HSC | Lauréat à Triolet Luciano Azor : la colère contre les injustices

Luciano Azor est le premier lauréat issu du collège SSS de Triolet et de la Cité Mère Teresa, située dans la même localité. Ce jeune de 20 ans, qui fait la fierté des habitants de la localité, n’oubliera jamais, dit-il, le jour où il s’est présenté accompagné de sa mère au collège de Triolet, son certificat de CPE en poche, estampillé de 4 “A” et 4 “A+”. Alors qu’il venait s’inscrire en Form 1, une femme avait alors demandé à sa mère, cleaner de profession : « Ou vinn inskrir ou garson dan prevoc ? » Une remarque qui aura blessé mère et fils mais qui, au final, aura été l’élément déclencheur de la future réussite de ce dernier.

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« Mo mama ti triste ek bien enkoler. Letan mo montre mo sertifika, li choke. Li pa ti kone ki li pou fer… » raconte le boursier. Luciano et sa mère disent encore aujourd’hui se rappeler de « l’attitude méprisante de cette femme ». Luciano Azor explique : « Sa remark-la finn bien bless nou, mem ziska zordi. Je suis sûr que cette femme n’aurait pas eu le même réflexe si j’avais porté un autre nom. On ne peut pas se baser sur le nom d’une personne ou sur son physique avant de la juger. C’est inadmissible. Il faut en finir avec ces préjugés tenaces et cette mentalité rétrograde alors que l’on va fêter les 50 ans de l’indépendance. C’est un vrai obstacle qui nous empêche d’avancer comme une vraie nation mauricienne. »

Dévoré par cette ambition de réussir, le jeune lauréat, déterminé à démentir celle qui l’avait reçu, ne s’est pas laissé aller au découragement. « C’était un mal pour un bien. Cette remarque m’a motivé à aller plus loin dans mes études et à faire la fierté de mes parents et de la cité ou j’habite. » Un pari que le jeune homme aura réussi à tenir. Pour cela, Luciano aura cependant dû rapidement se mettre au travail. Comme la famille n’est pas aisée (son père est maçon, Ndlr), sa mère, Farida, passait tout son temps à rester auprès son fils, quelquefois même jusqu’aux petites heures du matin, pour l’aider dans ses devoirs et ses révisions. « Elle m’a toujours soutenu. Elle a même emprunté de l’argent pour acheter des “passpapers” pour mes révisions. »

Ses enseignants– dont Mme Chundunsingh, M. Lutchman et M. Hamad, qui avaient découvert que Luciano avait un énorme potentiel – apportaient aux aussi leur soutien, chacun à sa manière. « Je prenais des leçons particulières jusqu’à fort tard chez mon prof Hamad, et ce gratuitement. Il prenait souvent la peine de venir me déposer chez moi après. C’est pour vous dire qu’il y a encore beaucoup de personnes qui ont la volonté de contribuer au bonheur des autres sans faire de distinction. J’ai un profond respect pour ces personnes et pour mes camarades qui m’ont aidé à atteindre mon objectif. »

Le boursier concède toutefois que le chemin parcouru n’aura pas été de tout repos. « La réussite d’un enfant dans son parcours scolaire, à mon avis, n’a rien à faire avec le nom ou le lieu où se trouve l’établissement scolaire. Tout dépend des sacrifices que l’on consent », explique le jeune lauréat, avouant qu’il était, selon ses propres mots, un “slow learner” au collège. « Je n’aimais pas les mathématiques et ce n’est qu’après que j’ai commencé à développer une passion pour ce sujet. »

Luciano était aussi parmi les cinq Mauriciens sélectionnés en 2015 pour participer à un atelier de travail de trois semaines aux Etats-Unis sur le thème “Le leadership de demain”. Un voyage dont il garde encore un bon souvenir. « Ce n’était pas de la bureaucratie. Les animateurs nous mettaient à l’aise. Il y avait une approche humaine, différente de celle à laquelle nous avions toujours été habitués. Cela nous a aidés à apprendre à être autonome. Pas de grands cours de théorie, mais beaucoup de pratique. J’ais appris beaucoup. J’aimerais bien un jour pouvoir partager mon expérience avec d’autres jeunes. »

De la cité au barreau ?

Ambitieux, Luciano ? On peut dire ça. D’ailleurs, des ambitions, il en a beaucoup. Le jeune homme a ainsi déjà décidé ce qu’il veut faire plus tard : avocat ! Mais pourquoi cette profession ? « Fode pa blie ki mo enn zenfan site. Ena tro linzistis vizavi bann pauv dan Moris. Mo finn truv boukou linzistis autour de mwa. Bann diminue mett tou kalite tass lor dimounn dan site. Kouma dir zis dan site ki ena ladrog ek voler, ek ki pena diminue ki kapav fer bon kitsoz. Voilà la preuve ! » dit -il, avec beaucoup de confiance. Luciano précise toutefois que, même si l’État « a le devoir moral de veiller à ce que chaque citoyen soit traité sur le même pied d’égalité », il faut cependant que « chaque Mauricien assume sa part de responsabilité dans la société ». Il renchérit : « Li bizin enn win-win sitiasion. Pa nek asize tou vinn dan ou lamin. Bizin fer zefor ek persevere. »

Le jeune homme porte aussi un regard éclairé sur la société mauricienne, un point de vue emprunt aussi d’une certaine déception. « Triste, désolant. Il n’y a pas assez de réflexion sérieuse sur les grands enjeux. J’ai la nausée lorsque j’entends des gens interpréter ou traiter de choses sous un angle raciste ou communal. Et je sais de quoi je parle… » Une déception qu’il affiche également envers le système éducatif. Se disant « contre la compétition » qui existe, « même si j’en ai bénéficié », il dira : « Les enfants doivent apprendre par cœur, comme des perroquets. La réforme éducative doit pousser les enfants à s’orienter davantage vers des activités extrascolaires, comme la musique, la danse, le théâtre. Nous avons un énorme potentiel qu’il faut exploiter. »

Luciano est peut-être jeune, mais il porte déjà en lui la sagesse d’un adulte ayant déjà bien vécu. Ainsi, il conseille aux jeunes de « ne pas se laisser influencer par les amis ». Prenant l’exemple sur sa cité, il dit : « So bann konsekans kapav bien grav si zot pran ban direksion ki pa bizin. Zot kapav regret zot lavi. L’avenir se trouve dans l’éducation. » Une philosophie qu’il puise peut-être dans les courants musicaux qu’il apprécie le plus, comme le reggae. « J’aime beaucoup les rastafaris. Ils ne font de mal à personne. Ils sont dans leurs coins et vivent tranquillement tout en respectant les autres. »

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