Hold-up légalisé

La mémoire collective de nos anciens, à Maurice, a un temps retenu le nom de Pik Pak, souvenir d’un homme qui marqua l’actualité, et les esprits, avec ses frasques de cambriolage et de violence. Sans que l’on arrive, pendant longtemps, à le capturer.

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Autre temps, mais, quelque part, toujours même registre : le troisième rapport du Public Accounts Committee (PAC), rendu public ce mardi 19 septembre, dit encore et toujours la même histoire de hold-up et de non-punition. Sauf que là, on parle de l’État.

Tous les ans en effet, le PAC, émanation de l’Assemblée nationale, revient sur le rapport établi par le bureau de l’Audit. Cette année, le comité, présidé par la députée Aurore Perraud, a passé en revue les comptes, au 30 juin 2017, de six ministères, mais aussi de la force policière et de l’Assemblée régionale de Rodrigues. Et les conclusions sont, une fois de plus, accablantes.

Il y a ainsi le cas de cette fraude intervenue au niveau de police, qui avait déjà été évoquée en mars dernier dans le rapport de l’Audit. Celui-ci avait relevé la disparition de Rs 33 millions des caisses de la police. Mais le constable soupçonné de ce détournement, bien que suspendu de ses fonctions, touche toujours son salaire. Et seules Rs 10 millions de ces Rs 33 millions ont été recouvrées.

Autre « anomalie » relevée au niveau de la force policière : plusieurs policiers touchent une allocation de logement alors même qu’ils sont logés gratuitement dans les Police Quarters.

Dans ses recommandations, le PAC demande que les services d’un expert financier soient sollicités pour mettre en place un système de contrôle informatisé interne au niveau de la police. Parce que oui, cela n’existe pas. Au niveau de la police. L’institution par excellence chargée de traquer les malversations et délits en tous genres. Incapable de s’imposer la même rigueur exigée des autres…

Six ministères ont été passés sous la loupe du PAC. Notamment le ministère du Logement et des Terres. Et c’est sans doute là que le bât blesse le plus. Au niveau de notre ressource la plus rare, la plus limitée, la plus précieuse, la plus convoitée : nos terres, et leur gestion.

De fait, au chapitre de la gestion des terres de l’État, le rapport du PAC soulève de très nombreux problèmes. Plus de Rs 498 millions dues au gouvernement au 30 juin 2016 en termes de location. Rs 424 millions de revenus « perdus » en raison de négligence de la part du ministère par rapport aux procédures de signature des lease agreements. Rs 229 millions dues en raison d’une mauvaise gestion du paiement des baux industriels.

Dans ses conclusions, le PAC recommande que le Digital State Land register soit pleinement opérationnel pour atténuer le problème de gestion et de collecte de revenus relatifs aux terres de l’État. Que le fonctionnement du contrôle interne soit entièrement revu pour le rendre plus efficace. Qu’un nouveau système de collecte de revenus soit mis en place, voire que cette tâche soit transférée à la Mauritius Revenue Authority.

Plus loin, le rapport du PAC relève qu’une somme de Rs 223 millions a été dépensée par le ministère pour l’acquisition de 30 lots de terrains dans le cadre du Harbour Bridge Project… projet qui a été subséquemment abandonné. Entre 2013 et 2017, le gouvernement a dépensé plus de Rs 3 milliards en termes de paiements de compensations et d’intérêts pour des acquisitions obligatoires.

Le PAC recommande donc qu’il y ait une meilleure planification eu égard à des projets gouvernementaux nécessitant l’acquisition de terres, et que ce processus ne soit enclenché que lorsque les projets sont finalisés, pour éviter de gaspiller les fonds publics.

Tout cela a l’air tellement évident. Et pourtant.

Et pourtant, il y a là un nombre incroyable de manquements au niveau du monitoring et de la gestion qui permettent d’incroyables malversations et abus. Et la situation est encore pire à Rodrigues, où le comité note l’absence d’un Master State Land Register. On a peine à croire à un tel « laxisme ».

Dans son rapport, Aurore Perraud souligne que les règlements régissant le fonctionnement du PAC datent de 1995, et que sans des amendements pour lui garantir plus de pouvoirs, il continuera à être de peu d’efficacité. Mais depuis qu’elle a pris la présidence du PAC, toutes ses demandes en ce sens sont demeurées vaines. Et ses membres sont démotivés : seuls cinq d’entre eux ont participé à l’élaboration du rapport, révèle Aurore Perraud. Qui dit aussi avoir noté « with dismay » que le Directeur de l’Audit a soulevé certains abus et questions de façon répétée ces dernières années, sans qu’aucune action ne soit prise.

En conclusion, elle réitère l’appel du PAC pour un secteur public plus dynamique et sain, ce qui ne peut être atteint que si toutes les parties concernées travaillent de concert pour assurer qu’elles soient totalement responsables pour chaque sou de l’argent et des biens publics. Mais comment atteindre cet objectif quand l’État lui-même semble rechigner à se donner les moyens d’assurer le respect du bien commun ? Tous les ans rapports de l’Audit et du PAC mettent en lumière les mêmes abus. Rien ne suit. Combien de temps encore accepterons-nous ce hold-up perpétré au plus haut niveau, et en toute impunité ?

 

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