination est-elle l’achievement de votre carrière auquel vous rêviez ?
C’est un honneur d’avoir été nommée à ce poste, mais je ne m’y attendais pas du tout. C’est un nouveau défi que je suis heureuse de relever avec mes capacités et, je tiens à le répéter, en respectant les principes que je pratique et sur lesquels je ne transigerai pas.

Ce qui pourrait laisser croire que votre prédécesseur, lui…
Ce n’est pas ce que je viens de vous dire. Chaque personne a sa façon de fonctionner, d’opérer. J’ai des principes que j’ai pratiqués pendant 27 ans en tant qu’avouée et je vais continuer mon travail de ministre de la même manière.

Mais il semblerait que, déjà, votre nouveau poste vous a un peu changée. Au Parlement vous répondez du tac au tac et vous vous permettez même d’égratigner le leader de l’opposition. Est-ce que, comme dit le proverbe, l’habit fait le moine et que vous êtes en train de devenir plus politique qu’avant ?
C’est peut-être l’occasion et la situation qui vous poussent à adopter un nouveau comportement. Il fallait que je réponde aux questions du leader de l’opposition, surtout quand il affirmait des choses non correctes en rétablissant les faits. M. Duval dit que les pompiers n’ont pas suffisamment de moyens pour faire leur travail. Je lui ai simplement rappelé que c’est lui qui avait réduit le budget des pompiers quand il était ministre des Finances. Non, je ne suis pas en train de devenir plus politique ou plus polémique. Je suis tout simplement en train de faire mon travail en restant dans les faits. Je reste sur les faits, je ne brode pas autour, je ne les interprète pas pour faire un beau discours et je n’ajoute pas des petites phrases pour faire rire ou essayer de blesser.

L’opposition — plus précisément le PMSD — affirme que vous n’avez pas fait grand-chose à la tête des deux précédents ministères que vous avez occupés. Quelle est votre réponse à cette attaque ?
Elle me fait d’abord rire, surtout quand on se souvient que le PMSD faisait partie du gouvernement au départ. Je voudrais quand même dire qu’à la Sécurité sociale j’ai réussi à mettre fin à une injustice datant de quarante ans : donner une pension aux enfants handicapés de moins de 15 ans.

Comment expliquer qu’en dépit du fait que nous nous disons tous contre l’injustice et soutenons les défavorisés et les handicapés, les lois et les règlements ne changent pas et la situation de ces Mauriciens empire ?
Nous ne sommes pas suffisamment à l’écoute directement des handicapés et de leurs parents, et nous nous reposons trop souvent sur les rapports. C’est en écoutant que j’ai compris que pour les parents des handicapés, cette pension fait partie de leurs revenus pour vivre. Car bien souvent, un des parents d’un enfant handicapé doit ne pas travailler pour le surveiller, le soigner. C’est en écoutant que j’ai compris les difficultés des handicapés pour se déplacer, pour avoir accès aux bureaux pour leurs démarches, auxécoles pour leur éducation. Et puis, à la Sécurité sociale, j’ai surtout travaillé sur la rédaction du Disability Bill et j’espère que mon successeur pourra le présenter au Parlement.

Faut-il deux ans pour rédiger une loi pour mieux protéger les handicapés ?
Une loi qui veut être efficace, satisfaire et faciliter des besoins sociaux ne se rédige pas en une semaine. Il a fallu tout d’abord, et c’est très important, écouter les principaux concernés, les organisations qui s’occupent des handicapés et tous les ministères concernés. L’idée est de simplifier les démarches, possiblement en regroupant les services, en faisant de la formation pour ceux qui travaillent avec les handicapés. Il faut surtout faire comprendre que nous avons un devoir vis-à-vis des handicapés, qu’ils ont des droits, qu’on ne leur fait pas de la charité et devons leur offrir un bon service. Et en plus, il faut les intégrer dans la société, les faire participer à des activités pour leur donner l’occasion de montrer leurs talents, et ils en ont, et de s’épanouir. Tout cela prend du temps, plus de temps que vous ne pouvez l’imaginer. Au niveau des réalisations, il y a le fait que j’ai réussi à décentraliser le paiement des allocations pour les inondations. Autrefois, ces allocations étaient payées au ministère et les gens devaient venir faire la queue au ministère pour se faire payer. On a eu parfois des queues de plusieurs centaines de personnes qui ont dûattendre jusqu’au milieu de la nuit pour être payées. Je me suis penchée sur la question et, dorénavant, ces allocations sont payées dans les postes de police de chaque région.

Mais est-ce qu’il faut qu’un ministre s’occupe personnellement de ces questions ? N’est-ce pas le travail des hauts fonctionnaires de trouver des solutions pour améliorer le système ?
Peut-être que nous avons une tendance à Maurice à faire les choses et à suivre les règlements, même s’ils sont dépassés, comme on l’a toujours fait. Peut-être que nous n’avons pas la culture de l’innovation, de la remise en question et du changement.

Que pensez-vous de cette politique autour de la nouvelle CSR Foundation — qui a pris une année pour se mettre en place — qui a fait diminuer les ressources des ONG, au point de susciter un énorme découragement dans ce secteur vital pour les défavorisés et les handicapés ?
Je profite de l’occasion pour rendre un hommage aux ONG qui font un travail formidable et sans qui nous ne pouvons pas avancer dans le social. J’espère que les nouvelles mesures vont permettre un meilleur fonctionnement des ONG qui sont indispensables pour permettre au gouvernement d’améliorer la qualité de vie de nos citoyens démunis.

Au ministère de l’Égalité du Genre où vous êtes allée après la Sécurité sociale, ce n’est pas seulement l’opposition PMSD qui vous a accusée d’incompétence, mais les employées du ministère dans une lettre ouverte adressée à la presse…
Une lettre ouverte anonyme, il faut le préciser. Je suis choquée qu’une lettre anonyme ait été publiée dans la presse. Moi, les lettres anonymes je les jette à la poubelle. Cette lettre concernait la Child Development Unit où, je l’ai dit à chaque fois que j’en avais l’occasion, il y a de très gros problèmes. Je trouve inacceptable qu’il y autant d’enfants dans les shelters et j’ai demandé et obtenu du Conseil des ministres la création d’un comité pour se pencher sur cette question. Quand vous demandez aux fonctionnaires pourquoi il y a autant d’enfants dans les shelters, pourquoi des procédures de réconciliation enfants-parents ne sont pas organisées, quand on pose des questions, cela agace les fonctionnaires et donne des lettres anonymes à la presse, qui les publie !

Question directe : qu’avez-vous fait de concret pour combattre les abus sexuels perpétrés sur des enfants ?
Nous avons fait beaucoup de causeries.

Vous pensez que ceux qui vont abuser des enfants vont venir écouter des causeries ?
Il faut les organiser, il faut en parler, il faut mettre en garde les jeunes et les parents, et les causeries font partie de la stratégie pour informer. Et puis, il faut revoir la loi — plus précisément le Children’s Bill — pour la rendre plus efficace par rapport à “l’évolution” de la situation pour protéger les enfants.

Le gouvernement dont vous faites partie avait promis que le Children’s Bill serait présenté au Parlement en 2016…
Permettez-moi de vous corriger. Cela ne fait pas deux ans mais dix qu’on annonce la présentation de ce projet de loi. Quand je suis arrivée au ministère du Genre, j’ai pris du temps pour mettre à jour le draft qui existait en écoutant tous les stakeholders. Il ne fallait surtout pas amender une loi pour la rendre plus mauvaise. J’ai eu des consultations avec le Parquet, défini une politique et rédigé un projet de loi article par article, et j’ai pris six mois pour le faire. Le projet de loi est prêt à être présenté au Parlement.

Puisqu’on parle des enfants, on nous a demandé de vous poser la question suivante : pourquoi les procédures d’adoption sont-elles si compliquées alors qu’il y a des bébés abandonnés et des parents qui ne demandent qu’à les adopter ?
La loi qui régit l’adoption est, de mon point de vue, tout à fait correcte, mais ses procédures devraient être simplifiées. La difficulté vient du fait que quand un étranger veut adopter un enfant mauricien, il a le sentiment de faire quelque chose d’illégal, alors que ce n’est pas le cas. Il ne sait où se rendre, doit faire beaucoup de démarches, aller dans différents bureaux. Il faut donc revoir la loi pour simplifier les procédures, et les amendements ont été rédigés et attendent d’être présentés au Parlement.

Après le Disabilty Bill, le Chil-dren’s Bill et les amendements sur la loi sur l’adoption Espérons que vous n’allez pas devenir la ministre des lois écrites mais pas présentées au Parlement…
Je l’espère aussi. Je regrette de ne pas avoir pu présenter les projets de loi sur lesquels j’ai travaillé jusqu’à leur terme. Pour un légiste, c’est important de pouvoir mener à terme ce genre de projet. J’espère néanmoins que même si je ne les présente pas personnellement, ces projets de loi seront discutés et votés au Parlement.

Arrivons-en à votre troisième ministère qui s’est retrouvé dans l’actualité ces derniers jours. Pourquoi avez-vous refusé que l’on fasse appel à des experts étrangers pour l’incendie de Shoprite? Parce que le département des pompes a toutes les compétences pour faire le travail ?
Mais tout simplement parce qu’il y a trois enquêtes en cours dans le dossier Shoprite où, en plus, il y a eu mort d’homme. Il faut attendre que ces enquêtes soient terminées, leurs conclusions présentées avant de décider s’il faut ou non avoir recours à l’expertise étrangère. Mais pour revoir la sécurité dans les centres commerciaux, nous avons déjà entamé des discussions avec l’ambassade de France à ce sujet. Il faut accepter que tout n’est pas parfait dans ce secteur et qu’il faut des analyses de la situation et de nécessaires remises en question.

Et comment que tout n’est pas parfait dans ce secteur ! On découvre que des cadenas bloquent les accès de secours des centres commerciaux, que des inspections ne sont pas faites et que les fire certificates sont donnés à vie ! C’est comme si on donnait un certificat de fitness à vie pour une voiture sans tenir en ligne de compte la dépréciation de la structure, des pièces et des circuits électriques qui vont s’user et devront être remplacés.
Dans le système tel qu’il existe actuellement, le fire certificate est donné une fois pour toutes, for life et il est uniforme. Ce certificat n’est revu que dans certaines circonstances, dont une augmentation du nombre d’employés et des changements dans la structure du bâtiment. Ce n’est que dans ces circonstances qu’une inspection est faite. Mais il faut pour cela que le propriétaire du bâtiment nous informe des changements pour que nous fassions des inspections. Mais, malheureusement, tous les propriétaires ne nous informent pas de ces changements.

Ce qui est déjà une aberration ! Voilà une loi qu’il faut changer dans les meilleurs délais, dans l’intérêt du pays !
Je crois que ce fire certificate ne doit pas être donné à vie, mais pour des périodes de temps précises et renouvelables. Je suis déjà en train de travailler sur les amendements qu’il faut apporter d’urgence à la loi. Une de mes priorités est d’améliorer le service offert par les pompiers aux Mauriciens. Pour ce faire, j’ai eu des réunions avec les responsables, mais aussi avec les représentants des syndicats pour revoir la situation.

Les services des pompes sont-ils, du point de vue matériel, équipés comme il le faut ?
Je ne peux dire que je suis satisfaite. Il y a par exemple beaucoup de véhicules qui sont en panne, ce qui est inacceptable dans ce secteur. Je ne comprends pas pourquoi il y a autant de pannes, pourquoi on ne peut pas faire les réparations et troisièmement pourquoi on a acheté des camions qui ne peuvent pas être réparés à Maurice. J’essaye d’avoir les réponses des officiers mais aussi d’autres sources, dont le public. Je suis là pour faire un travail et je vais le faire.

On espère que la loi sur le fire certificate sera présentée plus rapidement au Parlement que les trois autres lois sur lesquelles vous avez travaillé. Abordons un autre sujet d’actualité. Les centres-villes ne seront-ils pas encombrés par les marchands ambulants pour cette fin d’année ?
Je vais faire appliquer la loi, point à la ligne. Il y a un jugement qui a été rendu sur ce sujet et je vais le faire appliquer.

On vous rappelle que ce même jugement n’a pas été appliqué dans le passé parce qu’il y a eu des lobbies par-ci et des considérations électoralistes par-là qui ont été tenues en ligne de compte…
Ce que je peux vous dire, c’est que cette semaine j’ai eu une réunion de travail avec tous les responsables des municipalités et des conseils de district, et que le sujet marchands ambulants a été abordé et il a été décidé que la loi serait appliquée. Après, j’ai eu une autre réunion avec les responsables de la police pour organiser la mise en application de la loi. J’ai fait ma part de travail sur ce sujet, il appartient maintenant aux institutions concernées de faire la leur.

Arrivons maintenant à la question qui fâche. Pourquoi, alors que vous étiez ministre du Genre, dont des Droits de la Femme, n’avez-vous pas réagi quand, dans une réunion publique, le député Rutnah a traité une journaliste de « femel lisien » ?
Merci de me donner l’occasion de m’expliquer et de dissiper une polémique inutile, montée de toutes pièces. C’était une réunion du Muvman Liberater où j’étais une invitée. Quand Rutnah a dit ce qu’il a dit, j’ai été très en colère en tant que ministre mais aussi en tant que femme. On m’a dit que j’aurais dû m’être levée pour protester, mais vous l’avez vous-même dit, je ne suis pas pour la polémique et la confrontation. Mais j’ai dit à Ivan Collendavelloo, le leader du ML, et à Rutnah ce que j’avais à dire sur la phrase qu’il avait prononcée. Par la suite, on a dit, en publiant une photo, que j’avais souri en entendant le propos de Rutnah. Mais cette photo a été prise avant le propos, ce qu’on n’a pas cru bon de préciser. Je ne vous dirai pas ce que j’ai dit à Rutnah, mais j’ai dit dans mon discours sur la violence domestique que certains propos sont inacceptables et condamnables, que chacun doit assumer la responsabilité de ses propos, au Parlement ou ailleurs.

La question suivante est politique. Il semblerait que la saison des négociations pour les alliances politiques ait commencé. Quelle serait votre préférence : une orange mauve ou une orange rouge ?
Quelle question ! Ce n’est pas moi qui négocie et décide des alliances, et je n’ai aucune préférence. Mais il est vrai que j’ai été candidate aux côtés de Paul Bérenger et Jayen Cuttaree, et que cela s’est bien passé. Cela étant, je n’ai pas travaillé avec le PTr, mais j’ai de très bonnes relations avec plusieurs de ses membres.

Concluons en soulignant que vous avez également appris à répondre aux questions politiques en ne prenant pas position !

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