Une fenêtre ouverte sur la richesse de notre patrimoine local

22 mars 1616 : c’est la date de la première messe sur notre île. Un grand merci et nos vives félicitations à Monique Dinan pour À l’île Maurice en 1616 une première messe, publié dans le cadre du quatrième centenaire de cette célébration. Telle une petite encyclopédie rédigée avec force détails et datations au fil des siècles, cet ouvrage apporte un autre éclairage sur l’histoire de notre pays et celle de son peuplement ; la foi plurielle ne saurait passer inaperçue dans le paysage mauricien jalonné d’édifices religieux. En s’appuyant sur des documents historiques, l’auteure nous décrit l’évolution du catholicisme au sein d’une population multiculturelle en présentant les faits sous forme d’une anthologie historique des églises et des chapelles avec une répartition géographique très précise des sanctuaires. Cette évolution s’est faite non sans heurt, bravant misères, intempéries et épidémies et brassant la population ; on a vu s’animer une foi sincère dans les coeurs depuis la visite des premiers explorateurs jusqu’à l’arrivée des Français et des Anglais en passant par la contribution des missionnaires irlandais sans oublier l’apport des esclaves affranchis et celui des immigrants indiens et chinois.
Qu’on ait un tant soit peu de curiosité, initié ou pas, croyant ou non, on ne saurait rester indifférent à ce récit sur la construction de notre nation arc-en-ciel vue de cet angle. Riche d’enseignements sur la religion catholique, ce livre ouvre aussi une fenêtre sur la richesse de notre patrimoine local. Par ailleurs, les témoignages sélectionnés avec soin par l’auteure nous font revivre la construction progressive de cette foi profonde. C’est avec beaucoup d’émotion qu’on parcourt ces extraits de documents parfois très anciens en essayant de visualiser la force de cette foi qui animait la communauté catholique face aux vicissitudes de la vie dans une île qui se construisait, elle aussi, en parallèle. Un texte extrait de la lettre du Pape Pie IX louant les actions de Mgr Collier et lui confiant le diocèse de Port-Louis souligne la grandeur d’âme de celui-ci. Un autre document très touchant nous raconte le récit de la construction de la première chapelle des Pères Spiritains au début de leur mission à Maurice à l’initiative du Père Laval à la paroisse Saint-Coeur-de-Marie à Petite-Rivière. Marie-Jeanne Desfossés va ouvrir cette chapelle dans l’ancien four d’une boulangerie.
Sur un plan formel, l’ouvrage de Monique Dinan offre deux volets indépendants. Dans la première partie, l’auteure insiste sur l’histoire chronologique des églises. L’ouvrage commence avec la description de la première messe célébrée par un prêtre jésuite d’origine portugaise en route vers Madagascar, Père Manoël ; on découvre au fil des pages une île Maurice devenue un point d’ancrage au coeur de l’Eglise missionnaire, et à quel moment s’est créé le diocèse de Port-Louis. Il est aussi question du rôle des différentes congrégations et de la construction des sanctuaires depuis la colonisation française jusqu’à nos jours à Maurice ainsi qu’à Rodrigues et Agaléga. Il est intéressant de voir comment cette évolution s’inscrit dans l’histoire sociale et géopolitique du monde : dans cette narration qui se fait dans un style très fluide, on peut suivre avec beaucoup d’intérêt le rôle des expéditions au 16e et au 17e siècles dans la recherche des épices et des richesses, la rivalité franco-britannique dans la prise des colonies ainsi que l’impact de la Révolution française, de l’abolition de l’esclavage et de l’arrivée des immigrants indiens sur le peuplement de l’île Maurice et la montée de la foi catholique. Quelques temps forts de l’histoire et le parcours de certaines personnalités sont particulièrement mis en exergue comme par exemple, la construction des églises à l’intérieur des terres sous Mahé de La Bourdonnais, le regroupement des esclaves pour le catéchisme en créole par le premier prêtre mauricien l’Abbé Deroullede, la remarquable contribution de Mgr Collier, premier évêque de Port-Louis, et du Père Laval sur le plan religieux et éducatif, l’apport des trois évêques irlandais, Mgr Murphy, Mgr Leen et Mgr Liston et la vie tellement riche de Mgr Jean Margéot. Après lecture de l’ouvrage, celui qui prendra un autobus à la gare routière de Rose-Hill à la place Jean Margéot ou qui empruntera la rue Mgr Leen ou Mgr Murphy à Quatre-Bornes, portera un autre regard sur la richesse de l’île !
La deuxième partie de l’ouvrage est axée sur un volet géographique qui retrace l’évolution de la démographie à Maurice dans toute sa diversité religieuse. Il est intéressant de noter comment les migrations variées ont joué un rôle dans la construction des églises catholiques à proximité d’autres lieux de culte religieux, semant déjà les graines du dialogue inter-religieux. Comme nous le rappelle dans sa préface Hubert Joly, secrétaire général du Conseil international de la langue française à Paris, l’île Maurice est un « exemple remarquable de l’harmonie qui règne entre toutes les communautés religieuses » et qu’il est nécessaire de « saluer cette entente pacifique si précieuse » ! Monique Dinan nous fait traverser les régions de chaque district en nous rappelant la fondation des paroisses et des centres de pèlerinage. Du religieux au culturel, il n’y a qu’un pas… La façon dont l’auteure associe les événements historiques du monde ainsi que la vie des artistes mauriciens à la localisation des églises est particulièrement touchante. C’est une mine d’or pour ceux qui veulent découvrir et comprendre l’histoire religieuse du pays ; c’est une belle tapisserie où mille petites histoires du monde entier se nouent dans la trame de la fondation de nos églises. À Poudre d’Or, l’église de Sainte-Philomène nous renvoie à cette martyre romaine dont le nom a été retiré du calendrier ; l’église de Notre-Dame de la Délivrande à Montagne Longue nous rappelle les origines normandes du Père Laval. Et comment ne pas s’émerveiller comme les habitants de Quartier-Militaire devant la fondation du sanctuaire de Notre Dame de Velankanni dans leur village, faisant écho à la « Lourdes » de l’Orient, situé au Tamil Nadu en Inde ? Et qui saurait rester indifférent devant les vitraux de Marcel Lagesse dans l’église Saint-François d’Assise, la plus vieille église de Maurice située à Pamplemousses et qui a 273 ans ?
En faisant ainsi oeuvre de mémoire, Monique Dinan nous invite à faire un pèlerinage spirituel et culturel et nous propose une nourriture pour l’âme et l’esprit. On fait un saut dans le passé, on s’enrichit et… on a une ouverture vers l’avenir.
Passionnée d’histoire et de géographie depuis ses années de collège au Couvent de Lorette de Rose-Hill, Monique Dinan n’a cessé de transmettre son savoir depuis l’obtention de sa maîtrise à l’Université de Laval à Québec en 1968. Femme généreuse et dynamique, elle nous a fait découvrir de façon très détaillée plusieurs pans de l’histoire des différentes communautés du pays avec plusieurs ouvrages parus de 1985 à 2010, dont Une île éclatée – analyse de l’émigration mauricienne, The Mauritian kaleidoscope et Mauritius in the making across the censuses 1846-2000. Grâce à son expérience de 18 ans en tant que rédactrice en chef de l’hebdomadaire La Vie Catholique, elle a posé un regard critique sur la société locale et s’est engagée dès sa retraite en 1998 dans des actions au sein du MAM (Mouvement d’Aide à la Maternité) en vue de promouvoir le respect de la vie à l’île Maurice. Dans cet esprit, parmi ses multiples publications, elle nous a livré ses impressions avec réalisme et tendresse avec Femme, Hymne à la Vie (1994), Enfant, ado : unique la route de ta vie (2006) et Les amours d’une vie (2010).
Aujourd’hui, elle nous invite à découvrir et à comprendre l’île Maurice profonde dans sa diversité culturelle et religieuse avec la parution de son dernier-né :
À l’île Maurice en 1616 une première messe… – 269 p. ISBN 978-99949-0227-9
Cet ouvrage est en vente en librairie, au prix de Rs 300.

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