Franceau Grandcourt (nouveau Minority Leader de Rodrigues) :« L’UPR va faire de la politique autrement »

Le paysage politique rodriguais a connu un important changement ces derniers jours. Cinq élus du Mouvement Rodriguais à l’Assemblée régionale ont démissionné de leur parti. Mis en minorité au sein du MR, Nicolas Von Mally s’est vu contraint d’abandonner le poste de Minority Leader à Franceau Grandcourt. Avec les quatre autres démissionnaires, le nouveau Minority Leader a lancé, dimanche dernier, l’Union du Peuple de Rodrigues, un nouveau parti politique qui annonce vouloir « faire de la politique autrement. » Dans cette interview réalisée mercredi dernier à Rodrigues, Franceau Grancourt explique les raisons qui ont poussé les démissionnaires à quitter le MR et les objectifs du nouveau parti politique.

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Après avoir battu Serge Clair aux élections de 2002, vous venez de mettre Nicolas Von Mally en minorité au MR. À part battre ou mettre en minorité les leaders, quel est votre parcours politique, Franceau Grandcourt ?

Comme tous les Rodriguais de ma génération, j’ai fait partie de l’OPR, plus par tradition familiale que par conviction politique. Puis, en 2000, j’ai décidé de rejoindre le Mouvement Rodriguais pour combattre la manière de faire, les abus et injustices de l’OPR. J’ai été accusé de tous les noms pour mon choix politique, j’ai subi des pressions parce que l’autonomie avait aussi contribué à diviser le pays en deux blocs politiques : ceux qui sont pour l’OPR et les autres. Aux élections de 2002, le MR m’a offert un ticket pour poser contre Serge Clair, qui m’avait traité de petit c… . Nous étions des jeunes lancés contre la puissante machine de l’OPR. J’étais donné perdant d’avance et de très loin, mais j’ai battu Serge Clair à ces élections.

 Et on vous a surnommé le vainqueur du taureau…

Je n’aime pas beaucoup cette expression, qui témoigne du climat de division politique qui règne dans le pays. Après cette victoire, le MR a fait son travail dans l’opposition jusqu’en 2006 où deux élus de l’OPR ont rejoint le MR. Ce qui nous a permis de former le gouvernement après les élections avec Johnson Roussety comme chef commissaire, qui a démissionné du MR par la suite.

Finalement, la politique rodriguaise est une histoire de scissions et de trasfugisme…

Je pourrais vous dire que nous avons appris notre leçon de la politique pratiquée à Maurice ! J’ai été numéro 2 du parti et commissaire pendant quelque temps, mais l’ambiance avait déjà commencé à se dégrader au MR. Au pouvoir, on s’éloignait des principes de notre programme. Quand Nicolas Von Mally a été nommé ministre de Rodrigues, il ne s’est pas beaucoup occupé de notre île et il a démissionné pour des raisons personnelles, pas dans l’intérêt de Rodrigues. Il a été ministre de la Pêche et n’a pas fait grand-chose dans ce domaine. Il a eu plusieurs occasions de rendre plus solide le MR de prendre les bonnes décisions et il ne l’a pas fait et le parti a perdu des partisans au fur et à mesure.

Mais vous étiez dans les instances dirigeantes du MR, numéro 2 et vous avez accepté les mauvaises décisions du leader sans rien faire ? Ce n’est pas un peu facile de le dénoncer aujourd’hui ?

En interne, avec d’autres camarades, je lui ai dit de ne pas prendre certaines décisions. Je lui ai dit, en particulier, de ne pas annoncer une motion de blâme contre Serge Clair, quand ce dernier a été cité dans le rapport Lam Shang Leen, pour la retirer ensuite. Cette motion de blâme annoncée puis retirée contre Serge Clair, les Rodriguais ne l’ont pas pardonnée à Nicolas Von Mally et ils l’ont sanctionné, avec le MR, aux élections régionales suivantes et on s’est retrouvé dans l’opposition. Après les dernières élections générales, que Von Mally a également perdues, nous lui avons demandé de prendre du recul avant de pouvoir mieux revenir après. Après un travail sérieux d’explication et de mobilisation pour récupérer notre électorat perdu. Il semblait être d’accord avec cette proposition puis a changé d’avis et a continué comme avant. Il a commencé à boycotter certains membres élus du MR, il les a attaqués personnellement, parfois en dessous de le ceinture. En dépit du fait que la devise du MR est fraternité, cet état d’esprit n’existait plus dans le parti. Tout cela ne pouvait que conduire à une scission du parti, que j’ai tout fait pour éviter. Face à cette situation malsaine, à ce manque de fraternité, nous avons créé un petit groupe de 11 des 17 membres de l’exécutif du MR. Nous avons invité Von Mally ànos réunions pour dialoguer, et nous l’avons attendu jusqu’à la dernière minute, en vain. Les idéaux et les principes n’étaient plus respectés et le MR allait vers sa disparition de l’échiquier politique avec Von Mally et ses stratégies catastrophiques. Nous avons alors pris notre décision et avons écrit au secrétariat de l’assemblée régionale pour l’informer que allions constituer un nouveau groupe à l’Assemblée régionale, groupe dont on m’a donné le leadership.

Vous avez accepté de prendre ce poste de leader d’un groupe de dissidents MR facilement ?

Non, j’ai beaucoup réfléchi avant, parce qu’on ne quitte pas facilement une formation politique, dont on a fait partie au cours des 20 dernières années ! Mais il fallait éviter le suicide politique du MR. Quand nous avons tenu notre première conférence de presse après avoir quitté le MR à l’Assemblée régionale, l’ambiance était lourde, nous étions tristes, mais c’était la seule solution. Je dois faire ressortir que même à ce stade, nous espérions encore que les choses pourraient s’arranger et que Nicolas Von Mally allait faire un geste dans l’intérêt du parti, que nous l’aurions réintégré sans problèmes.

Vous pensez que les Rodriguais auraient accepté cette cassure qui finirait par une grande réconciliation, comme dans un feuilleton télévisé ?

Ils l’auraient bien pris puisque nous n’avions pas encore démissionné du MR, nous avions juste changé de place à l’Assemblée régionale. Le retour était encore faisable et un arrangement encore possible. Puis, nous avons eu droit à une série de critiques et d’attaques et avons compris qu’il n’était plus possible de faire un retour en arrière. Comme nous avions la majorité dans la minorité, nous avons demandé, en toute humilité, le poste de Minority Leader qui m’est revenu parce que je suis le plus ancien et que j’ai plus d’expérience de l’Assemblée régionale. Dimanche dernier, nous avons formé notre nouveau parti, l’Union du Peuple de Rodrigues, dont notre devise est diversité et égalité dans l’unité. Diversité parce que nous devons savoir accepter la différence de l’autre et respecter l’égalité pour arriver à l’unité.

Mais il me semble que vous aussi vous avez refusé la différence et nié l’égalité de vos adversaires quand vous étiez le numéro deux du MR et commissaire, et que vous avez également mené des politiques pour détruire vos adversaires…

C’est vrai, je l’ai fait dans le passé. En tant que commissaire, je m’occupais des dossiers en fonction de l’appartenance politique du demandeur. C’était la méthode politique de l’époque. Je l’ai fait, je le regrette et avec mes camarades de l’UPR, nous ne voulons pas continuer dans cette voie. La politique nous sommes les bons, les anges, et nos adversaires sont les méchants et les démons pratiquée par tous a tellement fait de mal à Rodrigues. Des membres de la même famille ne peuvent plus se voir, se parler. Nous ne pouvons pas faire avancer un pays divisé en deux blocs antagonistes alors que nous ne sommes que 42 000 Rodriguais ! Il faut trouver une autre façon de faire la politique en fédérant les gens au lieu de les diviser. C’est notre objectif. Nous voulons être à l’origine d’une nouvelle ère politique à Rodrigues en mettant fin à la division. C’est le seul moyen de réunir enfin le peuple de Rodrigues, qui en a assez de cette politique des protégés contre les persécutés et l’a montré en s’éloignant des partis traditionnels. Nous allons faire des réunions pour présenter aux Rodriguais cette nouvelle façon de faire de la politique et leur demander de nous rejoindre.

UPR et OPR, c’est presque la même chose. On pourrait croire que vous vous voulez recruter non seulement du côté du MR mais également du côté du parti de Serge Clair…

Pas du tout. Nous nous adressons à l’ensemble des Rodriguais pour dire qu’ils ont tous leur place dans l’UPR, un parti qui va se mettre autant à l’écoute de la base que de ceux qui sont dans la direction. Nous n’allons pas imposer à la base le point de vue de la direction puisque nous allons fonctionner dans l’unité et l’égalité.

C’est ce que tous les nouveaux partis disent au départ, mais après quelque temps, ils font exactement le contraire. Il semble que c’est exactement ce que Von Mally disait quand il a quitté l’OPR pour créer le MR…

C’est vrai. Mais nous n’allons pas seulement le dire, mais l’inscrire dans notre constitution. Nous allons, par exemple, inscrire que le leader ne pourra pas faire plus de deux mandats, pour ne pas créer des chefs à vie.

Faisons un peu de mathématique. À l’Assemblée régionale, le MR a deux sièges, l’UPR cinq et l’OPR sept. Il suffirait que vous puissiez débaucher cinq élus OPR — ceux que l’on dit insatisfaits — pour avoir la majorité. Cette éventualité fait partie de votre stratégie ?

Toutes les options sont ouvertes et si cette éventualité se réalise, ce ne serait pas une première dans l’histoire politique de Rodrigues.

Mais la politique étant aussi faite de retournements en tous genres, l’inverse aussi pourrait se produire : que les cinq élus de l’UPR rejoignent l’OPR à l’Assemblée régionale…

La réponse est non. C’est vrai que toutes les options sont ouvertes, mais nous n’avons pas quitté le MR pour aller soutenir l’OPR, nous visons plus d’autres personnes, d’autres partis.

Johnson Roussety et le PMSD pour ne pas les nommer ?

Écoutez, nous travaillons pour l’unification de l’opposition de Rodrigues

Pour faire tomber l’OPR et son leader Serge Clair ?

Il est de notoriété publique que l’OPR va s’écrouler après Serge Clair et cela ne nous intéresse pas. C’est vrai que nous discutons avec Johnson Roussety et le PMSD.

S’associer avec le PMSD, est-ce que cela ne pose pas un problème à Rodrigues eu égard à l’histoire politique et au rôle joué par le parti du regretté Gaëtan Duval dans l’île au moment de l’indépendance ?

Cela ne posera pas de problème, dans la mesure où nous avons demandé au PMSD de changer de nom. C’est vrai que dans la politique rodriguaise le nom PMSD est un gros désavantage et représente beaucoup de voix contre. Si les membres du PSMD veulent se joindre à nous pour mener le combat pour l’instauration d’une nouvelle politique, ils devront changer le nom de leur parti ou adhérer à l’UPR. Nous allons mettre fin à la politique qui consiste à ratifier automatiquement tout ce que Port-Louis décide pour Rodrigues.

Vous êtes en train de dire que les représentants de Rodrigues à l’Assemblée régionale et au Parlement ne font pas bien leur travail ?

Il faut aussi revoir la manière de faire entendre la voix de Rodrigues à Maurice. Pour le moment, ceux qui la portent ne parlent pas suffisamment fort ou ne savent pas se faire entendre. Ils se contentent d’approuver toutes les décisions prises à Port Louis. C’est ça l’autonomie ? Dans le cadre de la pandémie de coronavirus, l’Assemblée régionale vote pour l’arrêt des vols directs d’Air Austral à Rodrigues et cette motion n’est pas prise en considération par le gouvernement central et le chef commissaire ne dit rien et les deux députés nationaux non plus. C’est pour cette raison que nous sommes allés manifester devant l’Assemblée régionale. Il y a des sujets qui concernent le pays sur lesquels on ne peut pas garder le silence ! Se taire dans certaines conditions est   une complicité ou une lâcheté. Nous n’étions que sept, mais il fallait le faire pour marquer le coup, briser le silence, faire entendre notre voix. C’est ce que nous ferons dans le débat public aussi souvent qu’il le faudra pour que Port-Louis se rende compte que les élus de Rodrigues ne sont pas des yes men, mais des responsables qui savent prendre leurs responsabilités et faire entendre la voix des Rodriguais.

Vous avez la dent dure contre les deux députés de Rodrigues au Parlement de la République…

Parce qu’ils gardent le silence quand ils devraient, au contraire, prendre la parole. Autres exemples : on ne les a pas entendus protester quand le ministre Soodhun avait insulté une catégorie de Mauriciennes dont des Rodriguaises. L’internet à haut débit a été lancé il y a un an, mais pas encore distribué dans l’île et ils ne posent pas de questions. On ne les a pas davantage entendus protester, le Chef Commissaire et les deux députés, quand sir Anerood Jugnauth, ministre de Rodrigues, évoquant le problème de l’eau dans l’île, a demandé s’il devait venir « baigner les Rodriguais aussi » ! Ces silences, ces non-réactions sont une manière d’encourager les attaques contre Rodrigues et les Rodriguais.

Pourquoi est-ce que les Rodriguais feraient confiance à l’UPR, un parti composé de transfuges d’un autre parti traditionnel qui ont pratiqué ce qu’ils dénoncent aujourd’hui ?

Les Rodriguais n’en peuvent plus de cette politique de deux blocs, avec les persécutions politiques, les lois qui sont plus dans l’intérêt de petits groupes que de l’ensemble de la population. Des décisions prises juste pour détruire les projets imaginés par leurs prédécesseurs, mêmes quand ils sont dans l’intérêt national. Je vous donne un exemple : quand le MR était au pouvoir, il a fait construire un abattoir géré par une coopérative. L’OPR est en train d’offrir la gestion de cet abattoir à une compagnie privée ! Il faut privilégier la permanence de l’état et arrêter de détruire ou de détourner juste pour effacer les traces de ses prédécesseurs. Nous voulons faire une unification de l’opposition en réunissant toutes les bonnes volontés, d’où qu’elles viennent, dont les jeunes qui veulent travailler pour l’avancement de Rodrigues. Aussi longtemps qu’ils sont d’accord avec ce que nous proposons et veulent en finir avec la politique de division de Rodrigues entre deux blocs antagonistes. C’est cette politique-là, pratiquée aussi bien par l’OPR que le MR, qui a divisé les Rodriguais et contribué à ralentir le développement du pays, une attitude que, quelque part, l’autonomie a encouragée. Rodrigues est trop petite pour entrer dans ces stratégies de divisions. Notre symbole est une colombe qui représente la paix avec ses rayons sur Rodrigues.

Est-ce qu’il n’y a pas une dimension religieuse dans la colombe avec des rayons ?

Mais bien sûr, cette image représente aussi le St-Esprit. C’est un symbole qui dit aussi que nous avons besoin de bon sens et de la bénédiction divine.

C’est Serge Clair qui avait, jusqu’à présent, disons, le monopole d’un trade-mark politique avec une dimension religieuse…

Vous savez que dans la vie comme dans la politique rien nit personne n’est éternel. Je crois que face à la colombe de la paix de l’UPR, la bougie de Serge Clair sera bien faible.

On dirait que vous allez, une fois encore, prendre le taureau par les cornes ! Que souhaitez-vous dire pour terminer votre première interview en tant que leader de la toute nouvelle UPR ?

Nous avons commencé le travail de mobilisation pour défendre coûte que coûte les intérêts de Rodrigues à travers l’autonomie. Elle doit franchir une nouvelle étape après 18 ans. Et puis, il y a des choses qu’il faut réorganiser à Rodrigues. Il faut par exemple combattre la démotivation des fonctionnaires. Il faut dire qu’au niveau de la fonction publique, peu ont bénéficié de l’autonomie. Ceux qui en ont tiré profit ou avantage sont le chef commissaire, les commissaires, les députés et les très hauts fonctionnaires, dont le Chief Island Commissioner. Les autres fonctionnaires ont subi la pression qui vient de ceux d’en haut et se sont contentés d’exécuter les décisions au lieu de participer à leur mise en place. Face à cette situation, ils sont démotivés, ne prennent pas part au débat, ne partagent pas leurs idées, leurs points de vue et leur expérience qui sont essentiels au bon fonctionnement de la machine administrative. Ce sont ces fonctionnaires qui connaissent le mieux Rodrigues et ses problèmes, les villages et leurs caractéristiques et peuvent proposer des solutions simples, et souvent plus efficaces que les avis des experts et des consultants. J’aimerais terminer en disant que Rodrigues est un pays où il fait bon vivre. Mais ce n’est pas suffisant . Nous voulons aussi que les Rodriguais vivent heureux dans leur pays. Nous avons besoin de pouvoir non seulement rêver notre avenir, mais aussi le construire. C’est l’objectif de l’UPR.

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