Financement des partis politiques : trois longues séances d’un dialogue de sourds avant un échec programmé

L’amendement constitutionnel donnant des pouvoirs supplémentaires à l’ESC rejeté avec 44 voix pour, 20 contre, une abstention (Danielle Selvon) et trois absents (Aurore Perraud, Shakeel Mohamed et Kavi Ramano)

- Publicité -

Cafouillage et surprise au sein même de la majorité après la soumission du Political Financing Bill à un décompte des voix et l’annonce de son rejet

Chronique d’un échec programmé. Comme pour la réforme électorale, le projet d’amendement à la Donstitution en vue d’octroyer des pouvoirs supplémentaires à l’Electoral Supervisory Commission afin qu’elle puisse contrôler le financement des partis politiques n’a pas obtenu les 51 votes requis pour qu’il puisse devenir effectif. C’est au bout de trois longues séances d’un dialogue de sourds, qui se sont déroulées les 9, 12 et 16 juillet, que l’échec annoncé a été officialisé. Soumis en troisième lecture au vote individuel dans le dessein d’établir qu’il passe le test de la constitutionnalité, The Constitution (Amendment) Bill a été rejeté par un vote de 44 pour, 20 contre, une abstention, celle de la députée indépendante Danielle Selvon. Trois absences remarquées à l’heure du vote, celles du chef de file du PTr, Shakeel Mohamed, d’Aurore Perraud du PMSD et du député indépendant Kavi Ramano qui, tout récemment encore, posait des questions sur le financement des partis politiques. Les deux derniers nommés n’ont toutefois pas participé aux débats sur le projet de financement des partis politiques contrairement à Shakeel Mohamed.

Ce texte rejeté, c’était ensuite au tour du Political Financing Bill d’être soumis au vote. Il a passé l’étape de la deuxième lecture et de l’examen en comité et s’apprêtait à être adopté en troisième lecture, lorsque le Premier ministre a proposé qu’il y ait un décompte des voix.

On avait noté que, juste avant, Pravind Jugnauth avait remis en petit bout de papier au Chief Whip Bobby Hureeram qui, à son tour, l’a remis à la Deputy Clerk Urmilah Devi Ramchurn qui, elle, l’a discrètement glissé à la Speaker. Et si le leader du MMM Paul Bérenger a fait signe à la Speaker que cette demande était pour le moins inhabituelle et que ce texte ne requerrait pas de vote caractérisé et qu’il pouvait être approuvé par majorité simple, le Premier ministre adjoint Ivan Collendavelloo ainsi que le ministre mentor Sir Anerood Jugnauth n’ont pas caché leur surprise devant une telle situation. Le vote a donné le même résultat que celui pris sur l’amendement constitutionnel.

Ignorance des Standing Orders

Ils ont essayé de discuter avec l’Attorney General pour savoir ce qui se passait, mais Maneesh Gobin leur a rappelé qu’ils étaient sous les regards attentifs des parlementaires et de la presse et qu’il valait mieux poursuivre les pourparlers ailleurs. La séance ayant été suspendue pour le dîner, le Premier ministre et ceux des banquettes avant du gouvernement se sont retirés de l’hémicycle pour poursuivre les discussions et essayer de comprendre ce qui s’était passé.

Paul Bérenger a profité de la pause pour tenir un point de presse et dénoncer ce qui venait de se produire. Il a soutenu que le Premier ministre et la Speaker « ine fané » et qu’ils ont fait montre d’une totale ignorance des provisions des Standing Orders.

La Speaker s’est fendue le lendemain d’une explication sur la radio où elle est abonnée lorsqu’il s’agit de réagir aux critiques qui sont portées contre elle, pour dire qu’elle avait consulté avant d’autoriser ce décompte des voix sur le Political Financing Bill et que cela s’était, selon elle, imposé du fait que le texte qui, certes, pouvait être approuvé par simple majorité, comportait aussi des clauses relatives à la Constitution. D’où le vote et l’enregistrement de son rejet en troisième lecture.

Avant le vote, il y avait eu la fin des débats. Le premier à intervenir à la séance de mardi était le Premier ministre adjoint, Ivan Collendavelloo. Si, comme attendu, il a défendu les deux textes, il a néanmoins été jusqu’à soutenir qu’il pouvait être effectif, même sans amendement à la Constitution, une interprétation plus large de la loi suprême octroyant déjà, selon lui, des pouvoirs considérables à l’Electoral Supervisory Commission.

Il s’est embarqué dans un véritable procès contre le PMSD après les propos tenus par le leader et les membres de ce parti sur l’Electoral Supervisory Commission, un fait inédit dans l’histoire politique du pays, a-t-il commenté dans la mesure où aucun autre parti n’a jusqu’ici remis en question l’indépendance de cette institution.

Le Premier ministre adjoint a surtout déploré les critiques formulées plus particulièrement contre la dernière nommée à l’ESC, l’avouée Ammanah Saya Ragavoodoo. Ivan Collendavelloo a dit ne pas comprendre cette sortie contre cette professionnelle, accusée d’être une nominée politique parce qu’elle a été l’avouée de Pravind Jugnauth. Or, a-t-il dit, Ammanah Saya Ragavoodoo a aussi été l’avouée de Nandanee Soornack et de Yousouf Mohamed. « Pourquoi la critiquer et ne pas en faire de même pour un autre membre de l’ESC Désiré Basset qui, lui aussi, a paru pour le Premier ministre dans certains procès ? » s’est-il demandé suggérant ainsi que les bleus choisissent bien leur cible lorsqu’il s’agit de critiques et de dénigrement. Sauf que Me Basset n’a pas été, lui, nommé sous l’actuel gouvernement.

Il a aussi dit que le commissaire électoral Irfan Rahman est un parent de la famille Mohamed, que M. Cowreea, membre de l’ESC, est le beau-frère du travailliste Satish Faugoo et que Nargis Bundhun est, elle, le frère d’un ancien membre du MMM, Raouf Bundhun. Xavier Duval était, comme d’habitude, absent de l’hémicycle pendant cette intervention. Il n’est revenu que lorsque Pravind Jugnauth allait procéder au résumé des débats.

Et les autres membres de l’ESC

Après le numéro 2 du gouvernement, c’est le député travailliste Ritesh Ramful qui a pris la parole pour regretter que le gouvernement n’ait fait aucun effort pour rechercher un consensus sur un sujet qui, pourtant, suscite une large adhésion.

Il a, lui aussi, mis en exergue le fait que le gouvernement n’a pas arrêté de changer de version depuis la première mouture présentée par le Comité Duval en avril 2016. Un financement de l’Etat avait été prévu dans les propositions, mais finalement le texte l’exclut sous le prétexte que le public y serait opposé, a déploré le député.

L’élu rouge du No 12 a ainsi dit qu’on a eu droit à une nouvelle version en novembre 2018 après les travaux, cette fois, d’un Comité Sir Anerood Jugnauth et, enfin, un texte qui ne reflète ni les premières propositions ni celles, plus récentes, de SAJ. Ce qui a de quoi pousser l’opposition à ne pas voter les textes proposés, a déclaré Ritesh Ramful.

Le prochain orateur, Sangeet Fowdar qui, comme Soodesh Rughoobur, tient absolument à montrer, en cette fin de mandat, qu’ils sont bien rentrés dans les rangs, a soutenu ardemment les deux textes en disant que cela assainirait un financement politique. Plus royaliste que le roi, le député du ML, qui était jadis très critique de certains agissements du gouvernement, a pris la défense du MSM en disant, en guise de réplique aux dénonciations de Shakeel Mohamed, lequel avait brandi les preuves de contributions de Rs 19 millions de l’ex-British American Investment au Sun Trust, que cela n’a pas empêché le gouvernement de sévir contre ce groupe après les dernières élections.

Pour clore le débat pour l’opposition, son Whip Dan Baboo, toujours aussi monocorde dans la lecture de son texte, prenant la même intonation pour dire, à chaque paragraphe près, « Madam Speaker », ce qui a semblé endormir ceux qui suivaient le débat en ce début de soirée de mardi.

Tout ce que l’on retiendra de cette intervention, c’est que le numéro 2 du PMSD à l’Assemblée nationale a repris l’essentiel de l’argumentaire de son leader et les mêmes critiques formulées contre l’Electoral Supervisory Commission.

L’ultime appel au MMM

Pravind Jugnauth, qui a clos les débats, a défendu la démarche du gouvernement comme un acte fort visant à assainir le financement des partis politiques et à combattre la corruption. Il a tenu à réfuter les arguments de l’opposition en disant que même si la loi est loin d’être parfaite, elle représente un début qui est indispensable si l’on veut en finir avec une situation opaque et sans contrôle qui n’a que trop duré.

Le Premier ministre a, lui aussi, défendu l’indépendance de l’Electoral Supervisory Commission et le professionnalisme du commissaire électoral Irfan Rahman qui, a-t-il dit, a contribué au rayonnement de notre système d’organisation des élections à l’étranger au point d’être invité à superviser des scrutins dans un grand nombre de pays. Le chef du gouvernement a aussi rejeté la demande de l’institution d’un Select Committee de l’opposition en disant avoir constaté des positions irréconciliables entre ce que propose le gouvernement et ce que souhaitent ses adversaires.

Il a, à cet effet, évoqué le financement des partis politiques par l’Etat, tel que suggéré par les partis de l’opposition et a dit qu’il a été constaté lors des réactions publiques aux propositions du gouvernement en novembre 2018 qu’il y avait une forte opposition à cette éventualité et que cela a poussé le gouvernement à abandonner cette option.

Il a aussi fait valoir que rien n’indique qu’un Select Committee aurait réglé le problème dans la mesure où au sein même de l’opposition il y a des divergences de vue et que Alan Ganoo, par exemple, qui était au départ contre tout financement par l’Etat, s’est ravisé pour se ranger à l’avis de l’opposition et préconiser un système mixte public/privé pour financer les partis politiques. Pravind Jugnauth a conclu son intervention en lançant un ultime appel au MMM pour que ce parti soutienne le projet présenté.

Les textes sur le financement des partis politiques votés, l’Assemblée nationale a ensuite attaqué l’examen de deux projets de loi post-budgétaires, le Finance (Miscellaneous Provisions) Bill et le Business Facilitation (Miscellaneous Provisions) Bill 2019. Epuisés par les débats stériles tirés en longueur sur les textes tentant de régir le financement des partis politiques, il y a eu moins d’interventions sur ces projets de loi discutés à une heure tardive de la nuit. Reza Uteem a fait valoir quelques arguments sérieux sur leurs faiblesses.

Finalement, les deux textes du Premier ministre et ministre des Finances Pravind Jugnauth ont été adoptés tard dans la soirée de mardi, avant qu’il ne propose l’ajournement des travaux au 30 juillet, le temps d’une trêve pour les Jeux des îles.

Le texte de Nando Bodha sur l’Industrial Property, qui vise à réguler la propriété intellectuelle, et présenté comme urgent, a été donc reporté à la prochaine séance.

Pour la Private Notice Question de la semaine, le leader de l’opposition avait choisi l’affaire du trésor découvert à Rodrigues et qui agite l’île. Les échanges ont vite tourné au vinaigre, le ministre des Arts et de la Culture Pradeep Roopun restant assez approximatif dans ses réponses. Il a néanmoins indiqué que le recours aux experts n’est pas exclu pour établir la valeur des objets trouvés.

Xavier Duval qui, pour une fois, a semblé soutenir l’Assemblée régionale de Rodrigues, s’est désolé que le gouvernement local n’ait pas été associé à la gestion de cette découverte. Le ministre a, lui, assuré que le nécessaire avait été fait. Pour mettre fin aux échanges, le leader de l’opposition a parlé de « mess in the head » du ministre, lequel lui a répondu que son interrogateur est lui même un « mess ».

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -