Histoire : l’atypique cathédrale Saint James

« Du fort est sorti le doux. » (Juges 14, 14)

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C’est en 1850, lors de la visite épiscopale de Mgr James Chapman, évêque de Colombo, que l’église Saint James reçut le statut de cathédrale.* Depuis 1845, Maurice faisait partie du diocèse de Colombo, créé après le détachement de l’Eglise anglicane au Ceylan (aujourd’hui Sri Lanka) du diocèse de Calcutta. Depuis sa nomination comme évêque de Colombo, il tardait à Mgr Chapman de prendre la mesure et de rendre visite à l’ensemble de son vaste territoire épiscopal, dont l’île Maurice.

La chance de Maurice de recevoir la visite de Mgr Chapman arriva à la mi-juin 1850. Ce dernier racontait cette première experience mauricienne dans son journal personnel: accueil à son arrivée par une foule bon enfant, « a thronging but respectful crowd », et la cérémonie de consécration de l’église Saint James:

« I was received by all the clergy of the Colony at the School of the Society for the Propagation of the Gospel, just beyond the precints from which a Military Guard of Honour formed a line to the porch, where the Church wardens, Trustees and a large body met and accompanied me into the body of the edifice. It was very full. The usual solemnities were observed, the prayers being said by the Reverend L. Banks, the second Civil Chaplain, the Lessons by the Rev. J. S. Pering, Chaplain to the Forces, and the Reverend De Joux. At Holy Communion, the Epistoler was the Reverend G. de Joux and the Gospeller the Reverend A. Denny, Senior Chaplain. The communion Service and the Sermon, I took Myself. Not only were all the clergy of the Colony present, but all were associated in the solemn service of dedicating to God the first (Anglican) Church in the island. His Excellency and his family, and almost all the influential people of the country around were present. »(1)

Logé à l’Hôtel du Gouvernement

Mgr Chapman ne se priva pas dans son journal de relever ce moment anecdotique vécu à la cathédrale Saint James le lendemain de la cérémonie de consécration. « Next day the first marriage took place in the newly consecrated building. I was called on to assist at the marriage of the Captain of the schooner which brought me so safely to Mauritius, and I could hardly say no to that. »

Outre la consécration de la cathédrale Saint James. Mgr Chapman procéda  à celle de deux autres églises, celle de Saint Thomas à Beau-Bassin (le 10 juillet) et celle de Saint John à Réduit (le 12 juillet), anima un service religieux à la chapelle de la SPG (Society for the Propagation of the Gospel)  à Belle Isle au district de Rivière Noire, rendit visite aux casernes de Mahébourg, procéda à quelques cérémonies de confirmation et au lancement de la Mauritius Church Association.

Durant son séjour, le prélat logea à l’Hôtel du Gouvernement en compagnie du gouverneur et de Lady Anderson « who gave him a very warm hospitality and all the facilities he wanted during his visitation. »

Au départ de Mgr Chapman, ce qui fut un entrepôt de poudre à canon et une prison d’Etat prenait une nouvelle vocation – servir de maison au Seigneur et à son peuple. C’est sans doute cette métamorphose qui amena le Très Révérend Ian Ernest, l’actuel Evêque de Maurice, à faire la remarque suivante par rapport au choix de la poudrière promise à une destinée de cathédrale: »L’histoire de ce lieu nous révèle que Dieu a un grand sens de l’humour: une ancienne poudrière transformée en un lieu qui emmagasine des éléments  beaucoup plus forts que cette poudre qui permettait aux canons de tout détruire. » (2)

Un édifice critiqué pour son manque d’esthétisme
Après son affectation en 1854 au poste d’aumônier militaire à Maurice, le Rév. Francis Patrick Flemming fut envoyé en Allemagne pour le compte de la SPG. C’est là-bas qu’avec l’aide de la S.P.C.K. (Society for the Promotion of Christian Knowledge), il publia un livre sous le titre Mauritius or The Isle de France où il traita de l’histoire, de la géographie, de la flore et de la faune, de l’économie et des religions de l’île. Il ne se fit pas prier, lui qui avait étudié l’architecture à l’université, pour relever le caractère inapproprié de la cathédrale Saint James:

« On the British occupation of the Island, this great ungainly building being useless for other purposes was selected as the English Church. Square windows were pierced in the sides, and in 1828, the present tower, portico and steeple, all in strict architectural style with the rest of the building, were added. At the same period the old bomb-shaped roof was replaced by the present flat one, the walls having shown signs of inability to bear any longer the enormous weight. In 1836, the interior was fitted up with large square pews of teak wood.… The ground around this unsightly and unecclesiastical-looking erection remained for several years unenclosed and neglected… Considering the wealth and importance of the colony, the growing number of the Anglican population, together with the position of the island as a resting-place for all eastward and Indian homeward-bound ships, we have no hesitation in saying « the English Cathedral » of Port Louis is an unsuitable and disgraceful edifice, one which, we trust, may, ere many more years pass by, be replaced by another, better adapted to its sacred object, and wherein the worship of the Anglican Church in the island may, at last, be conducted according to the rubric of the Prayer Book, « decently and in order. » (3)

En dépit des récriminations du Rév. Flemming, la cathédrale Saint James se muera, au fil des décennies, en un lieu de prière où l’adoration pourra se faire « decently and in order. » Et cela, en dépit des intempéries et du passage dévastateur du temps.

La sollicitude du T.R. Royston et l’ouragan de 1892

En  prélude au désastre que le cyclone de 1892 (beaucoup plus en étendue que l’ouragan de 1868) causa dans la colonie, endommageant grandement infrastructures, résidences et lieux de culte, dont la cathédrale Saint James, cette dernière fut, durant les deux décennies du mandat épiscopal de Mgr P.S. Royston (1872-1890), l’objet d’une grande sollicitude:
« During Bishop Royston’s episcopate considerable improvements were effected to the Cathedral. A solid cement floor replaced the old wooden planks, which had needed constant patching as they were all the time being attacked by white ants. In addition to the stained glass window which was placed behind the altar, stalls in bois de natte were erected in the chancel. Archdeacon Buswell said in his notes that the Bishop devoted much time to improve the appearance of the Cathedral and did his best to « cure the walls of the constant sweating sickness which disfigured them, by importing a composition which had been recommended, and which for a while was successful, but only for a while. » (4)
Mais la cathédrale ne connut pas que du bon et du beau temps. Sous le mandat épiscopal du successeur de Mgr Royston, le Très Révérend William Walsh (1891-1897), ce fut le désastre pour la cathédrale lorsque le cyclone du 29 avril 1982 s’abattit sur l’île avec des vents atteignant le pic de 179 km à l’heure.  La cathédrale subit de graves dégâts. La façade, la flèche octogonale et une partie de la toiture furent emportées, ce qui n’empêcha que des centaines de personnes démunies trouvèrent refuge dans l’enceinte de ses murs sacrés. Cependant, grâce aux dons généreux venant de la Grande-Bretagne, de l’Inde, de Ceylan et de Madagascar, l’évêque fut en mesure de reconstruire la cathédrale endommagée.

Du début du 20e siècle à juin 1950

En 1910, sous l’épiscopat du Très Révérend Francis Ambrose Gregory, démarrèrent des travaux de restauration majeurs. La toiture fut refaite en bois et bardeaux, le mur cloisonné avec des planchettes en bois de teck, des fenêtres placées dans les ouvertures et les parquets furent parés de bois et de marbres blancs et noirs. La cour de la cathédrale fut embellie de pelouses et de parterres fleuris. La cathédrale rénovée fut rouverte au culte le 22 juin 1911, jour du couronnement du roi George V.

Auparavant, au début du siècle, plusieurs travaux furent effectués à l’intérieur de la cathédrale et au portique – à l’intérieur, le lambrissage du chœur avec l’installation d’une croix latine en cuivre et d’un mémorial pour honorer la bravoure dont firent preuve trois hommes, William Alexander Cawsey (S.S. Afghan), William Ward Sutton Hutchisson et Charles Hansen du S.S. Wilhemina, et qui périrent dans le port en tentant de sauver les naufragés du S.S. Taher qui avait échoué sur l’île Barkly; embellissement de l’autel qui est doté d’un retable; remise à neuf du portique et du clocher. Un service de dédicace du mémorial eut lieu le 24 juin 1902 à l’occasion de l’anniversaire de naissance de Jean Baptiste.

Ce fut au tour de la toiture de la cathédrale  d’être l’objet des travaux de restauration au coût de Rs 15,000 en 1923, les termites continuant à faire des ravages comme elles l’ont fait aux structures en bois durant toute la vie de l’édifice. Il faut dire que l’argent obtenu en diverses occasions – comme les Rs 35,000 obtenues suivant un appel par le Très Révérend Otter-Barry, alors évêque de Maurice, lors du service du centenaire de la consécration de la cathédrale en juin 1950 – servait à des travaux de réparation et d’embellissement du bâtiment et du lieu. Les Rs 35,000 servirent à des « extensive repairs to the Cathedral and complete rewiring of its electric installation. » (5)

Un nouveau souffle pour la cent-cinquantenaire

A la fin du 20e siècle, la cathédrale fut remise à neuf pour accueillir, en l’an 2000, le cent cinquantenaire de sa consécration. Depuis cet événement qui fera date dans l’histoire de la cathédrale, une sculpture du logo du 150e anniversaire s’élève dans la cour. Le logo avait été conçu par Kamla Ernest, épouse du T.R. Ian Ernest, et la sculpture réalisée par Geneviève Luximon et Gaëtan Cornet. Et voilà qu’aujourd’hui, Kamla Ernest fait de nouveau jouer son talent pour concevoir le logo de l’actuel projet de restauration de la cathédrale: Sov nou katedral. Car la cathédrale, malade, a besoin de soins urgents.

De quoi souffre la patiente? « La toiture en bois a été grandement, pour ne pas dire complètement abîmée par le passage des saisons et surtout les intempéries. Les bardeaux en bois ont été décolorés et rongés par la pluie et le soleil, et le toit est parsemé de trous, là où les bardeaux ont été soit emportés par le vent ou sont tellement usés qu’ils ont fini par devenir poussière. L’eau s’infiltre au travers de la toiture endommagée à chaque fois qu’il pleut et tombe non seulement sur le sol mais coule aussi le long des murs et s’introduit entre la pierre et le revêtement en bois qui recouvre la quasi totalité des murs intérieurs de l’église, causant ainsi des dommages à ces mêmes murs. » Alors, il est grandement temps de « Sov nou katedral. »

* En fait, l’église Saint James fut élevée au rang de cathédrale en 1854, année où est créé le diocèse anglican de Maurice avec comme premier évêque le Révérend Vincent William Ryan.

L’église Saint James

The Less avant de devenir cathédrale
L’histoire de l’Eglise Anglicane à Maurice débuta avec la conquête de l’île par les Anglais. La victoire fut consommée presque sans effusion de sang lorsque l’Isle de France capitula le 3 décembre 1810 et céda l’administration aux Anglais.

Le premier gouverneur britannique de l’île, Sir Robert Townsend Farquhar, offrit à la communauté anglicane, qui se formait à l’arrivée des soldats dans les casernes et les fonctionnaires anglais postés dans l’administration, l’emplacement occupé par une ancienne poudrière française pour construire à la place une église qui devint, en 1854, la cathédrale St. James (le vocable au complet est St. James the Less comme le signale dans son livre Mauritius or Isle de France, le Rév. Francis Patrick Flemming).

L’histoire de la poudrière

La poudrière fut construite par Mahé de La Bourdonnais « pour y mettre à l’abri et y entreposer les poudres nécessaires à ses expéditions à l’étranger, mais surtout pour le ravitaillement des navires de guerre faisant escale à Port-Louis. » « Ile Maurice, Ancienne Isle de France » (Histoire et anecdotes, Charles Giblot Ducray). Sous le général Decaen, la poudrière désaffectée fut transformée en prison. « Le général Decaen aménagea alors la grande salle en logements pour y enfermer les prisonniers de guerre. » (Idem)
Sous les Anglais, la poudrière fut transformée en église au bénéfice de la communauté anglicane. »La toiture, véritable casemate, fut démolie par les soldats de la garnison et remplacée par le toit actuel. Le clocher et le portique furent ajoutés dans les années  qui suivirent. Le tout fut terminé en 1825. La grande cloche est celle que M. Magon avait fait installer à la sucrerie de la Villebague. » (Idem)

Des murs de trois mètres d’épaisseur

Dès le début de l’administration britannique, le gouvernement colonial fit dresser les plans et vota une somme de £ 15,000 pour la construction de la nouvelle église. Mais aucun entrepreneur ne se porta volontaire pour démolir l’imposante poudrière dont les murs ont trois mètres d’épaisseur. D’ailleurs, la démolition coûterait aussi cher que la construction d’un tout nouvel édifice. Autant convertir la poudrière elle-même en lieu de prière.
Aussi, à son arrivée, le premier aumônier civil Anglican, le Rév. H. Shepherd fit lancer, le 16 juin 1812, des appels d’offres à cet effet. Mais diverses contrariétés (incendies, cyclones, épidémies de choléra, etc.) frustrèrent le projet. Aussi, lorsque le Rév. Shepherd arriva au bout de son mandat en 1821, son projet ecclésial était resté lettre morte. L’administration coloniale prit alors la décision d’utiliser la poudrière telle quelle de façon qu’elle « did duty for a church without being fitted and furnished as a church ». (1)

Le Rév. Finch reprend le projet ecclésial

A l’arrivée de son successeur, l’aumônier civil Alexander Denny, le projet du Rév. Shepherd fut repris. L’administration coloniale relança des appels d’offres en 1821. Il était cette fois-ci question de « certain structural alterations to the Powder Magazine and for the necessary furniture befitting a place of worship. » (4) Mais l’architecte Gastenbide chargé des travaux, non seulement ne respecta pas le contrat de Rs 11,779.62, mais fit si mal les choses qu’en 1829, « it was found necessary to close the church, it being considered unsafe for public use. » (Idem)

L’aumônier civil Alexander Denny reprit les choses en main et fit restaurer la toiture de la poudrière, la dotant d’un portique et de deux sacristies. Des ouvertures furent faites dans les murs. Il fit placer sur le clocher une flèche octogonale qui donna à l’édifice l’apparence d’une vraie église. Le jour de Noël, en 1831, l’église restaurée fut ouverte au culte.
En 1846, toujours sous l’aumônerie du Rév. Alexander Denny, le lieu de prière devenant trop exigu pour le nombre grandissant des fidèles, deux ailes ou transepts furent ajoutées à l’édifice, donnant ainsi de l’amplitude au lieu de prière. Un mur en pierre surmonté de grilles en fer et des portails clôturaient le lieu en 1850-1851.

L’histoire est passée par là…
Un Te Deum a lieu le lundi 21 juin 1897 pour marquer le jubilé de diamant (60e anniversaire) du long règne de la reine Victoria et lors du décès de cette dernière, un service commémoratif y est célébré le 2 février 1901, jour de son inhumation.
La Cathédrale St. James a reçu la visite de plusieurs membres de la famille royale britannique et de trois archevêques de Cantorbéry, les Très Révérends Michael Ramsey, George Carey et Justin Welby.

Le 25 mars 1973, ont lieu la consécration du premier évêque des Seychelles, le Chanoine George Cardell Briggs, et l’inauguration de la province de l’océan Indien.
Le Très Révérend Lakdasa de Mel, archevêque métropolitain de l’Inde, du Pakistan, de la Birmanie et du Ceylan, et évêque de Calcutta, est l’invité de marque pour la célébration du 125e anniversaire de la cathédrale en juin 1975.

Le Très Révérend Kenneth Fernando, évêque de Colombo, et son épouse Chitra sont présents à la cérémonie marquant le 150e anniversaire de la cathédrale en l’an 2000. Le vénérable visiteur a prononcé l’homélie du jour en présence de l’archevêque et des évêques de la Province de l’océan Indien qui comprend, à l’époque, les diocèses malgaches d’Antananarivo, d’Antsiranana, de Toamasina et de Mahajanga, et les diocèses des Seychelles et de Maurice.

Comme leurs prédécesseurs, les trois évêques Mauriciens – Très Révérends Ghislain Emmanuel (1976-1977), Rex Donat (1984-2001) et Ian Ernest (2001-) – ont été intronisés en la cathédrale. L’intronisation du T.R. Ian Ernest pour ses deux mandats (2006-2012) et (2012-2017) en tant qu’archevêque de la Province de l’océan Indien a également eu lieu à Saint James.

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