France : à Rouen, des habitants habitués à vivre au milieu « d’une poudrière »

Dans la ville de Rouen (nord-ouest de la France), un des berceaux de l’industrie chimique française qui compte de nombreux sites classés dangereux, les habitants ont le sentiment d’être entourés « d’une poudrière », une situation qu’ils connaissent mais qui a été ravivée par l’incendie de l’usine chimique Lubrizol.

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Une semaine après cet incendie qui a détruit plus de 5.000 tonnes de produits chimiques dans cette usine, les produits partis en fumée sont désormais connus, mais les inquiétudes et les questions sur leur impact demeurent.

Pour comprendre Rouen en un éclair, il est nécessaire de monter en haut du mont Saint-Aignan: on découvre une ville en forme de cuvette, qui s’étire le long d’un méandre de la Seine, avec sur la rive droite une ville médiévale, et sur la rive gauche une succession impressionnante d’usines, dont Lubrizol ou l’ex-Petroplus au loin. Avec une proximité entre les zones industrielles et les habitations qui frappent le regard.

Guillaume Blavette, représentant de l’association France Nature Environnement, détaille ce panorama: « nous avons encore 14 +sites Seveso seuil haut+ (…), des stockages d’hydrocarbures, des installations et des entreposages de produits dangereux… », égrène-t-il.

En France, le classement en Seveso signale la dangerosité d’un site et implique qu’il bénéficie d’une surveillance particulière.

Sans oublier la présence de deux centrales nucléaires à environ 80 km. « Effectivement, ici, on a une concentration de risques », dit-il sur un ton grave.

L’histoire et la richesse de Rouen sont indissociables de l’industrie chimique: au Moyen-Age, la draperie a été un des moteurs économiques de la ville et ce grand port fluvial se spécialisa ensuite dans la teinte des draps, notamment à travers des relations avec le lointain Brésil pour rechercher des colorants.

Et dans une tribune au journal Le Monde, l’historien Thomas Le Roux rappelle qu’eut lieu en 1770 la première grande pollution industrielle chimique en France, à 500 mètres du site actuel de Lubrizol… « Les fumées corrosives d’une fabrique d’acide sulfurique détruisirent la végétation alentour et on les soupçonna de menacer la santé publique », explique ce chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS).

– « Il faut vivre avec » –

Aussi, quand on interroge les habitants de l’agglomération sur l’accident de Lubrizol, beaucoup imaginaient que cela pouvait arriver, d’autant que plusieurs incidents avaient déjà eu lieu et que, lors de la signature d’un bail locatif ou de l’achat d’une maison, des documents préviennent du risque industriel.

Il n’a pas fallu le spectaculaire incendie il y a une semaine pour que l’air de Rouen empeste, comme l’explique Dominique Lefaix: « Il n’y a pas besoin d’avoir une catastrophe pour qu’il y ait les odeurs. Les odeurs elles sont là! ».

« On est entourés un peu d’une poudrière en fin de compte. Après, il faut vivre avec », estime ce retraité.

Pour beaucoup d’habitants de Rouen, cet incendie aux conséquences sanitaires et environnementales encore incertaines est une brutale piqûre de rappel des risques engendrées par la présence d’usines Seveso, alors que la ville tente de s’offrir une cure de jouvence: un ambitieux éco-quartier doit sortir de terre, devant accueillir 15.000 personnes à terme, au pied du pont Flaubert, à proximité de l’usine Lubrizol…

Selon Nicolas Mayer-Rossignol, ancien président de la région de Haute-Normandie et conseiller municipal socialiste, passé l’urgence de la situation, il conviendra de réfléchir au long terme et de mener un « travail de développement (…) et de transition écologique de la vallée de la Seine ». Dans un département de Seine-Maritime où 47 établissements Seveso seuil haut et 28 seuil bas sont recensés par l’inspection des installations classées.

A Rouen, « il y a des stocks pétroliers, l’équivalent d’un AZF ici qui fait de l’ammoniac pour des fins agricoles comme AZF Toulouse à l’époque », rappelle-t-il, soulignant la difficulté de la « coexistence entre des aires d’urbanisation et économiques ». L’explosion de produits chimiques à l’usine AZF de Toulouse (sud-ouest) en 2001 avait fait 31 morts et plus de 2.500 blessés.

Interrogés par l’AFP, de nombreux habitants de Rouen confient être toujours sous le choc et rongés par l’inquiétude. « Les informations sont contradictoires, on nous dit que c’est une catastrophe écologique mais qu’il ne faut pas s’inquiéter. Ça fait peur », a ainsi témoigné Agnès Poupel, 65 ans, présente à la manifestation de mardi soir qui a réuni près de 2.000 personnes.

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