FRANÇOIS JEANNEAU— LE JAZZ : Libérer l’instant présent

François Jeanneau est un monument du jazz français. Ayant vécu à La Réunion de 1987 à 1991, il aura bien connu Ernest Wiehe. Et c’est tout naturellement qu’il sera à la clôture du festival de jazz, reprenant le quartet d’Ernest. Rencontre avec ce jazzman globe-trotter, qui nous définit cette espèce d’audace de l’instant qui doit rendre chaque note unique.
Avez-vous toujours besoin de travailler l’instrument ? Combien d’heures par jour ? Quelle déformation professionnelle de toujours vouloir quantifier… Et François Jeanneau n’a besoin que d’une humble esquisse, avec un léger sourire taquin, pour amorcer la question. Et de citer un autre maître : « Miles Davis disait souvent qu’il pose sa trompette à côté de lui, à portée de main, mais qu’il joue dans sa tête ». Il tient là la plus belle des explications. Alors, on comprend. L’oeil vif, la zygomatique facile, l’humour, la décontraction déstabilisante. Cela doit être cela. Le maître joue dans sa tête…
Et de faire jouer l’entretien. De donner envie de dire : quand on est musicien, on ne joue pas que son saxo. On joue de l’espace, des gens alentours, avec humour, rire nuancé, attaques, retenue, et de laisser entrevoir le génie. Génial de générosité.
Et comment en arrive-t-on là ? Il semble que la musique, et surtout le jazz, désigne ses élus. On arrive, un peu par hasard (coup du destin ?) à un concert qui remet tout en question, ou l’on se voit offrir un vinyle, un CD. L’histoire Jeanneau passe par ce type de déclic. Il aura quand même baigné dans la musique dès son plus son âge. Sa mère était pianiste. Mais il se souvient de 1949. « J’avais 14 ans quand j’ai assisté à mon premier concert de jazz. C’était Charlie Parker… »
La suite, on ne peut que l’imaginer. Des anecdotes, il en a sûrement à décliner sur des portées de notes et d’envolées lyriques. « La vie de musicien est formidable, dit-il simplement, on ne sait jamais trop ce qu’on fait. C’est une vie formidable ».
En constante improvisation, donc ? Justement, un jour qu’il devait répéter avec un pianiste polonais, pas de signe de vie. À la deuxième répétition, toujours absent. Il n’y aura pas de troisième répétition. « Je me dis : pas grave. Je monte et ça ira. Le mec se pointe à cinq minutes du concert. On se sert la main avant de monter. On ne s’était pas parlé avant de jouer. C’est ce qu’il y a de bon avec le jazz ». Il évoquera ce côté universel. Ce côté « je ne me prends pas au sérieux ».
Ce jazz qu’il a mûri le long des années, il l’évoque comme « une langue maternelle ». Mais quel est le plus important ? Le plaisir. « D’abord, il y a le plaisir physique de jouer, le plaisir personnel, puis ce plaisir avec les autres, pour et avec l’audience ». Et les mots que l’on utilise ? C’est le son. « L’essentiel : le son, l’expression de soi-même. En deux notes, se reconnaître tout de suite. Il faut trouver son propre son. »
Puis, « il y a une chose : le quartet de Coltrane et l’énergie qu’ils avaient – une énergie formidable, une sorte de leçon. Il faut mettre du poids dans ce qu’on joue. Ne pas donner le choix, ne pas s’imaginer que l’on peut jouer autre chose que ce qu’on est en train de jouer ». Ne pas se fourvoyer. L’intuition : il faut respecter cette note qui vient s’imposer à l’inconscient. On ne fait pas la musique. Mais plus : c’est la musique qui dit quoi exprimer d’elle, du moment, de l’élan transmis par le public, du souffle du quartet, du quintet, de l’orchestre. Dans cet espace que l’on exploite, ne pas décider de ce qu’on fera de l’instant. Pourquoi cette note, pas l’autre ? C’est l’audace du moment.
Après tant d’années, n’y a-t-il pas d’angoisse ? « Il faut un peu d’adrénaline, on n’entre pas sur scène comme on entre dans sa salle de bain. Il y a de l’appréhension par rapport au son, à l’équipement… Mais il ne faut pas trop d’angoisse, il faut du suspense ».
Comment considérer le silence quand on est musicien à ce niveau ? Y aurait-il syndrome de la page blanche ? « Le silence fait partie de la musique. Comme la lune et sa face cachée, l’une ne va pas sans l’autre ».
Né le 15 juin 1935 à Paris, le « compositeur, arrangeur, saxophoniste, François Jeanneau est non seulement l’un des pionniers de l’acclimatation du free jazz en France mais également une figure centrale du jazz dans l’Hexagone, par ses participations à des groupes importants et par ses activités de pédagogue », lit-on sur le site médiathèque.cite-musique.fr. Un talent de pédagogue qu’il aura mis au profit des étudiants du Conservatoire de Musique François Mitterrand avec une masterclass quelque peu spéciale. Du sound painting pour ces dames et messieurs, soit une technique de composition en temps réel en utilisant des signes.
François Jeanneau reprendra le quartet historique d’Ernest Wiehe – et il ne manque pas d’affirmer son bonheur de participer au Festival et d’ainsi rendre hommage à son ami – autour d’un répertoire de John Coltrane et des compositions du Mauricien. Au saxophone : François Jeanneau ; à la basse : Linley Marthe ; au clavier : Belingo Faro ; à la batterie : Christophe Bertin. Rendez-vous à l’hôtel Tamarin pour une soirée de clôture qui promet un jazz investi. En première partie : le Clifford Boncoeur Trio. Et une jam session avec tous les artistes de l’EWJF.

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