Gilles L’entêté (ex-champion des JIOI): « Être enfant de la cité n’était pas une barrière »

Ex-Champion des premiers JIOI en 1985 en cyclisme où il a décroché l’or, l’argent et le bronze, Gilles l’Entêté est aujourd’hui CEO de la NHDC. Dans le cadre des JIOI, il revient sur ces années où il était enfant de Cité Barkly et où son père a su lui donner la clé du succès dans la vie: le sport et les études. Il se remémore dans cet entretien le temps où lui, sa sœur et ses frères, se levaient à 5h du matin pour faire leurs devoirs et à 2h du matin pour réviser en période d’examens. Il n’oublie pas l’accompagnement indéfectible de ses parents, notamment celui de son père, pourtant analphabète. « Le sport m’a aidé à franchir les limites », dit-il. Les JIOI de 1985 ont été pour lui « un des plus beaux ».

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Vous avez remporté plusieurs médailles en cyclisme aux JIOI en 1985. Comment avez-vous vécu ce sacre ?

J’avais 18 ans et j’avais remporté trois médailles: l’or (contre la montre par équipe), l’argent (individuel) et le bronze (course en ligne). Après, j’ai fait les Jeux de Seychelles et de Madagascar où j’ai eu des médailles aussi (contre la montre par équipe et individuel). J’ai également fait les Jeux d’Afrique et d’Egypte. J’ai été coureur d’élite en France avec le plus grand club français à l’époque, le CC Wasquehal. J’ai fait Paris-Roubaix à deux reprises. J’ai été le premier Mauricien à avoir couru en élite en France. Après, j’ai poursuivi mes études à l’Ecole d’Ingénieur de Lille (Master en Economie et Gestion des Entreprises). J’ai par ailleurs été prof d’anglais en France. J’ai vécu longtemps en Europe avant de revenir à Maurice en 1998. J’ai travaillé à temps partiel à l’Ecole du Nord comme prof d’anglais. À côté, mon épouse et moi, nous avons notre société. Pour revenir aux JIOI de 1985, c’était pour moi un des plus beaux. Il y avait de la camaraderie, le ‘fair play’ et on s’était fait beaucoup d’amis. C’était extraordinaire car j’étais pour la première fois dans la catégorie senior. Imaginez, à 18 ans, vous faites les premiers jeux de votre vie et vous ramenez l’or…

Comment êtes-vous tombé dans le cyclisme ? Vous aviez quel âge quand vous avez commencé ?

J’avais 13 ans. Mon père m’avait dit: ‘tu montes sur le vélo et tu fonces’. J’ai foncé et malheureusement personne n’a pu me rattraper… Une anecdote: j’ai remis un chèque pour la dalle il y a quelques jours et un ancien enseignant est venu accompagner un bénéficiaire. C’était mon prof de Maths en secondaire. J’étais très bon en Maths et c’est lui qui avait signé ma première licence intercollèges. Je prenais part à une course de vélo intercollèges où je remporte la course. À partir de là, tout s’enchaîne. Mon père m’accompagnera tout au long. Ma famille a toujours été là pour moi. Aujourd’hui, tout ce que j’ai, c’est grâce à mon père. Après avoir remporté la course au premier Inter-collèges, je me suis inscrit au Club 52-14 où il y avait plusieurs jeunes du Collège du Saint Esprit comme Bernard Piat etc. J’avais remporté le championnat Cadet Junior 1, Junior 2 et le Championnat national. Dans la famille, on est tous cyclistes. On est quatre enfants et les quatre ont été champions de Maurice.

Comment expliquez-vous cette excellence?

C’est l’encadrement familial. Mon père était quelqu’un de très intelligent mais qui n’avait pas été à l’école. On habitait Cité Barkly. Il était un simple ouvrier. Il était toujours là, avec ma mère quand on sortait de l’école, pour s’occuper de nous, pour préparer notre repas. Le dimanche matin, avant la course de 8h, il se levait à 3h du matin pour faire à manger pour moi parce qu’il fallait manger trois heures avant. Je mangeais à 5h pour la digestion.

Votre père lui-même était-il sportif ? Pourquoi insistait-il autant sur la pratique du sport?

Non, il n’était pas sportif. Il insistait parce qu’on était des enfants pauvres et pour lui, l’école et le sport étaient très importants pour avoir une discipline de vie  Si je suis arrivé où je suis aujourd’hui, c’est grâce à cette rigueur depuis petit. Car imaginez un enfant de la cité, aller payer des études en France… J’ai tout payé par moi, en travaillant le jour et en étudiant le soir. Au lieu de faire un Master en 5 ans, je l’ai fait en 7 ans.

Qui vous a encouragé à poursuivre vos études supérieures en France?

Moi-même. J’étais convaincu après les études secondaires qu’il fallait que je continue mes études mais j’ai fait une parenthèse dans le vélo avant. Je voulais que quand je rentre, retourner au pays ce qu’il m’avait apporté. Et, pour cela, il fallait que je sois un professionnel. Ce n’est pas parce que j’étais une gloire du vélo que je pouvais avoir un boulot. Pendant mes études, j’ai aussi fait des diplômes d’entraîneur, de moniteur et d’éducateur dans le vélo. J’ai monté des écoles de cyclisme à l’Ecole du Nord. Une des personnes qui m’a soutenu en France est ma femme, Virginie.

Comment le fait d’avoir fait du sport de haut niveau vous a-t-il aidé dans la vie?

Je pense que c’est un peu inné en moi aussi car je suis un battant. Je rends rarement les armes. Quand j’ai fait ma première licence d’intercollèges, j’ai dit à mon père qu’un jour j’allais être champion de Maurice. J’ai mis en place cette rigueur avec mon entraîneur, Robert Steulet, qui était comme mon père spirituel.  Je me levais à 5h du matin pour faire mes devoirs. Quand il y avait des examens, je me levais à 2h du matin pour réviser. On allait se coucher à 18h30/19h. On rentrait de l’école, on mangeait et on dormait. On était trop fatigué après l’école pour faire les devoirs. C’était l’école, leçon, vélo et dodo. Mon père disait toujours: ‘il n’y aura pas de cyclisme si vous ne travaillez pas à l’école ». Le sport m’a aidé à franchir les limites. Le sport aide aussi à avoir un esprit sain dans un corps sain. Cela nous évite de tomber dans les fléaux. Cela nous donne la force de se battre dans la vie. Comme je l’ai dit, je suis un enfant de Barkly, ma grand-mère y a toujours une maison. On a bougé à Cité Vuillemin et à Cité Richelieu ensuite. Chaque fois, on montre Barkly sous un aspect négatif. Pour moi, être enfant de la cité n’était pas une barrière. Peu importe d’où l’on vient, on peut toujours s’en sortir. Il faut juste de la volonté. Il faut juste la volonté de travailler, avoir la rigueur et la discipline. Il faut arrêter de croire que parce qu’on est né pauvre, on finira pauvre, parce qu’on est né dans une famille analphabète, on ne saura jamais lire ou écrire. Mon père n’était pas instruit, ma mère n’était pas instruite mais ce n’est pas pour cela qu’on n’a pas été boursier à l’école. On était boursier de la Junior Scholarship. Mon père n’a jamais fait un devoir avec nous. On s’est débrouillé par nous-mêmes. Mais, c’est l’accompagnement familial qui a grandement joué. Je dis toujours que les parents doivent être présents avec les enfants. Il n’y a pas de miracle. Il n’y a pas de mauvais enfant, pas de mauvais élève. Il suffit juste de les accompagner. Un enfant naît bon. C’est dans sa vie de tous les jours qu’il prend un mauvais chemin. Nous, en tant que parents, on doit être à leurs côtés pour leur dire ce qui est bien et ce qui ne l’est pas.

Vous avez des enfants vous-même?

J’ai trois filles dont deux étudient en France et la dernière ira en première au Lycée des Mascareignes. L’aînée fait un Master en Business. La cadette est sportive de haut niveau et évolue dans le milieu artistique à Paris.

Leur parlez-vous du milieu d’où vous venez?

Certes, elles sont au courant des sacrifices que mes parents ont faits. J’ai compté les centimes pour acheter une baguette pour manger en France. Je sais la valeur d’une roupie.

Quels sont ces traits de votre personnalité que vous n’auriez pas si vous n’aviez pas pratiqué de sport?

Se battre et se dire que tant que la ligne d’arrivée n’est pas franchie, il n’y a jamais de défaite. Il y a toujours l’espoir dans la vie. Quand on veut quelque chose, il faut mettre tous les atouts de son côté, ne rien attendre des autres. Regarder ce qu’on peut faire d’abord. Si je veux devenir un médecin ou un bon charpentier, il faut que je sache ce que je veux faire. On ne devient pas mais on a ce trait de caractère qui nous pousse dans telle direction. Ma fille cadette fait six heures de danse par jour. Mon aînée travaille 20h par semaine dans un Mc Donald car je lui montre qu’il faut apprendre à servir les autres avant d’être servie. Depuis qu’elles sont petites, on leur a inculqué le mot ‘humilité’. Où que l’on soit, on  doit toujours savoir se mettre à la hauteur de l’autre qui est en face de nous. Tout ce qu’on a comme décor n’est que passager. On est humain d’abord. Mon épouse et moi faisons beaucoup de social. En France, déjà, on faisait beaucoup de social. J’ai une association dans le Nord et à Beau-Bassin. C’est pour cela que j’ai voulu entrer dans la politique en 2014. Quand j’ai rencontré le premier ministre, je lui ai dit: ‘aujourd’hui, je veux rendre à mon pays ce qu’il m’a donné’.

Quelles sont ces choses que vous avez voulu réaliser à travers la politique justement?

Un jour dans ma vie, on m’a aidé. J’ai fait une partie et d’autres m’ont aidé et accompagné. Aujourd’hui, je dois être une passerelle pour dire aux autres que vous aussi vous pouvez le faire.

Et qu’avez-vous pu retourner à votre pays jusqu’ici?

Aujourd’hui, je suis un employé de la NHDC. Le ministre mentor, l’ex VPM et ministre des Terres, Showkutally Soodhun et maintenant Mahen Jhugroo, m’ont donné carte blanche pour revoir le système. C’est bien de donner une maison mais c’est bien aussi d’apprendre à la personne comment vivre dans la maison, quel est son droit et quel est son devoir. Dans la vie, l’accompagnement est important. Il faut expliquer à la personne pourquoi il ne faut pas faire ainsi et pourquoi il faut faire autrement. C’est facile de dire à quelqu’un que ce qu’il a fait est mal mais il faut lui expliquer pourquoi.

Aujourd’hui encore, vous consacrez du temps à des activités sportives?

Oui! Tous les matins, mon épouse et moi, nous marchons une heure à Pointe-aux-Cannoniers où on habite. Je fais du vélo de temps en temps. Parfois, je sors de Grand-Baie pour venir au bureau à Rose-Hill… Ensuite, je prends ma douche chez ma mère.

Quels effets positifs des événements sportifs comme les JIOI dans notre pays peuvent-ils avoir sur notre population?

Ce sera surtout faire comprendre à la population mauricienne qu’on doit tous être patriotes. Ensuite, l’image que Maurice dégagera de ces jeux… On ne vient pas seulement pour gagner la médaille. Dans toute compétition, il y a toujours un vainqueur et un perdant. On est là pour le ‘fair play’ et recevoir les autres îles en tant que pays hôte. C’est montrer que l’île Maurice est à la hauteur de ce qu’on lui a demandé de faire. En tant qu’ex-sportif de haut niveau, j’ai côtoyé les champions et les stades internationaux et je peux dire que le complexe sportif de Côte d’Or est gigantesque. Je ne pensais pas qu’un petit caillou comme Maurice au milieu de l’océan Indien pouvait avoir des infrastructures aussi pointues au niveau international. Je suis fier d’être Mauricien, fier d’appartenir à cette nation. J’espère que les JIOI vont encore encourager les Mauriciens de tout âge à pratiquer le sport. Il n’y a pas que l’école et le travail dans la vie. Le sport nous apprend cette discipline de vie. Quand vous vous entraînez depuis petit les lundis, les mercredis et les jeudis, vous vous entraînez, vous avez commencé très tôt à créer une discipline dans votre vie. C’est pour cela qu’au lieu de traîner les rues, les jeunes ont intérêt à pratiquer un sport. Cela les aidera dans leurs études et dans leur vie d’adulte. Quand ils vont se marier et avoir des enfants, ils auront des buts. Le sport donne un but. Le but d’avoir une médaille mais ce n’est pas grave si on n’a pas une médaille. Le but est de s’entraîner, d’aller à la compétition et d’aller au bout de ses limites. Quand vous arrivez à surpasser vos limites dans le sport, il n’y a rien qui vous fait peur dans la vie de tous les jours. Le jour où l’on tombe dans des moments difficiles, cela nous permet de nous redresser.

Trouvez-vous que les Mauriciens sont patriotes?

Très. J’espère qu’ils le seront encore plus. La flamme qui est passée dans les villes a attisé ce sens du patriotisme. La preuve, c’est que les billets ont tous été vendus.

Oui, mais ce n’est pas forcément le public qui les a achetés.

C’est ce qu’on dit mais jusqu’à l’heure on n’a pas de preuve.

Deux mois après les JIOI, nous accueillerons le pape. Pensez-vous que ces deux événements auront un effet fédérateur chez les Mauriciens?

Oui. Je suis moi-même de foi catholique. Je pense que le Pape ne vient pas seulement pour les catholiques. Il vient pour le peuple mauricien. Chacun a sa religion mais on est d’abord Mauricien. Chacun croit dans une image de son dieu mais il n’y a qu’un seul Dieu. Le pape vient marcher sur notre sol et apporte l’espoir et la foi, peu importe la religion que vous pratiquez. Selon moi, ce sera un événement très fort qui sera observé dans le monde entier.

Comment voyez-vous évoluer le monde du sport chez nous aujourd’hui? Quels sont les changements positifs et les choses qu’on aurait perdues?

Côté négatif, je remarque que les jeunes ont trop d’attente. Ils veulent tout tout de suite. Ils ne veulent plus faire des efforts. À mon époque, quand je faisais du vélo, mon frère prenait mon vélo pour aller à la course. Moi, je voyageais en bus avec mon père pour ne pas être fatigué au départ. On n’avait pas de voiture. Aujourd’hui, quand on dit à un jeune qu’il pourra avoir un très beau vélo quand il gagnera à une course, il vous dira qu’il veut un très beau vélo dès le départ. Il veut la meilleure paire de chaussures de foot dès le départ. Il faut qu’il apprenne à faire ses preuves d’abord. Il faut qu’il apprenne que tout n’est pas rose dans la vie. Le côté positif, ce sont les infrastructures dont dispose Maurice aujourd’hui. Il faut que les jeunes viennent pratiquer le sport. Aujourd’hui, c’est le téléphone, les jeux vidéo et la malbouffe.

Le mot de la fin?

Dire aux jeunes qu’avec tout ce qu’il y a en 2019, ils peuvent s’en sortir dans la vie, surtout s’ils pratiquent le sport et vont à l’école. Enfant de Barkly, je suis aujourd’hui à la tête de la NHDC. Ce n’est pas parce que j’étais médaillé d’or qu’on m’a mis là. Aujourd’hui, quelqu’un de n’importe quel quartier peut s’en sortir. Il suffit juste d’y croire et d’être accompagné. Croire en ce qu’on veut faire dans la vie est déjà une victoire. Après, c’est à nous d’aller chercher les outils et de l’accompagnement pour accomplir ce rêve.

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