IIE REPUBLIQUE… ET DICTATURE : Une Dangereuse Surenchère

Une dictature, une malédiction, une catastrophe et j’en laisse… C’est ainsi que nous est présentée, par ses détracteurs, la Deuxième République que compte instaurer l’alliance de l’Unité et de la Modernité si l’électorat lui en offre la possibilité. Une Deuxième République  dont l’effet principal sur le plan institutionnel serait le passage d’un régime Parlementaire à un régime Semi-Présidentiel. Est-ce à dire qu’un régime Semi-Présidentiel est une dictature sous une appellation différente ?  Une dictature qui ne dirait pas son nom ?
Si c’est le cas, un des plus importants pays d’Europe, élément moteur de l’Union européenne avec l’Allemagne,  membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, membre du G8 et du G20, un pays d’où est née la Philosophie des Lumières et d’où nous viennent un nombre considérable de nos touristes, serait une « dictature ». Ce pays a, en effet, un Premier Ministre avec des pouvoirs  qui lui sont propres et un Président qui est élu au suffrage universel direct, qui préside le Conseil des Ministres, qui a le pouvoir de dissoudre l’Assemblée nationale et qui bénéficie d’une immunité présidentielle  tout au long de son mandat. Autant d’éléments qui  d’après l’alliance Lepep seraient constitutifs  d’une dictature. Elle le dit clairement quand elle demande aux électeurs de ne pas voter pour un passage vers un régime Semi-Présidentiel parce que ce faisant ils contribueraient à faire de Maurice une dictature. Il fallait oser…
Il m’a été particulièrement gênant d’écrire ce qui précède du seul fait que j’ai été  amené à mettre en rapport ce pays à régime Semi-Présidentiel avec le terme « dictature », afin de rendre compte des implications des propos tenus par les responsables de cette alliance.
Une gêne que ne partage nullement le leader de cette alliance qui est pourtant un ancien Premier Ministre et ancien Président de la République et qui, en cette qualité, devrait avoir une idée, même assez vague, de divers types de gouvernement. Alliance au sein de laquelle se trouve aussi un ex-Ministre des finances (qui aurait eu sur le tard la subite révélation que celui sous l’autorité duquel il a été Ministre pendant une décennie, et jusqu’à très récemment, avait un penchant pour la dictature) et un juriste chevronné ayant apporté à maintes reprises son concours à l’élaboration des lois au niveau national  aussi bien qu’international et qui a décidé pour le besoin d’une campagne électorale d’être volontairement amnésique au sujet de certains principes fondamentaux de la chose politique.
Une malhonnêteté intellectuelle crasse
 Je ne ferai pas à ces responsables de l’alliance Lepep l’offense de penser qu’ils croient vraiment ce que leurs propos de campagne électorale laissent entendre. Je leur ferai celle de considérer qu’ils sont (avec d’autres) dans une malhonnêteté intellectuelle crasse. Comme on en trouve parfois chez ceux que l’enjeu du pouvoir égare au point de les contraindre à congédier toute exigence de mesure et de vérité.
Ils sont en effet contraints, par leur objectif qui est de présenter l’actuel Premier Ministre comme un dictateur en puissance, de faire accroire à la population que le régime Semi-Présidentiel est un régime à pouvoir personnel. C’est un grossier mensonge mais il leur est nécessaire pour pouvoir  avancer dans  leur démarche qui se voudrait tacticienne.
Démarche qui  consiste, dans un premier temps,  à  tenter de démontrer, à travers certaines décisions prises par l’actuel Premier Ministre,  que celui-ci a une propension à des pratiques dictatoriales. Ce qui leur permet ensuite de dire que dans un régime où il aurait les pleins pouvoirs il deviendrait un dictateur de fait.  
Ainsi, le régime Semi-Présidentiel qui est par essence un régime à pouvoir partagé entre le Chef de l’Etat et le Chef du Gouvernement (eux-mêmes le disent par ailleurs quand ils parlent de « deux capitaines sur un même bateau ») est travesti pour le besoin de leur cause  en un régime à pouvoir exclusif. C’est une transformation délirante mais ils ne pouvaient en faire l’économie dans la mesure où il fallait impérativement qu’ils présentent ce régime comme étant propice  à des pratiques dictatoriales pour servir leur stratégie.
Falsification du réel
Nous sommes, là, confrontés à un de ces cas où l’objectif visé entraîne une inévitable falsification du réel. Et dans ce cas précis cette falsification est non seulement  irrespectueuse  de l’intelligence de l’électorat mauricien mais elle est aussi  irrespectueuse et insultante à l’égard des Etats à regime Semi-Présidentiel qu’elle assimile à des régimes dictatoriaux camouflés. (Ce qui est susceptible de nuire à notre Diplomatie).
Les responsables de l’alliance Lepep – et parmi un juriste de renom – auraient dû se rendre compte qu’en faisant le choix de lier régime Semi-Presidentiel et Dictature, ils prenaient le risque de banaliser l’horreur que constituent une vraie dictature et des vraies pratiques dictatoriales. Il y a des termes qu’on ne devrait pas galvauder ;  mais puisqu’on est dans cette thématique que l’alliance Lepep affectionne, restons y.
Disons que : je refuse pour ma part de parler de pratiques dictatoriales au sujet   de :
– Quelqu’un qui aurait légué un parti politique à son fils comme d’autres offrent un cadeau d’anniversaire à leurs rejetons (pratique dont la Corée du Nord, entre autres, est coutumière), procédant ainsi à une transmission dynastique qui s’accorde mal avec les principes de la Démocratie.
– Quelqu’un qui, pour faire plaisir à son épouse, aurait fait imprimer, avec l’argent public, la photo de celle-ci à de très nombreux exemplaires sur un support qu’il est extrêmement difficile d’éviter. Argent public qui aurait pu être utilisé à des fins plus légitimes (comme, par exemple) pour soulager ceux qui sont dans une extrême pauvreté.
– Quelqu’un qui aurait puni, de multiples manières, ceux qui n’ont pas voté selon son souhait, selon ses ordres. Ce qui équivaut (a posteriori) à un déni de la liberté de vote, à un manquement grave à l’un des  principes majeurs de la Démocratie.
– Quelqu’un (un autre) qui aurait permis que certains dossiers qui engagent l’avenir du pays et les générations futures, tel que celui de l’énergie, soient gérés par des groupes de pression qui n’ont ni mandat ni légitimité pour le faire. Quelqu’un qui aurait donc permis l’affaiblissement  de l’Etat en laissant certaines de ses prérogatives  à des « vested interests ».
De même que je refuse de parler de pratiques dictatoriales au sujet de :  
Ceux (le pluriel s’impose parce qu’il n’y a pas qu’un seul à être concerné) qui auraient utilisé leur position de pouvoir pour s’enrichir outrageusement  et  permettre à leurs  proches de frauder en toute impunité, dans un pays où les pauvres, encore trop nombreux, ne sont «visibles» et ne comptent vraiment que durant les campagnes électorales.
Ceux qui auraient distribué, de manière indue et selon leur bon vouloir (sous tous les Gouvernements depuis l’Indépendance), les terres de l’Etat comme s’ils en étaient les propriétaires. Ce qui s’apparente à du vol et à du recel « aggravé » étant donné notre superficie qui impose que ces terres soient gérées avec la plus grande rigueur, avec parcimonie.
Cette énumération n’est pas exhaustive. Elle ne pourrait l’être.  
Complaisance coupable
Je suis tout à fait conscient de la gravité des pratiques évoquées plus haut, de ce qu’elles peuvent avoir de révoltant, de l’indignation quelles peuvent susciter, du mal qu’en définitive elles font au pays. Je ne les qualifierais pas, malgré tout, de pratiques dictatoriales. Je parlerais plutôt de procédés dynastiques, de mégalomanie, de déni de droit, de complaisance coupable, de corruption active et passive … Et ce dans le seul souci de ne pas banaliser l’horreur d’une vraie dictature.
L’alliance Lepep peut, bien sûr, continuer à dénaturer le regime Semi-Présidentiel, à parler, sans y croire, de la menace d’une dictature.  Elle le peut mais c’est au risque de voir cette stratégie se retourner contre elle. Déjà si on applique à son leader le même critère que celle qu’elle utilise pour tenter de discréditer son adversaire et qui est, essentiellement, l’abus de pouvoir, on peut logiquement affirmer que  l’installation de celui-ci au poste de Premier Ministre exposerait aussi le pays à un risque de dictature. Le leader de l’alliance Lepep n’est pas moins concerné par des faits d’abus de pouvoir que l’actuel Premier Ministre. Il est d’une présence massive dans ceux que j’ai évoqué plus haut.
Il représenterait même, dans cette optique,  un plus grand risque de dictature que l’actuel Premier Ministre. Et ce pour une raison purement institutionnelle. Le risque de dictature est théoriquement plus grand dans un régime Parlementaire où le Premier Ministre détient tous les pouvoirs,  que dans un régime Semi-Présidentiel où les pouvoirs sont répartis entre l’Assemblée et la Présidence. Dans un cas il peut y avoir un équilibre des pouvoirs entre deux pôles, dans l’autre non. Le pouvoir reste exclusif. C’est d’une logique élémentaire à la portée de la compréhension de tous.  
L’alliance Lepep gagnerait, donc, à reconnaître l’incohérence de sa position et cesser avec des accusations liées à la thématique de la dictature. Ni la mémoire sélective de ses partisans, ni l’auto-absolution que le leader de cette alliance s’accorde ne seront en mesure de le protéger contre des faits, nombreux, qui pourraient être exhumés pour  rappeler  son  autoritarisme et son intolérance assumée. En persistant à vouloir instiller la peur par ce moyen, l’alliance Lepep s’expose à se retrouver sur la défensive sur un « terrain » qui deviendrait pour elle dangereusement  contre-productif.
Il conviendrait, me semble-t-il, que les deux alliances cessent avec une campagne qui vise en priorité à provoquer le rejet de l’adversaire pour privilégier une campagne qui vise l’adhésion à un programme. On y gagnerait tous, candidats et électeurs et le pays dans son ensemble.
Il serait intéressant, dans cette optique, de savoir ce que compte faire l’une et l’autre alliance pour combattre vraiment, avec détermination,  l’abus  de pouvoir sous toutes ses formes dans la prochaine législature.

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