FORUM – PHILO: Révolution

Aujourd’hui, il semble que la révolution soit partout, du moins le mot : tel nouvel ordinateur est révolutionnaire, telle mesure gouvernementale est révolutionnaire, tel sèche-cheveux est révolutionnaire. De quoi faire se retourner dans leur tombe Robespierre, Marx et Lénine. Les événements qui ont commencé à ébranler les sociétés et les autorités politiques dans certains pays arabes sont qualifiés de « révolte », voire de « révolution ». Il semble que ce soit un peu confus. Essayons d’y voir un peu plus clair !  
Commonwealth
L’idée de révolution est assez récente dans l’histoire de l’humanité. Il semble que cette idée soit apparue entre 1641 et 1649, année de la décapitation du roi d’Angleterre, d’Écosse et d’Irlande, Charles Ier. Durant ces quelques années de troubles et de révoltes, les mises en cause du régime politique monarchique vont être nombreuses, et ce changement important prend le nom de Révolution, bien que les historiens britanniques appelèrent cette période « English Civil War ». A partir de 1650, apparaît un nouveau régime politique : le « Commonwealth », qu’on traduit assez improprement en français par « République ». Même si le mot anglais se veut traduire le mot latin « Res publica », la « chose publique », le mot anglais se veut plus englobant, car il signifie « bien-être commun ». Mais cet « English commonwealth » n’a pas empêché Oliver Cromwell d’instaurer une dictature durant les dernières années de la République.
La philosophie des Lumières
Le XVIIIe siècle voit arriver en Europe des philosophes qui vont mettre la liberté et l’émancipation an coeur de leur préoccupation. Les critiques sont nombreuses durant ce siècle en Europe, et certains philosophes vont critiquer le système social, politique et religieux de quelques pays d’Europe, et surtout la France. Tout y passe, ou presque : la manière dont fonctionnent le régime monarchique et le pouvoir du roi ; la manière dont les pouvoirs politique et religieux tiennent le peuple dans la soumission par l’ignorance et la superstition ;  la façon dont les deux grandes puissances coloniales, se disant avant tout comme détentrices de la morale et de la « vraie » religion, tiennent en esclavage et maltraitent les populations qu’ils asservissent venant d’Afrique, après avoir agi de même avec les amérindiens ; et, par-dessus tout, la bourgeoisie qui prend conscience qu’elle n’aura jamais le pouvoir politique qui se transmet parmi les nobles, de famille en famille. Le fonctionnement politique fondé sur la « caste » à cette époque était à son comble.
Mais il est une idée répandue qui est fausse, c’est de penser que Voltaire, Rousseau, Montesquieu, d’Holbach, Diderot, Condillac, Condorcet ou d’Alembert, pour ne citer que les plus connus de la philosophie française du siècle dit éclairée, que tous ces philosophes, donc, étaient révolutionnaires. Car même si la plupart étaient déjà morts au moment de la Révolution française de 1789, ils l’auraient sûrement désapprouvée, mais surtout, ils n’incitaient, à aucun moment dans leurs écrits, le peuple à se révolter, à renverser le pouvoir en place pour mettre à la place des hommes qui changeront la société de fond en comble. Pour la plupart, ils auraient sûrement choisi l’ordre au désordre qu’amènerait une révolution.
Les révolutions rouges… et noires
Plusieurs révolutions vont avoir lieu en Europe en 1848, mais celle qui va intéresser le philosophe, historien, économiste et sociologue allemand Karl Marx, c’est la Révolution française de 1848. A partir de là, la révolution est pensée, théorisée et surtout l’avènement du communisme ne peut se faire sans révolution. En fait, la révolution s’inscrit, pour Marx et son ami Friedrich Engels, dans la théorie générale de l’histoire ayant comme principe-moteur la lutte des classes, c’est-à-dire le renversement par la classe sociale dominée (prolétaires et paysans) de la classe sociale dominante détenant tous les moyens de production. Ce renversement n’est pas à faire dans l’optique des anciens opprimés qui deviennent les futurs oppresseurs, mais, d’après la philosophie marxiste de l’histoire, les « éternelles » contradictions entre les intérêts de la bourgeoisie capitaliste et ceux des classes ouvrière et paysanne ne pourront jamais se régler. Elles doivent être dépassées par la révolution qui doit préparer la société à devenir une société sans classe, et sans Etat, instrument par excellence de la bourgeoisie.
Il ne faut pas oublier non plus que les fascismes du XXe siècle se reconnaissent avoir une certaine accointance avec la révolution, et surtout le nom de la période fasciste qu’a connu la France de 1940 à 1944, lorsque le maréchal Pétain a fait de cette révolution l’idéologie officielle de Vichy (nom du régime pétainiste). Se met en place durant cette période une volonté de casser avec les principes républicains qui existaient. Pour soumettre les Français au « nouvel ordre » le régime n’hésitera pas à insister sur les valeurs catholiques traditionnelles, en premier lieu les notions de pêché et de repentir. Cette révolution va inspirer plus tard un parti bien connu actuellement en France, le Front National.
Révolutions arabes
Nous sommes toujours ici dans cette logique plus ou moins violente de renverser un régime par une frange du peuple, c’est pour cette raison que parmi les différents noms donnés à ces mouvements populaires égyptiens, tunisiens, libyens et syriens, on trouve révolte ou révolution. La distinction entre ces deux mots réside dans le fait que dans une révolte, on a l’idée d’une certaine spontanéité qui ne se base pas vraiment sur une vision d’ensemble et une théorie politique, sociale et économique. Alors que la révolution est un projet de société assez global qui veut entreprendre des changements dans presque tous les domaines de la vie, et qui se prépare à l’avance. D’ailleurs, à vouloir tout théoriser, il ne faut pas oublier que les révolutions qui ont été pensées durant ces deux derniers siècles ont débouché sur des États dictatoriaux ou totalitaires. On peut dire que le « programme » des révolutions marxistes se trouvait dans les écrits de Marx. Néanmoins, il ne faut peut-être pas allé trop vite en besogne, car chacun de ces pays arabes connaît encore des rebondissements, et une lecture non-marxiste de leur histoire est tout à fait envisageable, comme pour le reste des pays du globe d’ailleurs. Non marxiste voudrait dire ici qu’il n’y a pas de finalité ou d’objectif à l’histoire, elle ne suit aucune direction. Et les conflits, quels qu’ils soient, tendent à se régler pour laisser place à d’autres : tragique vision de l’histoire ! Vision qui faisait dire à Shakespeare : « L’histoire humaine, c’est un récit raconté par un idiot plein de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien. »

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