FOCUS: Gérer la question des drogues sous quatre angles nécessaires

L’article de Malenn Oodiah intitulé « Toxicomanie, Maurice en manque » parue dans la page Forum d’hier offre un angle intéressant à la question des drogues.  Plus de réflexion s’impose cependant dans cette même direction.
La stratégie qui consiste à aborder la question des drogues avec l’angle de la réduction de l’offre et celui de la réduction de la demande est incomplète, et quelque peu dépassée. Un plan national stratégique sur les drogues devrait être fondé sur quatre piliers :
1. La Réduction de l’offre (interventions qui cherchent à renforcer la sécurité de la collectivité en répondant à la criminalité et au désordre au sein de la communauté, causée par la consommation de drogues. Cela englobe le travail de la police dans la communauté, mais aussi au port, à l’aéroport et à la poste),
2. La Réduction de la demande (interventions qui visent à prévenir ou à retarder la consommation de drogues et d’éviter les problèmes avant qu’ils ne surviennent. Cela englobe par exemple le travail d’information et de prévention de la consommation des drogues)
3. La Réduction des risques (interventions qui visent à réduire les risques associés à l’usage de drogues. Il peut inclure mais ne nécessite pas l’abstinence des drogues. Cela englobe le programme de méthadone, le programme d’échange de seringues, et autre stratégie visant à limiter les risques liés à l’utilisation des drogues)
4. Traitement et réinsertion, (interventions qui visent à améliorer le bien-être physique, psychologique et social des personnes qui utilisent, ou qui ont utilisé des drogues. Cela englobe le suivi médical des personnes, la réhabilitation, et la réinsertion entre autres)
Le modèle des quatre piliers a été développé depuis le début des années 90 dans des pays comme la Suisse et l’Allemagne, et est aujourd’hui adopté, et a fait ses preuves dans diverses parties du monde, preuves comme :
Une réduction drastique de maladies transmissibles par le sang, comme le VIH/Sida, ou les hépatites.
Une réduction des morts par overdose
Une réduction de l’utilisation problématique des drogues.
Cependant, afin que ce modèle puisse fonctionner, il est important que les aspects suivants soient pris en considération :
1. Le travail intégré et surtout la collaboration entre les instances impliquées dans chacun des 4 piliers sont essentiels. Il ne serait pas logique que ces instances travaillent chacun de leur côté, comme tel est souvent le cas chez nous. Un exemple est le service d’échange de seringues qui donne des seringues propres aux personnes qui s’injectent des drogues pour éviter la transmission du VIH, alors que ces mêmes personnes se font arrêter avec ces mêmes seringues par les forces de l’ordre.
2. Un organe indépendant du Ministère de la Santé pour chapeauter ce plan stratégique national car la question des drogues, bien qu’elle doive être abordée d’un point de vue de santé publique, est loin de se limiter à la santé. Elle concerne tout aussi bien des ministères comme la jeunesse, le travail, l’éducation, la sécurité sociale, la justice, la sécurité nationale, etc. Un exemple qui a fonctionné dans le monde, tout comme à Maurice, a été la gestion de la question du VIH par un organe comme le National Aids Secretariat (sous le PMO) pour chapeauter toutes les instances travaillant dans la mise en oeuvre du plan stratégique du VIH/Sida chez nous.
3. Un équilibrage des dotations budgétaires attribués à chacun des quatre piliers. De manière générale, au niveau global, il y a un déséquilibre honteux des budgets alloués à la gestion de la question des drogues. Ainsi, les organisations internationales demandent aujourd’hui à ce qu’AU MOINS 10% des budgets alloués au budget de la police soit alloué à la Réduction des Risques d’ici 2020 !! Nous sommes aujourd’hui très loin du compte. Selon l’International Drug Policy Consortium, les dépenses globales de lutte contre la drogue dépassent les 100 milliards de dollars annuellement, et seulement 10% de cette somme couvrirait largement les besoins annuels de prévention du VIH et de l’hépatite C pour les personnes qui s’injectent des drogues.
4. Le suivi et l’évaluation systématique de ce plan stratégique sur les drogues. L’article de Malenn Oodiah fait référence au dernier Plan National Stratégique des drogues pour la période 2005-2009. Cependant, avant de se ruer et préparer un autre plan stratégique pour les 5 ans à venir, il est primordial d’évaluer notre travail afin de savoir si nous sommes sur la bonne voie, et si les stratégies mises en place fonctionnent. Aujourd’hui, nous ne sommes pas en mesure de venir démontrer, chiffres à l’appui, que le dernier plan (2005-2009) a fonctionné, car ce dernier plan n’a jamais été évalué.
5. L’importance de la recherche (quantitative et qualitative) pour aborder la question des drogues. La dernière estimation des personnes qui s’injectent des drogues à Maurice chiffre le nombre d’injecteurs à 10,000. Cependant qu’en est-il de la consommation des autres drogues, et de leurs effets sur notre société, ne serait-ce que sur le plan médical ? Nous ne sommes pas en mesure d’évaluer le nombre de consommateurs de cannabis,  de cocaïne, ou de drogues de synthèse. Nous n’avons aucune idée précise de ce qui circule, car la recherche en matière de drogues à Maurice s’est seulement concentrée sur les drogues injectables ces dernières années. Au niveau global, selon le dernier rapport de l’Office des Nations unies sur les Drogues et le Crime, il y a à ce jour  348 nouvelles drogues de synthèse qui ont été identifiées. Qu’en est-il au niveau local ? Nous n’en savons rien, mis à part quelques variétés de cannabis synthétiques qui font parler d’elles ces deux dernières années.
6. L’importance d’une nouvelle approche pour gérer la question des drogues, basée sur la santé publique et les droits humains au lieu du tout répressif qui n’est jamais parvenu à faire baisser la consommation de drogues. Support Don’t Punish, campagne menée en juin, mettait justement en exergue l’importance d’une nouvelle approche à la question des drogues, et il est très encourageant de voir que cela a été mentionné dans l’article de Malenn Oodiah. Il est aujourd’hui important de revoir nos lois archaïques sur les drogues. Notre Dangerous Drugs Act a bientôt 15 ans d’existence alors que le domaine des drogues est extrêmement dynamique. Continuer de penser qu’à chaque fois qu’une nouvelle drogue apparaîtra sur le marché, il suffira de l’ajouter à la liste des « Dangerous Drugs » en la criminalisant pour que le problème soit réglé est absolument contre-productif. Arrêter et incarcérer les personnes qui consomment des drogues,  selon la Commission Globale sur la Politique des Drogues, présidée par Kofi Annan, a eu comme résultat un accroissement des cas de VIH et d’hépatite C. De plus, cela nous ramène à la question de la répartition des fonds publics pour le dossier Drogues. Arrêter et incarcérer des personnes pour consommation de drogues implique des dépenses publiques pour la police, notre système juridique, les dépenses liées aux prisons, et surtout le coût à la santé publique.  L’île Maurice n’en est pas à l’abri, avec un système pénitencier où regorgent les personnes qui s’injectent des drogues sans accès aux seringues propres et aux préservatifs. Nous avons un Commissaire des prisons qui a eu le courage de dire tout haut que la drogue est une réalité dans nos prisons. Le Ministère de la Santé et de la Qualité de la Vie a réagi en offrant le programme de méthadone en prison (alors que ce programme n’est pas accessible en prison dans plusieurs pays encore aujourd’hui). Pourquoi s’arrêter en si bon chemin si nous avons à coeur la santé de nos citoyens ? De plus, l’incarcération détruit des familles, et la réinsertion des ex-détenus est aujourd’hui encore plus difficile, car être incarcéré pour une affaire de drogue (toutes drogues confondues) ne permet pas d’avoir un « Certificate of Character » qui est de plus en plus nécessaire pour l’obtention d’un emploi. Quelle voie pour quelqu’un qui sort de prison ? Les nouveaux modèles de régulation des drogues sont en train de faire leur preuve au niveau international,  et ce serait  productif que les médias puissent en parler plus souvent. Portugal, Uruguay, Washington, Colorado pour ne citer que ceux-là.
Si nous voulons un nouveau plan national stratégique pour la question des drogues, nous n’avons pas à réinventer la roue. Les drogues existent depuis la nuit des temps, et heureusement, des processus pour la formulation de plans stratégiques existent aussi. A nous de savoir mettre sur pied un plan en lien avec nos réalités nationales, en prenant en compte l’avis, non seulement des instances gouvernementales et non-gouvernementales, mais aussi et surtout, des utilisateurs de drogues qui seront les premiers concernés par nos stratégies nationales. Il ne s’agit plus d’avoir un point de vue moral sur la question de la consommation des drogues pour la conception et la prestation de services, mais être moralement neutre.  La stigmatisation et la discrimination envers les personnes qui consomment des drogues sont les premiers facteurs qui éloignent des services de santé (entre autres) ceux qui en ont le plus besoin.
Rappelons-le, selon l’Organisation mondiale de la Santé, les personnes qui s’injectent des drogues sont les plus stigmatisées au monde. Si nous avons un plan national stratégique en béton, mais si nous ne parvenons pas à changer notre regard sur les personnes qui consomment des drogues, nous ne risquons pas d’avoir des résultats très probants, et il y va de la responsabilité de tout un chacun.
 

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -