HUMAN STORY—JAMES: « Carte biométrique enn stigmat pou kondane »

Aller à la rencontre de James, 42 ans, c’est découvrir un homme meurtri portant encore au fond de la mémoire un passé dont il a toujours du mal à se défaire. À la mort de ses parents à sept mois d’intervalle, il se retrouve, à 12 ans, enfant de rue. Il aurait pu rester un anonyme mais la vie a décidé de lui jouer encore des tours. Condamné pour deux vols qu’il n’a pas commis, il se retrouve en prison, marqué à vie. Il est devenu alcoolique et cherche encore à s’en sortir. Son autre préoccupation, la carte biométrique exigée par l’État et qui dit-il « finn vinn enn stigmat pou kondane. Aster kan mo pu al rod enn travay tou dimounn pou fini kone mo finn fer prizon. »
James a grandi à Cité Malherbes où dit-il « ti bisin bes la tet kan marse. » Sa voix se noue, son regard devient larmoyant. Il se souvient de sa mère morte « avec dilo dan ventre, » et son père qui lui a emboîté le pas quelques mois après. « Li finn gagn la gangrenn dan so la main. Mo finn perdi tou reper… » Sa main plâtrée par un violent coup de barre de fer infligé par son voisin qui a empiété sur sa demeure en délabrement, James n’en a pas fini avec les coups bas de la vie. Sa survie, il la doit à l’éducation. « Mo finn etidie ziska Form IV selman… mo finn sibir enn tromatis ar lamor mo paran. » Dans la bicoque familiale, ils sont pourtant une fratrie de huit enfants (six frères et deux soeurs) mais James se sent isolé du groupe. « Si finn gagn manzé enn fois, après ti bizin débrouille tou sel. Frer ek ser pas finn dibout opu mwa… »
La rue devient son refuge, son rempart contre une vie qu’il qualifie de « modi. » « Lagiynn finn pourswiv mwa partou. » Il se raconte encore et encore comme pour se libérer d’une souffrance intérieure qui le ronge chaque jour. Il ne comprend pas la manière qu’il s’est empêtré dans des situations sans issue. James a étudié jusqu’à la Form IV, il parvient à écrire le français correctement et se révèle un artiste doué. Il ne fera pas d’autres études car dit-il, la faim oblige, il lui a fallu trouver un emploi. « J’ai vécu dans un premier temps dans la rue avec un ventre affamé, parfois je mangeais, parfois non. »
Pourtant, à 15 ans, il a bien décroché un petit boulot dans un snack moyennant Rs 50 par jour. « Pa ti kapav gagn narien ar sa som-la, mais j’avais un déjeuner gratuit le matin et je m’accrochai désespérément à ce boulot. » Il a bien vécu par la suite dans la maison familiale en délabrement mais s’en prend toujours à la vie de lui avoir enlevé ses « deux role models. Mo mama ek mo papa. » Comme un cri du coeur qu’il tente d’étouffer mais qui revient en écho lui rappelant sa triste existence d’être un orphelin. Il fera de petits boulots comme peintre et se retrouvera un jour dans une situation ambiguë. « Monn zwenn enn kamarad, li ti fek kokin sak enn madam, li dir mwa gard sak-la. Nou al la boutik pran sigaret, gard may mwa. Kamarad resi sove, mo gagn pinse. » Cet homme avait l’habitude de commettre des larcins comme des vols à l’arraché ou « kokin dan loto an stasyonnma. »
En 95, pour cet acte qu’il dit ne pas avoir commis, James se retrouvera en prison pour une durée de six ans. Après sa libération, il travaillera sous contrat avec son frère dans une compagnie avant de décrocher un job dans un boathouse. « Ena finn met baton dans mo la roue, » James raconte avoir rencontré un homme paumé qu’il a fini par encadrer en lui donnant quelques sous pour qu’il arrive « a trace so la vie. Mo finn fer mo malheur, li fin dévalise enn magasin ek finn met charge coquin lor mwa et mo finn condamné en 2007 et mo finn sorti prison en 2013. Dans la prison, j’étais tellement stressé, désorienté que j’entendais comme un martèlement dans ma tête et je me suis effondré un matin et je suis resté 72 heures dans le coma. Si je n’avais pas eu en prison un pasteur adventiste m’enseignant des passages bibliques, je n’aurai pas survécu. »
James offre le visage d’un homme meurtri qui a sombré dans l’alcool et qui dit ne plus pouvoir s’assumer. « Je suis devenu dépressif, j’ai peur de mon ombre et je ne sais plus à qui me confier. L’alcool agit comme un calmant sur moi et me fait évacuer mes problèmes. » James marque une pause et dit puiser sa force dans son fils de 11 ans qui connaît tout de sa vie. « Mo finn explik li kifer mo finn fer prison et kan li pose mwa tro kestions mo dire li mo dictyioner pas ar mwa. » C’est une manière à lui d’esquiver des questions de son fils. « Il veut savoir comment j’étais à son âge. Zanfan zordi malin, pas kapav embet zot. Même si un père ou une mère a fait de la prison, je pense que c’est important d’expliquer à son enfant de vive voix car les autres personnes peuvent l’influencer. Je suis heureux de voir le raisonnement de mon fils quand il explique à ses camarades comment son père s’est retrouvé en prison. »
James raconte avoir croisé sur sa route des avocats véreux qui au lieu de prendre sa défense lui disaient : « Soit to manz pomme là, soit enn lot manz pomme là choisir ? Pourtant mo fine payé avocat pu defan mo case. Kan ou la main enbas roche ou bisin choisir la voie de la vérité, mo pas finn laisse moi influencer car mo innocent, » martèle James qui réclame encore justice pour des condamnations dont il n’est pas coupable. Autre préoccupation de James, la carte identité biométrique qui dit-il ne lui permet pas de trouver un emploi stable. « J’ai l’impression qu’on m’a collé une étiquette sur le front et qu’avec cette carte tout mon passé que je voulais cacher revient à la surface. Cette carte a été faite alors que j’étais encore en prison. Y a-t-il vraiment une justice ? »
La seule consolation de James est qu’il est un artiste émérite qui parvient à créer de ses mains. « Mo conne dessiner, peindre, c’est enn la force. » Avec les encouragements de certaines personnes qui croient encore dans ses talents artistiques, James songe à faire une exposition où ses dessins mettront à nu sa vie, son enfance, la disparition de ses parents, son errance, sa vie carcérale, ce sera pour lui une manière d’exorciser son passé avant dit-il de se retrouver à nouveau devant une page blanche où il pourrait redémarrer sa vie avec cette fois une paix d’esprit. « Mo envie vine enn dimounn normal, gagn enn travay ek assure mo l’avenir et l’avenir mo zanfan. »

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