HISTOIRE : Port-Louis à livre ouvert…

Les éditions Vizavi rééditent « Port-Louis, deux siècles d’histoire 1735-1935 », d’Auguste Toussaint. En rendant ce texte de référence à nouveau disponible, l’éditeur rend hommage à la fois à la capitale du pays et à un des maîtres à penser de l’histoire mauricienne, plume fluide et connaissances affûtées. Un bel ouvrage couleur sépia qui raconte la fondation, le déploiement et les évolutions d’une ville phare de l’océan Indien, une ville au « charme unique entre tous dans une île où il en est tant. »
Les historiens et les chercheurs qui s’intéressent à l’histoire de Maurice, à ses personnages, à l’histoire des Mascareignes et de ses routes maritimes tombent toujours un jour ou l’autre sur des textes d’Auguste Toussaint, qui peut être considéré comme le premier historien moderne de l’île Maurice. Né en 1911 à Port-Louis, cet homme a délibérément voué sa vie aux archives et à l’histoire de son pays, ainsi qu’à leur transmission en créant la Société de l’Histoire de l’Île Maurice, ou encore l’Association Historique Internationale de l’Océan Indien. S’il s’est fait régulièrement l’ambassadeur de l’histoire et de la culture mauricienne en mission à l’étranger, il aurait décliné des offres de grandes universités pour pouvoir continuer à se consacrer à l’histoire de son pays.
Publiés à Maurice et à l’étranger dans des maisons aussi réputées que Mac Millan, PUF ou Flammarion, ses livres ne se trouvent pourtant pas si facilement que cela… Sorti en 1936 dans la foulée du bicentenaire de la capitale, le premier d’entre eux, Port-Louis deux siècles d’histoire, n’avait en tout et pour tout été édité qu’à 300 exemplaires à l’époque, devenant au fil des décennies soit un objet de forte spéculation dans les ventes à l’encan, soit un ouvrage en lambeaux, abîmé par des années de manipulations dans les bibliothèques du pays… Ce fait est d’autant plus ironique que l’auteur lui-même, qui a créé et dirigé les Archives nationales de Maurice de 1945 à 1971, a tout au long de sa vie attaché autant d’importance à la préservation des archives, qu’à la transmission et la diffusion de l’information sur l’histoire du pays ici, dans la région et à travers le monde.
Peut-être n’a-t-il pas cherché lui-même à rééditer cet ouvrage parce qu’il le considérait comme un « péché de jeunesse », confiant avoir manqué de recul dans ses conclusions, au journaliste et historien Yvan Martial. Malgré cela, malgré certaines opinions auxquelles nul n’est besoin d’adhérer et qui n’engagent que son auteur dans le contexte de l’époque où il les a écrites, cet ouvrage peut continuer aujourd’hui à faire référence pour ce qu’il relate de la naissance, de la construction, des transformations et transmutations de la ville de Port-Louis, de ses origines dans la rade des Moluques hollandaise, puis de sa fondation par Mahé de La Bourdonnais en 1735 aux célébrations de son bicentenaire. À une époque où Port-Louis souffre d’un manque de cohésion architecturale si ce n’est de plan d’urbanisme, la connaissance de ces années décisives, celles de l’édification et du déploiement de la ville, peut aider à la recherche d’une continuité dans le renouvellement…
600 pages, neuf étapes
Comme le dit Raymond d’Unienville, un des principaux contributeurs au Dictionnaire de biographie mauricienne qui ont pris la relève de Toussaint au sein de la Société de l’Histoire de l’Île Maurice, ce livre a échappé à son jeune auteur, devenant une référence dès sa publication, et récoltant peu après un prix de la Société des gens de lettres de France, puis un autre de l’Académie des sciences morales et politiques de Paris… Les collégiens, étudiants et chercheurs pourront désormais en consulter des versions en bon état pour peu que les établissements concernés en fassent l’acquisition.
Impulsée par le fils de l’auteur, André Georges Toussaint, cette réédition chez Vizavi est assortie d’une nouvelle couverture, rigide, reprenant une élégante vue du début du XXe siècle, sur la Place du quai avec la statue du fondateur de Port-Louis ainsi qu’au dos, d’un petit texte de Raymond d’Unienville surplombant une photo ancienne du bazar. Les autres ajouts propres à cette seconde édition sont simplement une biographie et une bibliographie d’Auguste Toussaint.
Textes et illustrations sont publiés dans leur intégralité dans une encre sépia qui fait écho à l’ancienneté des textes. Avec environ 80 gravures et photographies ainsi qu’une dizaine de plans, la remarquable iconographie de l’ouvrage rend palpables non seulement les transformations de la ville mais aussi les personnages clés qui ont présidé à ses destinées.
Quand ce livre sort en 1936, son titre n’est pas inconnu pour tout le monde. En effet, Le Port-Louis, une revue historique et littéraire à numéro unique éditée spécialement pour la célébration du bicentenaire de la ville, proposait en août 1935 un article du même auteur portant le même titre, en tête des autres textes littéraires et historiques qui suivaient. Ici, Auguste Toussaint brosse l’histoire de la ville à grands traits et en quelques repères essentiels, suscitant l’envie d’en savoir plus grâce à l’aisance de son style.
Le Port-Louis de 1935
La revue publiée dans la frénésie des célébrations du bicentenaire a peut-être aussi encouragé les souscripteurs qui ont rendu l’édition du livre viable. Elle mêle caractères d’imprimerie et écritures manuelles, associe morceaux d’histoire et poésie, gravures et stylisme des années folles. Ainsi y trouve-t-on aussi bien les stances du bicentenaire de Clément Charoux qui avaient été prononcées lors des cérémonies officielles, de beaux vers de Robert Edward Hart ou des balades de Savinien Mérédac que l’histoire de l’église Saint-Louis ou celle de l’hôtel du gouvernement par quelques intellectuels de l’époque, autant de textes fort lyriques et élogieux.
Or la conclusion de ses 200 ans d’histoire dresse le portrait d’une capitale chaque soir désertée, un texte rempli de nostalgie et même d’une certaine amertume regrettant la vie et l’attrait qu’il lui attribue cinquante ans auparavant. Mais il se permet tout de même quelques notes d’espoir. « En dépit de tant de durs avatars, écrit-il, en dépit des profondes modifications topographiques et démographiques qui ont bouleversé sa physionomie, cette cité possède un charme d’une espèce tout à fait spéciale, un charme unique entre tous dans une île où il en est tant. »
L’auteur évoque alors la beauté du site, la majesté des montagnes qui l’encerclent, la présence de la mer, l’agrément de ses jardins, son splendide Champ-de-Mars. Il dit encore que « le Port-Louis est exercé dans l’art de plaire… » Auguste Toussaint estime ici que les deux plus grands obstacles à son statut de ville résidentielle que sont la malaria et la chaleur peuvent à terme être vaincus. Il avance sans équivoque comme principal frein à sa renaissance, la répugnance de la communauté européenne à vivre en contact avec la masse des Africains et des Asiatiques qui primerait sur les autres considérations…
Sur les routes commerciales et militaires, Port-Louis est tombée en désuétude depuis l’ouverture du Canal de Suez qui n’oblige plus les bateaux européens à passer dans cette région de l’océan Indien pour se rendre en Inde. Mais l’auteur suscite à la fin la curiosité, au sujet d’un projet de l’Amirauté britannique d’y créer une station militaire, dont le récent aménagement de nouveaux quais en eaux profondes ainsi que du grenier qui stocke du grain pour toute l’île pourrait représenter les premier pas. Malgré la déception des dernières années, il écrit encore « Port-Louis doit s’attendre à jouer un rôle de premier ordre dans les luttes futures dans cet océan Indien, où s’agitent tant d’intérêts contradictoires… »

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