HISTOIRE “ROSE”: Le Cinéma Parallèle, il y a trente ans…

Le Decameron Interdit
Cette année, la classe politique de l’Ile Maurice célèbre le trentième anniversaire du premier 60-0 dans l’histoire des législatives du pays. En juin 1982, l’alliance MMM-PSM remportait tous les sièges au Parlement et dirigea le pays sous un système unique, pratiquement sans opposition. Le pays, tout entier, vit à l’ère du changement en période hivernale avec de nouveaux visages faisant leurs premiers pas dans des ministères jadis occupés par des élus travaillistes.
Il fallait coûte que coûte chercher de nouvelles stratégies pour faire avancer l’économie jusqu’ici affectée par de lourds déficits et une décroissance chronique. Tout devait être mis en marche pour faire redémarrer l’économie.
Les Arts et la Culture
En 1982, le Ministère de la Culture fut créé dans le but de promouvoir les cultures ancestrales dont des langues parlées : le Créole et le bhojpuri. Il y avait aussi le portefeuille du Ministère de l’Information qui était associé au poste de vice-Premier Ministre qu’occupait Harish Boodhoo, qui fit partie de l’équipe gagnante. Dès les premiers jours, on évoquait le besoin d’assainir la politique et une société jusqu’ici affectée par divers vices dont la corruption, l’argent facile, les jeux de hasard et l’immoralité.
Une détonation à tout bout de champ
Alors que le train-train quotidien s’affirmait un peu différemment les jours qui suivirent les élections de 1982, des Mauriciens furent pris de court en apprenant à travers les médias que le gouvernement voulait mettre un frein à la prolifération des films pornographiques. La détonation fut entendue du moment où dans les rues de la capitale, il y avait dans pas mal de coins une petite affiche format A4 et en couleur vantant un film italien ayant pour titre « Le Decameron Interdit ». Si les jeunes trouvaient en cela un film à considérer pour être vu, un certain mouvement pour un meilleur cinéma rapporta cette affaire, somme toute ordinaire et méconnue, au diocèse de Port-Louis. Comme une traînée de poudre, la nouvelle se répandit dans les médias, et surtout, à la télévision où le bulletin de 19h30 traita en long et en large cette nouvelle qui, semblait-il, était une entorse à la religion et aux valeurs ; la situation exigeait que le nouveau gouvernement en place mette fin à cette dépravation morale.
Une cause déjà défendue
La lutte contre la pornographie était une affaire déjà entendue auparavant. La censure mauricienne, un peu libertaire, laissait passer tous les films avec des visas dont le plus prononcé était « Strictement Interdit aux moins de 18 ans ». Certains films étaient rejetés alors que d’autres passaient sous le monitoring douanier, jusqu’ici rudimentaire. En 1978, l’hebdomadaire « Week-End » laissait place au débat pour situer l’influence des films érotiques dans la programmation des salles. Les grincements de dents quant à la nature de ces films et leurs effets sur la jeunesse firent pas mal d’échos. En 1980, il y eut un ministre associé à l’Information et la Culture, et lui aussi partit en guerre contre la pornographie tout en faisant la différence entre le « blue » porno considéré comme « hardcore » et le « soft porno » considéré comme film « rose », donc érotique. Selon lui, certains films érotiques méritaient toujours une considération s’ils étaient des oeuvres majeures.
La bataille de 1982
Toutefois, 1982 restera probablement l’année où la censure des films se réinventa. Voulant se débarrasser de ce type de cinéma qui pervertirait toute une société, tous les films classés X, en pellicule 35 mm, furent retournés au comité de censure pour être charcutés en films érotiques. Ainsi, chaque scène dite « hard » fut enlevée à la « grande déception » de certains jeunes cinéphiles…
Les prises de position sur la pornographie furent variées. Bon nombre d’articles de presse soulignèrent que la pornographie fût avilissante et que l’Ile Maurice méritait un meilleur cinéma. Certains jeunes, déçus par cette mesure draconienne, exprimèrent souvent, hors antenne, leur désapprobation en haranguant « Ministre Porno ».
Des titres affriolants
Le Cinéma X, créé en temps de révolution culturelle, période post-Mai 68, voulait faire parler la liberté sexuelle longtemps désapprouvée par les parents entre autres personnes responsables. « Emmanuelle » de Just Jaeckin tint l’affiche en France durant neuf ans et les séries qui suivirent obtinrent un succès certain. Pour attirer les cinéphiles, il y eut des titres évocateurs dont certains relevant du comique : « Tiens ta bougie droite », « Le Feu aux Lèvres », « Le Sexe qui parle », « Claudine Beccarie », « Au lit il faut du ressort », « Jeux d’Amour au Collège », « La lycéenne a grandi », « Vice dans la peau », « Emmanuelle Anti-Vierge », « Une femme spéciale » entre autres.
Les actrices connues des Mauriciens
Si Amitabh Bachchan, Alain Delon ou Jean Paul Belmondo étaient les acteurs cultes des années 70 et 80, il y eut aussi des actrices adulées du Cinéma X. On trouvera, entre autres, Sylvia Bourdon et Brigitte Lahaie (actrices X françaises), Sylvia Kristel (Emmanuelle), Laura Gemser (Emmanuelle Noire), Anita Stringberg (au nom évocateur), Ajita Wilson (une des rares actrices noires dans le Cinéma X à l’époque) et Edwige Fennech (une belle blonde italienne)
Mouvement pour un meilleur cinéma
Pour contrer les films pornographiques et érotiques, certains importateurs dont le Consortium Cinématographie Ltée firent un beau geste. Il y eut aussitôt en juin 1982, « Hardcore » de Paul Schrader avec une affiche vantant « un film non pornographique sur la pornographie ». Le Cinéma indien en fit de même avec « Yeh Nazdeekhiyan », premier film indien Visa X dans l’ère 60-0 avec un nouveau venu Marc Zuber aux côtés de la très belle Parveen Babi.
Télévision moderniste
La prude MBC-TV, sous l’ère MMM-PSM, se transforma. Jadis censurée, la nudité fit son apparition sur le petit écran et causa une surprise parmi certains jeunes déjà affectés par les coupures d’images… Le long métrage français du mardi soir devint le pôle d’attraction du grand public s’il y avait le tandem Michel Piccoli-Mireille Darc se déshabillant à tout bout de champ. Des séries comme « Arcole ou la terre promise » ou « Le Vent D’Australie » furent le thème de conversation avec des morceaux dits « collés ». Désormais, c’est à la télévision que le Visa X s’affirmait.
Ouf, quelle année !
Pour conclure, 1982 fut drôle sur le plan culturel. En bannissant le porno, il y eut quelques très bons films dont « Vidhaata » de Subhash Ghai, « Satte Pe Satta », une comédie bien aimée de tout le monde, un surprenant « Chasme Buddoor ». Du côté occidental, l’on nota de belles surprises comme « La Lune dans le Caniveau » (Beinex), « Reds » (Warren Beatty), « An Officer and a Gentleman » (Richard Gere), « Amityville » (production Spielberg). Et en décembre 1982, le Consortium programma l’émouvant « E. T : The Extra-terrestrial » de Spielberg et le dernier film de Patrick Dewaere, « Beau Père », qui se suicida au cours de la même année.
Et au milieu de tout ça, les salles obscures, programmant le X, comme Cinema Hall, Bobby ou Sunram ressentirent les premières secousses. La baisse de fréquentation commençait déjà.

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