HÉLÈNE DE SENNEVILLE: « J’aime Baudelaire depuis ma jeunesse »

À l’occasion de la célébration du tricentenaire de la présence française à Maurice, la galerie Hélène de Senneville, Commissaire d’exposition et Galeriste accueille jusqu’à demain une exposition d’art consacrée au poète Charles Baudelaire qui a séjourné pendant 18 jours dans l’île. Cette brève escale a suffi pour donner naissance dans son imaginaire artistique au recueil de poèmes Les Fleurs du mal dans lequel une quarantaine d’artistes ont puisé leur inspiration pour les oeuvres exposées à Pointe-aux-Canonniers. Hélène de Senneville, Commissaire d’exposition et galeriste, nous en a parlé le jeudi 17 septembre.
Dans quelle circonstance l’exposition consacrée à Baudelaire a été incluse dans le programme de la célébration du tricentenaire de la présence française à Maurice ?
Il y a trois ans, je voulais fêter les 25 ans de la galerie en montant un projet sur Charles Baudelaire, mais le bâtiment ne m’appartenait pas. Je ne le sentais pas. C’était vieillissant, pas très intéressant même si j’avais certainement caressé les parfums exotiques de Baudelaire durant mon adolescence. L’année dernière, j’ai décidé de faire des résidences d’artistes et une chambre Charles Baudelaire et quand le comité organisateur du tricentenaire m’a approchée pour me demander si j’étais intéressée à faire une exposition, j’ai dit oui. Et à l’évidence, Baudelaire est arrivé comme sujet. Les artistes approchés ont été très passionnés aussi par cette idée.
Comment avez-vous contacté les artistes ?
Il y en a que je connaissais déjà, d’autres pas. Je ne savais pas ce qu’ils faisaient : le mehendi m’était par exemple inconnu. Je me suis dit pourquoi ne pas pousser les frontières de Baudelaire plus loin ? S’il avait été à Maurice aujourd’hui, « vagabond » comme il était, il se serait certainement fait tatouer. Je délirais, mais c’est du délire rassemblé.
À quel moment avez-vous été approchée pour l’exposition ?
Fin mai, début juin. C’était la course et on a eu peu de temps. Ce qui est formidable c’est que les artistes se sont plongés dans son monde pour produire quelque chose. Quelques-uns, très peu, m’ont proposé des tableaux qu’ils avaient déjà dans des cartons, mais je n’ai gardé que ceux qui avaient envie de se plonger dans une strophe de Baudelaire, dans ce passage de 18 jours qu’il a effectué à Maurice. J’ai voulu que la page soit blanche et que l’écriture commence. Les artistes ont suivi. Ça m’émeut ! Pour ceux qui n’ont pas été sélectionnés, je sais que c’est dur, mais il faut rendre la décision à la commissaire d’exposition. Pour moi aussi, c’est dur ! Aujourd’hui on est le 17 (ndlr : jeudi 17 septembre), Baudelaire est arrivé à l’île de La Réunion le 19 septembre, donc j’imagine qu’il a quitté Maurice le 18. C’est une grosse exposition. On a travaillé dessus pendant quinze jours et à chaque fois que je vois les feuilles, la mer et toute l’ambiance, je me dis que Baudelaire a vu cette lumière, ces tamariniers… On n’est pas en train d’inventer. C’est du vécu ! C’est un des plus grands poètes français, un des plus grands du monde même et nous Mauriciens, il faut que nous soyons fiers de dire que Les Fleurs du mal ont été inspirées ici. On dit les Mascareignes, mais il faut être honnête, c’est beaucoup d’ici.
Combien de pièces ont été proposées par les artistes ?
J’avais demandé un maximum de cinq à chacun pour une sélection, mais pour être honnête, il y en a beaucoup que j’ai trouvé excellentes et que j’ai gardées.
J’ai voulu que Baudelaire soit présent. Que dès l’entrée jusqu’à la chambre, il y ait une vraie histoire à raconter. Que chacun y trouve son compte : si quelqu’un aime le bijou, il voit le bijou, s’il aime la sculpture, il voit une sculpture, s’il aime la chambre, il voit la chambre… Je ne voulais pas qu’il y ait de restriction. On a beaucoup de chance d’avoir eu Baudelaire à Maurice. Je pense qu’on peut aller plus loin avec tout ça.
Vous êtes une vraie passionnée de Baudelaire…
J’aime Baudelaire depuis ma jeunesse. Quand on est au lycée français, on nous fait lire Baudelaire. Il faut le dire : c’est beaucoup moins difficile qu’un autre auteur. Pour quelqu’un de 17 ans, en pleine jeunesse, ce sont des poèmes très intéressants. J’aimais les arts et la poésie. Au fond de moi, j’aimais Baudelaire. « Il n’y a pas une… On peut être de culture différente mais je pense nous sommes tous très heureux d’être nés et de vivre à Maurice ».
Combien d’artistes participent à cette manifestation ?
Ils sont 42 dont le chanteur Christophe Rey que j’ai rencontré un dimanche matin sur un parking de supermarché. Christophe est un jeune compositeur et interprète et il y a déjà mis en musique des poèmes de Baudelaire mais jamais À une Dame créole. Lorsque la MTPA (Mauritius Tourism Promotion Authority) et les autres partenaires m’ont approchée pour une conférence de presse, j’ai demandé à Christophe si jamais il avait quelque chose qu’il voudrait présenter pour l’expo. Il m’a demandé 24 heures et m’a envoyé sa chanson. C’est une bombe d’émotion. Il a chanté au vernissage de l’exposition mercredi soir.
Votre projet continue…
Oui, cela a pris son temps. Je pense que j’ai été une passerelle. Je suis commissaire d’exposition et une passionnée de Baudelaire. Si je peux m’attribuer quelque chose, c’est le flair d’avoir apporté Baudelaire aux artistes. Pour Christophe Rey, c’est à lui de voir ce qu’il veut faire de sa chanson. On peut l’écouter sur la page Facebook de la galerie.
Aujourd’hui, forcément, Baudelaire est inscrit pour les Mauriciens. Je souhaite qu’on définisse un tracé avec des signalétiques ; on pourra aller sur les traces de Baudelaire. On a quelques endroits précis où il a été notamment chez les Autard de Bragard à Cressonville, à Beaux-Songes, à Port-Louis et à Pamplemousses. Jérémie Bennequin, un artiste français, a été commissionné pour travailler son parcours, en résidence. Il a été mon premier résident amené par le tricentenaire.
Est-ce que vous seriez tentée de renouveler une expérience similaire ?
Je pense qu’il faut être rare dans ses sujets et dans ses présences pour apporter une vérité de soi. Dans le cadre du Tricentenaire, on a choisi de jouer la carte du patrimoine et du tourisme culturel. Le message du gouvernement nous a permis, à toute l’équipe, d’avoir une énergie positive. Toutefois, on ne peut pas répéter. Je ne peux pas dire que demain je ferai la même chose avec la même énergie pour Farquhar. Ce sera une application scolaire. Par contre, dans un autre cadre, oui, ce serait génial.
Vous avez là des éléments pour faire un musée Baudelaire…
Oui, j’aimerais bien. Je pense que tout le monde aimerait mais c’est compliqué un musée. Cela demande de l’argent. Moi, je vois les choses de manière plus simple. Parfois, on n’a pas besoin de beaucoup de choses pour dire qu’il a existé.
Cette maison de M. et Mme Autard de Bragard appartient à une famille privée. Je ne connais pas leur intention et en même temps, je ne peux pas tout prendre sur mes épaules. Moi, je fais mon travail de gagner ma vie dans l’art.
Il y a le Bridge Eco-Arts Festival à Tamarin qui m’a contactée. Je propose d’y apporter un peu des « traces de Baudelaire » avec le petit film de Nicolas Belloni et Christophe Rey… C’est le partage, ce n’est pas commercial même si certains diront que c’est du marketing. Il y a eu un véritable élan. À Eau-Coulée par exemple, Jérémie est allé à la rue Charles Baudelaire, ce n’est pas la carte touristique, mais les gens en parlent. C’est étonnant ! On enseigne Baudelaire dans les écoles françaises. Pour les écoles publiques je ne sais pas mais, c’est un peu l’occasion de se familiariser avec Baudelaire. Je leur dis : venez voir ! C’est un condensé de choses. Par exemple, il y a un tableau qu’Anton Molnar nous a confié le temps de l’expo. Le prix peut sembler exorbitant pour nous Mauriciens mais il démontre ce que peut valoir quelque chose. Anton Molnar a un grand tableau au Royal Palm. Koko N, une Française avec un permis de résidence, n’a pas hésité lorsque je l’ai approchée pour l’expo. Elle a les mêmes bagarres que nous les Mauriciens. Ce sont des personnes qui vivent ou qui viennent à Maurice depuis des années et qui enrichissent notre culture.
La tenue de cette exposition est relativement courte…
C’est vrai qu’on a le sentiment qu’il fallait aller plus loin. On va laisser faire Baudelaire mais il faut aussi que je rentre dans d’autres activités.
Depuis combien de temps existez-vous ?
La galerie Hélène de Senneville existe depuis 28 ans. J’avais une boutique à Sunset Boulevard, à Grand-Baie, mais on a délocalisé pour l’intégrer ici, à Pointe-aux-Canonniers. Il faut savoir que le marché de l’art est difficile. Il est difficile de vivre de son art, on a besoin d’une activité parallèle. Certains sont profs, d’autres donnent des leçons.
Est-ce que les touristes viennent à la galerie ?
Oui ils viennent, mais souvent, ils viennent de manière impromptue et n’achètent pas le tableau qui les intéresse pour une question de poids. On aurait pu tout mettre sur papier ou en lithographie mais l’artiste a aussi besoin de travailler sur d’autres supports comme le canevas.
Cependant, je crois que toute chose se développe à son rythme bien qu’il faille bousculer un peu les choses de temps en temps. À Maurice, on veut aller vite mais il faut savoir qu’on est loin de l’Europe, qu’on est un peu isolé dans l’océan. On souffre de cela.
Vous gérez aussi un atelier d’art, ici ?
Oui, notre principalement activité est la fabrication des objets d’art et on crée des tableaux dans l’idée de décorer des IRS, des RES et des bureaux. On fait de la copie. Au lieu de la faire en Chine, on la fait ici.
Qui est le concepteur des travaux ?
C’est moi, mais je signe « l’A » parce que c’est l’atelier qui les réalise. L’atelier est le miroir, c’est un partage. Parfois, les filles voient des choses que je ne vois pas. On fait aussi d’autres produits pour la boutique. On complète commercialement.
Est-ce que votre atelier est ouvert au public ?
Avant, il était fermé. Vous savez, souvent on a peur d’être copié mais en fait, on s’inspire des autres. Picasso disait qu’un artiste ne sort pas du néant, il a un père et une mère. Depuis que je me suis appropriée de ces mots, je me sens complètement libérée. Il y a des artistes qui n’aiment pas cet atelier. Ils disent que nous ne sommes pas des artistes mais c’est faux. Nous avons un but différent certes mais nous sommes des artistes. Maintenant, l’atelier est ouvert au public.

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -