Pour un Forum social mauricien comme antidote à la résignation

De retour d’un dynamisant et convergent Forum social des peuples à Ottawa, je lis avec désarroi que le dégoût de la politique grandit chez les Mauricien(ne)s, en attente passive d’une putative alliance « démocracide », et qu’ils « ont peur du terme liberté ».
Ces « constats », médiatisés, émanent d’observateurs et d’acteurs aguerris au combat politique de base à Maurice, ce qui ne les rend que plus affligeants et inquiétants.
Le regard à Maurice reste figé sur un scrutin législatif à venir qui n’annonce rien de bon. Les attentes du peuple sont encarcannées dans le strict cadre d’une alliance PTr/MMM, avant ou après le vote, porteuse d’un projet de 2e République fondé sur un partage du pouvoir entre Président et Premier ministre.
Ce projet inclut une fausse « réforme électorale » qui écarte l’obligation faite aux éligibles de déclarer leur appartenance « communale » et un système proportionnel qui annule du coup cette « avancée » en renforçant le communalisme via la dictature des grands partis. Il laisse intact le financement occulte des partis; le secteur corporatif aura donc les mains libres pour continuer à privatiser l’État.
Forum social : pour l’activisme, contre la résignation
L’exercice du Forum social des peuples à Ottawa, le premier organisé au Canada depuis le Forum social mondial (FSM) fondateur de 2001 à Porto Alegre, au Brésil, lui, va dans le sens contraire à l’attente passive, résignée et dégoûtée des Mauriciens.
Il s’agit d’initiatives de centaines d’organisations de base de la société civile, de syndicats, de partis progressistes, pour dégager, après quatre jours de débats et d’échanges entre 6000 délégués, de larges consensus en vue d’un projet de société alternatif au modèle usé et bloqué de la démocratie représentative au service de l’économie néolibérale inégale, patriarcale, impérialiste, militariste et écocide.
L’altermondialisme, on le voit, a fait un long chemin en 13 ans, et il avance vers le prochain FSM prévu en Tunisie en 2015. Ayant durablement entravé l’Organisation mondiale du commerce (OMC), qui voulait consacrer les droits des entreprises au-dessus des droits humains, et fait capoter le projet de Zone de libre-échange des Amériques (ZLÉA), la dynamique FSM s’est régionalisée et renforcée.
L’Occident pris au piège, les autres progressent
Ces 13 années ont vu la consolidation du BRICS (Brésil/Russie/Inde/Chine/Afrique du Sud) avec la récente création d’une Banque de développement comme un FMI du Sud, et de l’OCS (Organisation de coopération de Shanghaï menée par la Chine, la Russie et le Kazakhstan). Le MNA (Mouvement des Non alignés) connaît une relance sous la présidence de l’Iran. Et surtout, Russie et Chine font depuis 2011 bloc contre l’OTAN au Conseil de sécurité de l’ONU.
L’Occident, incluant le Canada, reste l’otage d’un modèle économique et industriel fondé sur le pillage, l’inégalité, la guerre, l’extraction de ressources souterraines et sous-marines, et la dévastation de la nature – et du climat.
Il est aussi l’otage d’un modèle d’Apartheid interne et mondial que la guerre génocidaire d’Israël contre les Palestiniens illustre de la façon la plus tragique aux yeux d’un monde projeté dans la barbarie « post-moderne » par l’Empire US/OTAN/OCDE et ses sbires comme Israël, la Saoudie wahhabite et l’Égypte putschiste du général Sisi.
L’Eurasie et l’Amérique latine en « déconnexion »
Avec l’aide de milices interposées, pas toutes « islamistes », l’Empire a mis le Moyen-Orient et l’Afrique à feu et à sang, tout en s’enfermant dans une mentalité d’assiégé xénophobe qui se dévore de l’intérieur comme en font foi la guerre que mène une police militarisée à Ferguson, dans le Missouri, et la fatale dérive droitière du PS en France.
Parallèlement, l’Amérique latine et l’Eurasie continuent de se déconnecter du vieux système mondial, de se redresser en coopérant et de jeter les bases d’un Nouvel Ordre mondial multipolaire. L’édification d’alternatives basées sur la justice économique et sociale, et sur la démocratie consultative ou participative, connaît ses plus fortes avancées en Amérique latine – où le projet d’un revenu de base garanti pour tout/e citoyen/ne s’est imposé dans le débat public.
C’est dans cet esprit novateur, rassembleur, humaniste que s’est tenu le Forum social des peuples à Ottawa. La poussée ultra-droitière du gouvernement conservateur de Stephen Harper, sabrant dans les services, multipliant les accords de libre-échange, féru de privatisation et de militarisation, et champion du sionisme et du « droit d’Israël à se défendre » a certes fouetté l’ardeur des altermondialistes canadiens.
Au peuple d’être désormais son propre sauveur
Mais le principe de « placer l’humain avant les profits »  préoccupe de plus en plus de Canadien(ne)s – comme condition essentielle de survie et de sauvegarde de la planète, pas comme vulgaire slogan démagogique sortant de la bouche de politiciens. Cela englobe le combat contre le racisme et le sexisme, la reconnaissance des droits pleins et entiers des Autochtones des Premières nations, génocidés mais dont les valeurs traditionnelles inspirent l’approche holistique et respectueuse que requiert un monde, passé en mode de « déficit environnemental » le 20 août dernier!
Dans ce contexte, les Mauricien(ne)s qui attendent toujours le parti politique miraculeux ou le leader charismatique font fausse route. C’est au peuple d’être lui-même son propre sauveur.
Les groupes militants foisonnent à Maurice, dans presque tous les domaines qui ont fait l’objet des centaines d’ateliers au FSP d’Ottawa. En ces temps préélectoraux, les partis politiques aussi poussent comme des champignons. Mais chacun est dans son coin, campé sur un sectarisme politique qui est le reflet de nos isolements communalistes.
Il est plus que temps de réunir tout ce monde, féministes, écologistes, partisans de l’économie solidaire, champions d’une démocratie de base effective, donc locale, pour un Forum social mauricien. C’est là qu’il faudra débattre et négocier les compromis aptes à étayer un projet de société derrière lequel le peuple tout entier peut se mobiliser pour un vrai changement – au lieu de se résigner aux caprices d’élites politiques et autres qui ne pensent qu’à leur « boutte » ! 

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