LE FINANCEMENT DES PARTIS POLITIQUES : Cette vieille hypocrisie qui n’a que tr op duré

Le nouveau Garde des Sceaux français, François Bayrou, a présenté jeudi les grandes lignes de la moralisation de la vie politique, de la conduite des hommes publics et des institutions et ce, des années après les premières mesures introduites au début des années 1990 sur le financement des formations politiques et les nouvelles dispositions sur la transparence des hommes publics adoptées au lendemain de l’affaire Cahuzac. Ailleurs, dans le monde, ces deux questions, dépenses électorales et probité des politiques, ont longtemps été strictement encadrées.
Ici, treize ans après le Select Committee parlementaire de tous les partis représentés au Parlement présidé par Ivan Collendavelloo qui avait formulé des recommandations très précises et une année après un comité politique restreint présidé par Xavier Duval et composé uniquement des partis de Lalians Lepep d’alors et ses préconisations, rien, la dernière fois où la question ayant été évoquée n’ayant absolument pas rassuré quant à l’imminence de la présentation de textes sur le financement des partis politiques et la déclaration publiques du patrimoine des hommes public, politiciens et grands commis.
La chute de l’empire de British American Investment et de sa filiale bancaire notamment a révélé le degré de générosité dont sont capables des conglomérats. En 2010, alors qu’il est en alliance avec le PTr et le PMSD, c’est une somme totale de Rs 19 millions qui aurait alimenté le compte 310000656 du MSM à la Bramer Bank comme suit : le 23 avril 2010 : Rs 5 millions ; le 30 avril 2010, cinq jours avant les élections générales du 5 mai 2010 : Rs 5 millions ; le 20 mai 2010 : Rs 5 millions ; le 24 août 2010 : Rs 2 millions ; le 1er novembre 2010 : Rs 1 million et le 23 novembre 2010 : Rs 1 million. Pravind Jugnauth leader du MSM était ministre des Finances.
Ces premières révélations sont faites le 13 juin 2015 par le leader du MMM Paul Bérenger à la veille des municipales. Son parti est alors accusé d’avoir bénéficié de Rs 10 millions de la BAI pour la campagne électorale de 2014. Roshi Bhadain distribue des photocopies du chèque concerné à ses relais après en avoir fait état dans une émission d’autopromotion à la MBC. Les chèques étant retraçables tandis que les enveloppes, les valises et les coffres bourrés de liasses sont à peine détectées.
Toujours est-il que Paul Bérenger commente aussi ce jour-là, le 13 juin 2015, et de manière très précise, les divers retraits successifs effectués par les principaux membres du MSM, juste avant qu’ils n’orchestrent la mort de la généreuse institution bancaire. Il évoque ainsi la fermeture le 9 janvier 2015 par Pravind Jugnauth, ministre des Technologies de l’Information, de son compte à la Bramer Bank d’un montant de Rs 4,4 millions libellé en dollars américains et en livres sterling. Il fait aussi état du compte à la même banque des Rawat de Rs 741 000 fermée le 13 février 2015 par le Premier ministre Sir Anerood Jugnauth.
La révélation la plus surprenante du leader du MMM: celui qui est en première ligne dans la croisade contre le groupe BAI, le ministre de la Bonne Gouvernance a, lui aussi, vidé le 18 février 2015 ses comptes à la Bramer, le dépôt en épargne de Rs 700 000 et même celui qui est de Rs 5,3 millions en grande partie sous forme d’emprunt.
« C’est le MSM qui a le plus bénéficié  »
On a d’ailleurs appris récemment que cette dette avait en fait été rayée et, plus intrigant, celui qui gérait le portefeuille du MSM à la Bramer Bank, Benoît Elisa, avait été recruté comme conseiller du ministre Bhadain. Et pour confirmer cette collusion MSM/BAI, c’est le grand patron du conglomérat réfugié à Paris qui confirme chez un confrère en ligne que « c’est le MSM qui a le plus bénéficié des financements de la BAI ».
Et si ce n’était que cela, les mouvements d’argent ? Il est maintenant établi qu’il y a aussi eu d’autres « gracieusetés » dont se sont prévalus des membres influents du MSM. Il y a les véhicules, commercialisés par Iframac, le concessionnaire automobile du groupe BAI. Les registres attestent de la cession en 2009, année où Pravind Jugnauth bénéfice du parrainage du PTr pour obtenir un siège de député à la partielle du No 8, d’une Mitsubishi Outlander au coût des Rs 3,2 millions. Cette « offre de vente » au MSM ne comporte aucune trace de paiement. Pourtant c’est sans gène aucune que le ministre Jugnauth se rend dans ce véhicule au tribunal pour l’affaire Medpoint.
Durant la même période 2009/2011, celle où le MSM partage le pouvoir avec le PTr et le PMSD, Shawkatally Soodhun, président du parti, mais également ministre de l’Industrie et du Commerce devient, lui, et une société appartenant à son fils, les heureux propriétaires d’une Mercedes E250 de Rs 2,1 millions et d’une Mitsubishi ASX apparemment cédées pour Rs 790 000. Ici aussi, aucune trace de reçu attestant d’un paiement.
Cela s’ajoute aux factures de la clinique Apollo Bramwell, autre fleuron du groupe BAI, que plusieurs dirigeants ont juste oublié d’honorer. Devant ces informations indiquant que les partenaires en alliance du PTr ont toujours bénéficié de la générosité de la boîte à Rawat, la grande question est « what about the Labour Party ? », considéré comme le parti qui a organisé l’expansion exponentielle du groupe.
Bonne question qui pousse à penser que s’il n’y a pas trace de mouvement d’argent tangible, cela n’exclut pas des donations en liquide. Mais certains observateurs avisés ou initiés ne manquent pas de relever un étrange hasard du calendrier.
C’est à l’époque de la grande générosité de la BAI envers les alliés du PTr en 2009/2010 que la Bramer Bank accorde un prêt de Rs 40 millions à Navin Ramgoolam pour l’acquisition de son bungalow pieds dans l’eau à Roches-Noires. Or, à l’examen des comptes de la défunte Bramer Bank, il a été constaté que cinq ans après il n’y avait aucune trace du moindre remboursement de cet emprunt par l’ancien Premier ministre travailliste.
Des contributions financières étalées sur la place publique, il en avait aussi été question en avril 2010. Des livres de compte du groupe hôtelier Apavou, en difficulté, scrutés par des comptables, laissent entrevoir que trois partis politiques en alliance pour les élections générales de 2010 avaient bénéficié de contributions financières d’un total de Rs 5 millions, Rs 2 millions pour le PTr et Rs 1,5 million chacun pour le MSM et le PMSD. Seul Xavier Duval a reconnu avoir obtenu une donation de Rs 500 000, les autres jouant aux vierges effarouchées qui ne savent rien. La duperie dans toute son horreur.
S’il a été question ces derniers temps de la BAI et du groupe Apavou, cela ne doit pas occulter le fait que les grands et moyens groupes du secteur privé traditionnel mauricien ont avant et après l’Indépendance soutenu financièrement les partis politiques, les mêmes, les uns obtenant un peu plus, selon qu’ils partent favoris ou se montrent favorables à la libre entreprise. Mais il n’y a pas eu qu’eux. Il y a eu des sources que l’on peut qualifier d’idéologiques, étrangères notamment et d’autres, moins propres.
Voyages et voitures
En 1968, c’est une lutte cruciale : pour ou contre l’indépendance. Le gros du secteur privé mauricien, des régimes autoritaires comme celui d’Omar Bongo et des mouvements réactionnaires d’Afrique, comme les défenseurs de l’apartheid, soutiennent Gaëtan Duval dans sa campagne plutôt hystérique, même s’il se trouve qu’il y a eu de ces entrepreneurs locaux qui ont aussi aidé financièrement le « bonhomme Ramgoolam ». La preuve la plus visible étant ce cadeau d’une Daimler au Premier ministre SSR. Ces rapports vont se consolider jusqu’à la prochaine échéance de 1976.
Autre manifestation de cette collusion entre le PTr de SSR et les principales firmes du pays est le double cadeau fait à un député acheté du MMM pris dans une affaire de moeurs. En sus d’une balade à Paris, il aura aussi droit à une Austin Allegro pour se déplacer gracieusement offerte par une des firmes de la Place d’Armes. Ce n’était pas encore l’ère des voitures hors-taxes pour les élus.
Le parti émergent à ce moment-là est le MMM. Il est jeune, neuf, pauvre, mais il est aussi fort de son projet et de sa base syndicale que de son discours idéologique. Avec son « Remplacer la lutte des races par la lutte des classes », ou son « Enn sel lepep enn sel nasyon », il fait évidemment peur. On est encore en pleine Guerre froide, les jeunes du MMM sont vite taxés de communistes.
S’ils comptent surtout sur l’activisme militant pour son action sur le terrain, il est aussi un fait que le MMM bénéficie du soutien financier des mouvements de libération, des partis progressistes de la région, à l’instar du Parti communiste réunionnais. Mais aussi des formations de la Libye, de l’Union soviétique, de la Chine et d’autres pays dits anti-impérialistes.
En 1982, voyant tourner le vent, le secteur privé aide financièrement les favoris le MMM/PSM, mais une aile d’un important conglomérat choisit de soutenir un groupe, le RPL, qu’il a lui-même créé, et qui a pour principaux animateurs Christian Couacaud, Pierre Dinan, Robert Bigaignon, Serge Maurice pour ne citer que quelques figures influentes de ce mouvement éphémère.
A partir de 83, les rapports argent-politique prennent une tournure malsaine. Une bonne partie du secteur privé qui s’est beaucoup diversifié refuse de cautionner le nouveau parti de Sir Anerood Jugnauth, le MSM et ses nouveaux alliés, le PTr et le PMSD engagés dans une des pires campagnes communales de l’histoire du pays. Le financement vient alors de sources plus douteuses, dans « tente », un fait que confirme Harish Boodhoo alors que les trafiquants de drogue font la pluie et le beau temps.
« Le bâtiment de la honte »
Une fortune est néanmoins accumulée par le MSM au fil des campagnes, ce qui permet le démarrage de la construction du Sun Trust sur dix étages, rue Edith Cavell, Port-Louis, que certains, à l’instar de Paul Bérenger, ont toujours refusé de fréquenter et que d’autres ont baptisé « Le bâtiment de la honte ».
En 1999, une partielle tenue à Beau-Bassin/Petite-Rivière, après la démission de Jocelyne Minerve, révèle la pire des pratiques en terme de moeurs électorales. Le candidat de l’alliance PTr/PMXD Xavier-Luc Duval distribue des cadeaux au vu et au su de tous, argent, cahiers d’école, tempos, billets de cinéma. On asphalte aussi les rues du No 20 et on recrute allègrement dans la circonscription.
Xavier Duval est élu, mais la candidate battue du MMM, Françoise Labelle, poussée par une opinion outrée, décide de contester par voie de pétition cette élection considérée comme « achetée » avec de puissants éléments qui étaient de loin plus graves que ce qui va être ensuite reproché à Ashock Jugnauth, éventuellement disqualifié pour « bribe électoral ». La fameuse pétition ne sera jamais débattue en Cour pour la bonne et simple raison que l’Assemblée nationale est dissoute en août.
Mais au mois d’avril, alors que la pétition est toujours d’actualité, un intime à Xavier Duval Eric Stauffer vient, preuves à l’appui, conforter les arguments de Françoise Labelle. On voit le ressortissant suisse, actif durant la campagne de XLD, arborant son T-shirt de l’alliance PTr/PMXD distribuer personnellement des billets à des électeurs.
Ce cliché que reproduit en exclusivité Week-End le 9 avril 2000 va déclencher un extraordinaire cyclone médiatique avec presque chaque jour son lot de révélations croustillantes : importation d’armes à feu, armée de gros bras, réseau d’étrangers pas tous blancs comme neige, influence sectaire, escapades sur le Mont-Blanc et bouillabaisse à Marseille. L’effet est dévastateur : XLD est contrait de quitter le No 20 pour se réfugier à Curepipe. Mais il sera néanmoins battu aux élections générales de septembre 2000.
Le financement occulte des partis ayant pris une tournure manifeste et tangible, il y a bien eu des tentatives de réglementer cette épineuse question. Le secteur privé de plus en plus sollicité décide à partir du début des 2000 de demander à ceux qui versent de l’argent à des partis politiques d’en préciser les chiffres globaux dans leur bilan financier annuel. Cela n’a pas empêché le phénomène de prendre de l’ampleur et de devenir encore plus sophistiqué.
Bien qu’on ait témoigné de l’influence de l’argent en politique et de cette surenchère grandissante des moyens qui peut fausser un scrutin et menacer la démocratie, il n’y a pas eu jusqu’ici de mesures significatives pour assainir nos moeurs électorales. Un projet de loi sur le financement des partis figure bien dans le programme électoral de Lalians Lepep, mais près de trois ans aux affaires, ce dossier qui devient urgent ne semble pas être la préoccupation première de ceux qui nous gouvernent. Cette situation prouve une chose : ils ont un intérêt considérable dans le maintien du statu quo.

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