FRANK O’SHEA : Un drôle de missionnaire

Selon une journaliste australienne il serait un mélange de « Crocodile Dundee et de Mère Teresa. » Il aurait d’une part la force du bushman australien qui affronte les crocodiles à main nues et de l’autre, la compassion de la religieuse de Macédoine qui consacra sa vie aux plus démunis de Calcutta. Lui, c’est Frank O’Shea, un frère australien des Ecoles Chrétiennes au parcours atypique, comme le révèle son portrait, réalisé lors de son récent passage à Maurice.
Frank O’Shea est né en 1953 dans un bled perdu de l’Australie à 400 kilomètres de Melbourne. Ses parents élevaient « du bétail et des enfants puisqu’ils en ont fait treize avec moi au milieu ». Il n’aime pas l’école des Frères Chrétiens — les Lasalliens — où il fait ses études secondaires à tel point que quand il décide de la quitter avant la Form IV, les frères non seulement acceptent mais lui prédisent qu’il n’est pas fait pour étudier mais pour être fermier. Ses parents ne l’entendent pas de la même oreille et l’envoient dans une boarding school où il passe sa Form V. Il revient ensuite à la ferme où il travaille pendant un an avant de décider de devenir missionnaire chez les Frères des Ecoles Chrétiennes. Il enseigne, pendant trois ans, découvre que malgré ce que certains frères lui avaient dit, il est doué pour les études, va à l’université ou il fait une degré sur l’éducation physique. A la suite de quoi, il travaille avec des adolescents en difficultés scolaires et sociales qu’il aide à sortir de la délinquance et de la drogue à travers le sport. En 1983, sa congrégation l’envoie au royaume du Tonga, un archipel de 140 îles dont 30 sont habitées par une population de 100 000 personnes. Avec deux autres frères australiens, il a pour mission de bâtir une école. « C’était un immense terrain de jeu à ciel ouvert où la pollution n’avait pas encore fait des ravages. J’ai appris la langue du pays, à planter la vanielle, le yam, à pêcher, à plonger et à vivre avec les habitants du pays. » Il apprend surtout aux enfants à tirer partie de leur environnement, monte une école, mais aussi des petits business pour améliorer leurs conditions de vie. « Nous avons commencé par louer des bicyclettes aux touristes qui faisaient le tour des îles en yacht, puis nous avons acheté des bateaux pour les promener, pour aller pêcher le marlin. » Frank devient même membre de l’équipe nationale de cricket du Tonga et participe aux jeux du Pacifique avant de devenir le « coach » personnel du roi à qui il fait perdre une centaine de kilos pour pouvoir prendre part aux régates en pirogues polynésiennes. Mais quand est-ce que dans ce programme des festivités le frère Frank trouvait le temps de répandre la parole de Dieu ? « Je ne suis pas un missionnaire qui ne fait que parler de la parole de Dieu. Je fais partie de ceux qui font ce que Dieu nous demande : aider les autres à organiser leur vie, à mieux vivre en partageant avec les autres. » Après dix ans passés dans le paradis à ciel ouvert, Frank décide de s’en aller. « Je commençais à me sentir trop bien dans ce petit paradis. Je suis parti avant de franchir le cap qui m’aurait fait rester pour toujours. Je suis parti avant de croire que j’étais indispensable, que le fait de connaître le roi signifiait que j’avais de l’importance, qu’on devait me respecter and so on. »
Après ce séjour au paradis, Frank retourne à Melbourne en 1994 après un séjour d’études en Irlande, le pays d’origine de ses parents. « J’ai suivi un cours sur le développement humain, mais j’ai surtout compris que je n’étais pas fait pour vivre dans les pays développés où vous êtes l’ami de tout le monde, mais n’avez aucun vrai ami. J’ai dit à mes supérieurs que je voulais aller travailler en Afrique, ils m’ont envoyé en Tanzanie pour ouvrir une école secondaire. » Au milieu des années 90, la Tanzanie est un pays qui se remet de l’expérience socialiste à l’africaine que lui avait imposée Julius Nyerere et qui selon Frank était une bonne idée, au départ. Un missionnaire catholique reconnaître qu’une politique inspirée du communisme pouvait être bonne, décidément Frank n’est pas un Frère comme les autres ! « Au départ, le socialisme prône le partage des biens entre les hommes et c’est tout à fait juste. Le problème réside dans l’application de cette théorie qui a été désastreuse, parce que l’être humain a perdu le sens du partage qu’il a remplacé par l’individualisme et l’accumulation des biens. » Comme au Tonga Frank apprend la langue locale — le swahili — à vivre comme les Maasaï dans le district où il a été envoyé. Avec l’aide de deux autres frères australiens et des volontaires, il va créer une école secondaire pour les enfants de la région dans un pays où, malgré le socialisme, seulement 25% de la population avaient fait des études secondaires. « J’ai appris à connaître le monde de ceux qu’on appelle « les donateurs » qui financent des projets humanitaires à travers le monde. J’ai appris à présenter des projets, à convaincre les donateurs, à susciter le volontariat, mais plus important que tout : j’ai appris qu’un projet ne peut réussir qu’avec la participation de ceux qui doivent en profiter, qui doivent se sentir impliqués. C’est grâce à cette manière de faire que nous avons pu convaincre les Maasaï d’envoyer leurs filles au collège, ce qui ne s’était jamais fait avant. Quand j’ai quitté le Malawi plus tard, l’école avait 1400 élèves, la moitié d’entre eux en pension. » C’est pendant son séjour de treize ans au Malawi que Frank découvre l’île Maurice. « Après neuf ans, quand les choses ont commencé à bien marcher, j’ai commencé à me dire que je n’allais pas rester en Tanzanie toute ma vie, qu’il était temps d’aller ailleurs. Mes supérieurs ont refusé en me disant, avec raison, qu’il fallait continuer à développer l’école secondaire en ouvrant des classes de A Level. Pour m’occuper, je me suis mis à étudier par correspondance avec une université australienne pour obtenir un master en education leadership. Cette université catholique avait des courses pratiques au BEC, à Maurice. Je suis venu ici plusieurs fois et je me suis fait des amis parmi les maîtres et les maîtresses d’écoles du pays qui suivaient les mêmes cours. Maurice est devenue un peu ma seconde maison sur le trajet Afrique / Australie. »
« Après mes treize ans au Malawi, j’ai fait une retraite de silence d’un mois en Ecosse pour réfléchir sur mon futur et on m’a proposé d’aller au Soudan où j’avais été en 1999 pour donner un coup de main dans une école. J’y suis retourné en 2006 pour lancer une école dans une petite ville située à quelques kilomètres de la frontière qui sépare le Congo de l’Ouganda. J’ai appris la langue de la région et essayé de créer un centre mobile pour distribuer des livres dans les écoles de la forêt. J’ai rencontré le directeur de l’éducation et lui ai fait part de mon idée, je me suis rendu compte que cela ne l’intéressait pas. Les autorités n’étaient pas intéressées à aider les écoles, à aider les enfants de leur pays à apprendre. Je me suis rapidement rendu compte qu’on ne voulait pas de moi au Sud Soudan. Au Tonga et au Malawi, j’avais travaillé en collaboration avec les autorités et les habitants. Au Soudan, ce n’était pas possible, après vingt ans de guerre ils s’étaient habitués à s’asseoir et attendre l’aide des Nations unies. Vingt mois après, je suis parti. Après ce que j’ai considéré comme étant un échec personnel au Soudan, je m’étais dit que j’allais quitter l’Afrique. Et puis, en 2010, lors de mon escale à Nairobi en route pour l’Australie, j’ai rencontré un supérieur qui m’a dit avant de rentrer : ‘allez faire un tour au bidonville de Nairobi’. » J’ai comme l’impression que vos supérieurs savent bien vous… — »… vous alliez dire manipuler ? Ce sont de bons psychologues. Celui de Nairobi ne m’a pas dit de faire quoi que ce soit, mais juste d’aller voir le bidonville Muruku kwa Ruben où plus de 300 000 personnes vivent sur un lopin de terre. Les frères avaient un projet pour faire une école et une clinique et avaient besoin de quelqu’un pour mener le projet à terme sur cinq ans. J’ai dit : donnez-moi un mois de réflexion et de constat. Deux jours après, quand j’ai vu les enfants qui jouaient dans les ordures, les mères qui faisaient la cuisine dans les caniveaux, je savais que j’étais pris, capturé, que je devais rester. Au Soudan, les gens attendaient qu’on fasse tout pour eux, à Nairobi dans le bidonville, les gens voulaient qu’on fasse ensemble. Quand vous vivez dans un bidonville, vous ne pouvez attendre rien de personne, parce que les autres sont comme vous : ils n’ont rien. Il faut donc faire les choses parce que c’est à vous de vous débrouiller. Nous avons commencé par construire un poste de police pour instaurer un système de sécurité, puis deux écoles et une clinique où l’année dernière 59 000 malades y ont été admis, puis une clinique pour les enfants atteints du Sida dont la seul occupation est d’aller trier les ordures dans les dépotoirs. » D’où vient le financement de ce projet ? « Les donateurs me connaissent depuis la Tanzanie. Ils savent que leur argent ne sera pas détourné vers le compte d’un ministre ou d’un haut fonctionnaire mais servira à un projet sérieux avec des résultats. » Comment réagissent les autorités par rapport à l’action du missionnaire australien ? « Au Tonga, j’étais considéré comme un emmerdeur par le responsables de l’éducation. En Tanzanie, on a menacé d’annuler mon permis de résidence. Mais quand les autorités se sont rendues compte de l’importance du collège, qui leur enlevait une responsabilité en faisant leur travail, les choses se sont calmées. Ne parlons pas du Soudan. Au Kenya, je suis considéré comme une « nuisance  » utile qui s’occupe d’un secteur, les bidonvilles, dont personne ne veut entendre parler. » Et comment est-ce que vous vous décrivez ? « Une journaliste australienne m’a décrit comme étant un mélange de Crocodile Dundee et de Mère Teresa. J’aime assez cette image qui mélange le chasseur du bush et la compassion, mais avec plus d’accent sur la compassion. Je considère ma vie comme un voyage spirituel avec des étapes fortes. C’est ma manière de mettre en pratique la parole de Dieu. Je n’ai pas besoin de titre, de ceci ou de cela et j’ai la chance de vivre dans des environnements et avec des hommes et des femmes extraordinaires. Que demander de plus ? » Est-ce que le Centre Ruben dans le bidonville de Nairobi est la finalité du voyage de Frank, le Missionnaire ? « Je suis incapable de vous répondre. Je ne sais pas en fait ce que Dieu me réserve, ce qu’il peut encore me demander. Mais en tout cas, je suis prêt. »
Ceux qui veulent en savoir plus sur l’action de Frank O’Shea, missionnaire hors normes, au Kenya sont invités à cliquer sur www. rubencentre. org

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