FEMMES : Lutte contre la violence, le temps d’une remise en question

Cette année, les célébrations du 8 mars sont entachées des récents cas de violence extrêmes contre la femme. Pour Ragini Runghen et Pooba Essoo, engagées dans la lutte pour le respect et la dignité, c’est le moment d’une remise en question. Quand les marches ne servent plus à rien, disent-elles, il ne faut pas baisser les bras, mais chercher où se situe la faille. Et surtout, rappeler aux hommes qu’ils ont aussi leur rôle à jouer.
En l’espace de quelques semaines, les militantes des Droits de la Femme ont vu s’écrouler une lutte de plus de trente ans pour le respect et la dignité. Au moins cinq femmes ont péri des actes de violence extrêmes de ceux qui étaient supposés leur témoigner de l’affection. Un sentiment d’impuissance, voire d’échec, ont gagné certaines, sans compter les critiques auxquelles elles doivent faire face.
Ragini Runghen, responsable de Lakaz A et Pooba Essoo, du Collectif Citoyen, sont elles d’avis que cette situation interpelle et invite à une remise en question. « Les femmes sont dans un état d’impuissance face à la montée de la violence. On a fait tout ce qu’il fallait faire : des marches, amender la loi, de nombreuses activités au sein des ONG… Si la situation est telle, c’est peut-être parce que la solution n’est pas entre les mains des femmes », dit Pooba Essoo.
Cette dernière dit avoir été interpellée par les propos d’un politicien, « connu pour être à l’avant-garde sur divers sujets » qui s’interrogeait sur le silence des femmes face aux actes de violence. « Peut-être qu’il est justement temps pour les hommes, particulièrement ceux de son statut, de descendre dans la rue. Ce combat n’avancera pas tant que les hommes ne réaliseront pas qu’ils ont un rôle important à jouer et tant qu’ils considéreront que c’est une affaire de femmes. »
L’animatrice du Collectif Citoyen avance également qu’il est temps pour les femmes de procéder à une remise en question. « Il faut faire une évaluation de nos actions sociales et légales pour voir où sont les failles. Si nous nous contentons de nous asseoir et nous dire que nous avons échoué, cela ne nous mènera à rien. »
L’une des premières actions, selon Pooba Essoo, serait d’arrêter de célébrer la Journée de la Femme. « Cette célébration est une farce. Il y a trop d’hypocrisie sur la question », regrette-t-elle. Élaborant son point de vue, elle précise que la création de cette journée s’insérait dans un but précis : la lutte pour la reconnaissance des Droits de la Femme. « Valeur du jour, chaque 8 mars, on entend des discours politiques du genre : les femmes contribuent au développement du pays où les femmes sont égales aux hommes… Si tel est vraiment le cas, abolissons cette fête. Donnons à la femme son statut d’humain à part entière. »
Un tel événement, ajoute Pooba Essoo, vient souvent éclipser la contribution de la Femme les 364 autres jours de l’année. « Même si j’étais parmi les premières engagées dans la lutte en 1977, je dois avouer qu’il y a aujourd’hui beaucoup d’hypocrisie autour de la fête. J’aurais aimé, par exemple, que les médias montrent davantage la contribution de la femme dans l’économie du pays. »
Agir dans le concret, c’est le choix qu’a fait également Ragini Runghen, auprès des nombreuses femmes fréquentant Lakaz A. Qu’il s’agisse de femmes prisonnières de la drogue ou de mères et compagnes souffrant de cette situation, sa mission est de leur rendre leur dignité. « Mon 8 mars à moi, c’est quand je vois une femme qui recommence à se prendre en main », dit-elle.
Au-delà du genre, c’est la dignité humaine qui importe le plus, ajoute Ragini Runghen. « C’est un combat de tous les jours et non d’un jour par an. Qu’il soit homme ou femme, je m’engage à leur redonner leur dignité, afin qu’ils puissent faire face à la vie. »
Face à la montée de la violence, la coordinatrice de Lakaz A est d’avis que chacun doit s’interroger sur sa responsabilité. « Il faut revoir l’importance que nous accordons aux valeurs. Commençons le plus tôt en apprenant à nos enfants le respect des autres. Que faisons-nous de nos valeurs aujourd’hui ? La télé, l’internet, la tablette les a-t-elle remplacées au sein des familles. »
Comme en témoignent les vécus des familles qu’elle côtoie quotidiennement, Ragini Runghen rappelle que les femmes ont un rôle important à jouer dans ce domaine. « Ce sont toujours les femmes qui sont en avant quand il y a un problème. Ainsi j’invite les mamans à transmettre les valeurs à leurs enfants. N’essayez pas de les couvrir ou de les soutirer. »
Dans le même esprit, Ragini Runghen fait référence aux week-ends CADO organisés par Lakaz A à l’intention des jeunes. « C’est un moment où nous leur apprenons à retrouver l’estime de soi, à renforcer leur capacité et à s’ouvrir aux autres. Si on n’a pas de respect pour soi, comment peut-on respecter les autres ? », se demande-t-elle.
Ragini Runghen se dit également intriguée par les allégations d’infidélité dans les cas de violence récente. « Il n’y a aucune raison qui justifie la violence que ce soit à l’égard d’une femme ou d’un homme. »
Comme Pooba Essoo, Ragini Runghen invite les hommes à se joindre à la lutte contre la violence. « Ils doivent donner un coup de main. Nous croyons dans l’homme, nous croyons dans l’être humain, nous avons tous un bon côté à promouvoir. »
Les critiques et les coups durs ne devraient pas pour autant pousser à l’abandon, estime Ragini Runghen. « Si nous baissons les bras, qui sera la voix des sans-voix ? », s’interroge-t-elle.

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