ÎLE COURTS : Échanges autour d’une cinématographie régionale

La table ronde qui a ouvert mercredi à la Fondation Malcolm de Chazal, le Forum professionnel du festival Île Courts, est venue remettre sur le tapis nos fameuses disparités régionales et engager la discussion sur les échanges possibles entre nos îles… Ambitionnant de dresser un « état des lieux des cinémas de l’océan Indien », le débat était animé par les représentantes et représentants des principaux festivals régionaux : Mino Ralantomanana pour Madagascar, Mohamed Saïd Ouma pour La Réunion, Saïd Ali Saïd Mohamed pour l’archipel des Comores et Gopalen Chellapermal pour Maurice. La discussion était orchestrée par le président du festival mauricien, Amal Sewtohul.
Jouant un rôle d’interface entre l’industrie cinématographique et ses publics intermédiaires et finaux, les festivals interviennent à un moment clé, généralement au tout début, dans la chaîne de diffusion des fictions et documentaires qu’ils réceptionnent et décident de montrer. Aussi, le tour de table qui a ouvert la rencontre mercredi au Forum film bazar, a permis de brosser à grands traits un panorama du cinéma dans chaque pays (ou département) de la région, à l’exception des Seychelles, et éventuellement d’imaginer quelques pistes de réflexion.
Mino Ralantomanana qui intervenait au nom des Rencontres du film court (RFC) de Madagascar a notamment rappelé que cet événement présentera sa dixième édition l’année prochaine, du 10 au 25 avril. Aussi l’évolution de cet événement permet de constater le dynamisme de la production cinématographique malgache lorsqu’on réalise que quelque 338 films courts ont été réceptionnés par les organisateurs depuis 2006. Ce festival qui a démarré avec l’appui du centre culturel français a démarré sur une durée de deux jours avec quelques centaines de spectateurs, et peut se vanter aujourd’hui de recevoir 16 000 spectateurs. Les RFC se sont également associés dans la production de six films en faisant appel à un fonds d’aide.
Diversité des contextes
Du côté de La Réunion, la configuration est très différente puisque le Festival du film d’Afrique et des îles (FIFAI) a pu voir le jour il y a 21 ans sous le nom des Rencontres du film d’Afrique et des îles, en restant ouvert à tous les formats (courts ou longs métrages) mais avec cette volonté d’ouvrir une fenêtre sur un continent et des petits États dont la cinématographie méritait d’être mieux connue. Mohamed Saïd Ouma explique qu’aujourd’hui la programmation s’est ouverte à l’ensemble de l’hémisphère sud grâce aux liens sud-sud qui se sont développés depuis. Un aspect fondamental de cet événement réunionnais est également d’encourager et promouvoir la production réunionnaise. Cela étant, le responsable du FIFAI explique que cet événement vit depuis quelques années dans un contexte difficile, ses dotations budgétaires publiques ayant baissé de 40 % en quatre ans, obligeant les organisateurs à trouver de nouvelles formes de financement. « Notre festival est passé d’une durée de neuf à cinq jours, et d’une programmation de 150 à 50 films. Cela nous place dans une situation paradoxale puisque la production cinématographique, elle, continue d’augmenter… »
Du côté de l’archipel des Comores, le réalisateur Saïd Ali Saïd Mohamed représente le tout nouveau Comoros international film festival (CIFF) qui prépare sa deuxième édition. « Les Comores se caractérisent par une absence flagrante d’un vrai cinéma et les rares salles se sont évanouies depuis longtemps. Nous sommes donc des nouveaux venus parmi les festivals, nous avons commencé à développer des liens avec d’autres festivals dans la région, à Mayotte dans les émirats et sur la côte est-africaine. Nous essayons d’amener le cinéma sur les places et dans les maisons de quartiers des différentes îles de l’archipel pour préparer un public pour l’avenir et de promouvoir un cinéma comorien. C’est important aussi d’essayer d’initier un regard critique et de susciter un désir de création. Nous essayons aussi d’accueillir la diversité des regards sur notre propre sol dans ce festival qui a lieu tous les deux ans. » Gopalen Chellapermal a quant à lui rappelé la genèse d’Île Courts en 2007 avec l’appui du Centre Charles Baudelaire, du parti pris de soutenir la production plutôt que d’organiser une compétition, en organisant des ateliers d’écriture et en soutenant la réalisation de films courts, ce qui a amené 28 films à voir le jour. Aussi la décentralisation de la programmation dans différents points du pays a-t-elle permis de passer d’un public de 200 spectateurs à plus de 2 000.
Un catalyseur ou un producteur
En tant que modérateur Amal Sewtohul a questionné les intervenants sur le rôle d’un festival de cinéma, se demandant notamment s’il devait organiser des activités tout au long de l’année. Les réponses des intervenants ont montré que ce rôle pouvait aller d’une île à l’autre de fête du cinéma au sens le plus strict du terme, en tant qu’événement culturel comme c’est le cas à La Réunion, à celui d’une structure organisatrice qui pousse également à la création de contenu, comme l’a fait Île Courts depuis les débuts, s’engageant aussi depuis quelques années dans un soutien à la diffusion à travers Film box. D’un côté Mohamed Saïd Ouma considère le rôle d’un festival comme « catalyseur d’énergie et surtout pas producteur d’énergie », tandis qu’à Maurice par exemple, la démarche a consisté à se demander quel cinéma le pays avait à proposer à son propre public et l’aider à émerger…
Le réalisateur et ancien directeur de la Mauritius film development corporation (MFDC) Selven Naïdu a alors demandé la parole pour rappeler que sans contenu un festival ne peut exister et qu’actuellement dans le contexte mauricien, tout réalisateur qui a un projet est systématiquement amené à changer de casquette pour se produire et aller chercher des financements s’il veut voir son projet aboutir… « Je me souviens qu’au début, devait-il ajouter, on voyait surtout des cameramen se mettre à réaliser des films. Aujourd’hui, on voit apparaître des jeunes qui sont formés à l’écriture cinématographique et présentent des projets plus aboutis. Si Ile Courts n’avait pas produit de film, ce festival n’aurait pas pu continuer, même s’il devra sans doute un jour envisager d’abandonner cette casquette… »
Cette question de contexte et de structuration de l’industrie cinématographique dans chaque île se recoupe aussi avec celle de la structure de financement des événements culturels qui les accompagnent. Aussi lorsqu’Amal Sewtohul demande comment ces festivals, le plus souvent dépendants de partenaires institutionnels, pourraient devenir autonomes financièrement, les réponses se font plus vagues… Les possibilités de financement régional à travers la COI par exemple n’ont jamais abouti concrètement, et si l’on sait dans chacun de ces pays, trouver des financements pour réaliser des films, des dynamiques restent à développer et de nouvelles expériences à inventer pour que cette région de l’océan Indien continue de s’affirmer sur le plan cinématographique

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